[e-med] Pandémie de COVID-19, approvisionnement et production locale en Afrique: Appel à l'action

Appel à l’action

Depuis environ 5 mois, tous les systèmes de santé du monde et les chaînes de production sont soumis à une énorme pression du fait de la pandémie de COVID-19. Il en résulte une pénurie globale des équipements, des consommables et des produits de santé vitaux avec pour corollaire une augmentation constante des prix sur les marchés. Les centrales d’approvisionnement nationales africaines des produits de santé font de surcroit face à aux restrictions à l’exportation de produits imposées par certains pays. Cette situation est exacerbée par le fait que très peu de pays africains sont en mesure de produire les équipements vitaux et le matériel de protection ou même de fabriquer les médicaments génériques, les outils de diagnostic, les futurs traitements et les vaccins.

Partout dans le monde, les autorités politiques ont pris des décisions salutaires pour contrer la propagation du virus. Toutefois, elles s’avèrent délétères dans les pays en développement. Par exemple, en Afrique, les mesures ont profondément bouleversé les conditions économiques et sociales des communautés et des familles très vulnérables qui travaillaient déjà au jour le jour pour gagner leur moyen de subsistance.

Aujourd’hui, il est crucial de disposer rapidement de masques de protection, de tests de dépistage fiables et de qualités pour identifier, isoler, traiter efficacement et tracer les cas et leurs contacts, pour juguler rapidement la pandémie et permettre aux populations de reprendre les activités économiques vitales. Sans cela, les pays africains dont les conditions de vie des familles sont déjà très précaires s’exposent au risque dramatique de s’appauvrir davantage.

À ce titre, nous saluons l’adoption de la résolution[1] de l’Assemblée Générale des Nations Unies réclamant un « accès équitable » aux « futurs vaccins » contre le COVID-19 ainsi que l’initiative d’appel de l’Organisation mondiale de la santé à une collaboration mondiale pour accélérer le développement, la production et l’accès équitable aux nouveaux diagnostics, thérapies et vaccins contre le COVID-19[2].

Toutefois, une prise de conscience urgente est nécessaire en Afrique pour tirer définitivement de la situation actuelle des leçons sur sa capacité de réponse à des pandémies et d’action immédiate. Une bonne partie de la solution au COVID-19 devra venir des Africains eux-mêmes. La pandémie de COVID-19 est venue encore une fois rappeler avec fracas à l’Afrique qu’elle ne peut plus continuer à compter sur les autres pour résoudre ses problèmes, en particulier ses besoins fondamentaux en matière de santé publique.
L’Afrique ne peut plus déléguer ses responsabilités aux organisations des Nations Unies et aux organisations de l’aide au développement. C’est pourquoi, malgré l’appel lancé par l’OMS pour « accélérer l’accès aux outils de COVID-19 » et la résolution des Nations Unies sur l’accès équitable aux traitements et vaccins contre le COVID-19, les autorités africaines doivent rester vigilantes et ne pas compter naïvement sur la solidarité internationale. Les mêmes pays qui ont fait les déclarations élogieuses et adopté la résolution, sont ceux-là qui ont fixé des limites à l’exportation de certains de leurs produits nécessaires à la riposte au COVID-19. D’après, le professeur Brook Baker[3], « 80 pays, dont l’Union européenne dans son ensemble, qui ont imposé des contrôles à l’exportation des fournitures médicales COVID-19, ont fait valoir qu’ils doivent ouvrir le commerce des ingrédients, des composants et des produits finis. » Ajoutant, à juste titre que « l’appel à la solidarité mondiale doit l’emporter sur les prérogatives commerciales, le nationalisme et les égos démagogiques ».

Les belles déclarations à la solidarité internationale doivent être suivies d’actes concrets afin que la suspension de la dette des pays africains, les emprunts des différentes banques et l’aide internationale permettent aux pays africains de se relever. Les interventions de tous les acteurs doivent se faire de façon coordonnée et transparente à tous les niveaux. Le business modèle des acteurs sur le continent d’antan qui était de materner l’Afrique doit changer pour laisser la place à l’éclosion de la responsabilisation interne et aux initiatives locales.

Aujourd’hui, tous les pays du monde entier ont réalisé à quel point il était périlleux de dépendre entièrement d’autres pays comme la Chine et l’Inde pour la fourniture des matériels de protection médicale ou des ingrédients actifs pharmaceutiques. L’Afrique doit sortir définitivement de la dépendance de l’aide extérieure mais également des importations de produits pharmaceutiques. Dans ce contexte, il faut que l’aide internationale lui en laisse la place. Nous nous insurgeons contre le business modèle de cette aide qui infantilise les peuples africains au lieu de les autonomiser. L’Afrique connaîtra certainement des échecs mais l’expérience et la maitrise des techniques de fabrication viendront de l’apprentissage de ces échecs. L’Afrique doit trouver sa propre voie dans le domaine pharmaceutique en évitant d’adopter la politique actuelle des entreprises pharmaceutiques internationales, qui, du fait des prix élevés des nouveaux médicaments qu’elles produisent privent des milliers de patients à ces nouveaux médicaments dont ils ont pourtant besoin pour se soigner .

Parallèlement aux solutions urgentes de court terme pour endiguer le COVID-19, la stratégie à moyen et long terme de l’aide internationale sur le continent doit se focaliser à relancer l’économie africaine en accompagnant les immenses ressources locales. Elle doit conduire au renforcement de capacités, au partage des brevets, au transfert de technologies et de savoir-faire pour permettre la production locale de toutes les technologies de santé vitales afin que les États africains puissent s’occuper eux-mêmes de la pandémie de COVID-19 et des autres épidémies qui continuent de ravager la population du continent, et de se préparer aux futures pandémies.

Une production locale des produits de santé de première nécessité et des outils nécessaires pour traiter et se protéger de COVID-19 permettra au continent africain non seulement de relancer son économie mais également de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur tout en maîtrisant la chaîne d’approvisionnement, en créant un réservoir de connaissances, en développant des ressources humaines qualifiées mobilisables à tout moment, et de lutter efficacement contre les médicaments falsifiés.
Nous appelons les gouvernements africains :

  * à négocier une aide internationale dans le domaine pharmaceutique avec un plan de partage des brevets, de transfert de technologies de savoir-faire pour permettre la production locale des outils diagnostics, des traitements et vaccins contre le COVID-19 sur des normes et standards d’efficacité et de qualité incontestables;

- à opérationnaliser massivement les flexibilités de l’Accord ADPIC par un décret ministériel y compris l’article 73 ADPIC pour l’accès et la production locale ainsi que la protection de la santé publique et de la sécurité des populations. A cet égard, il est utile de rappeler les types de flexibilités les plus importantes par les pays membres de l’Organisation Africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) :

o la période transitoire pour les produits pharmaceutiques valable jusqu’en 2033 est la flexibilité la plus importante pour les pays les moins avancés (PMA) : le Benin, le Burkina Faso, la Centrafrique, les Comores, Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée équatoriale, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo ;

o la licence obligatoire et l’utilisation publique non commerciale / utilisation par le gouvernement pour les pays en développement comme le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire et le Gabon.

Nous faisons confiance au leadership du Directeur générale de l’OMS, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, de mettre immédiatement en place, un mécanisme urgent de transfert de technologies Sud-Sud pour déployer la production locale massive en Afrique.

Yolse, Santé Publique et Innovation
Case postale | 1635 Carouge | Suisse
www.yolse.org
@CHYolse
@CHYolse