Bonjour,
Ci-dessous un billet d'opinion paru hier dans le journal suisse Le Temps, s'appuyant sur l'affaire du Mediator.
Bonne lecture
Patrick Durisch
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Le Temps - opinion, lundi 17 janvier 2011
Pour un contrôle indépendant des essais cliniques des médicaments
Patrick Durisch, responsable du programme Santé à lONG la Déclaration de Berne, sappuie sur laffaire du Mediator pour réclamer un engagement accru des pouvoirs publics, garants de lintégrité et du progrès de la recherche
Laffaire du Mediator (benfluorex), cet antidiabétique utilisé comme coupe-faim et qui aurait causé la mort de 500 à 2 000 personnes, prend en France des allures daffaire dEtat et affole les autorités sanitaires. Pourtant, la revue médicale indépendante Prescrire avait alerté les autorités sanitaires en 1997 déjà sur sa toxicité. Même si ce produit apparenté aux amphétamines nest plus commercialisé en Suisse depuis 1998, on aurait tort de se gausser de ce qui arrive à nos voisins. Car dautres médicaments, au mieux inefficaces et au pire dangereux, sont assurément déjà en circulation ou en voie de lêtre, y compris en Suisse. Le modèle dinnovation pharmaceutique actuel en est la cause principale.
Pour quun médicament soit autorisé à la vente, son concepteur doit pouvoir démontrer la sûreté et lefficacité de son produit par une série de tests effectués sur des êtres humains. Les données de ces essais cliniques sont ensuite examinées par les agences nationales de contrôle de médicaments Swissmedic en Suisse qui délivrent ou non lautorisation de mise sur le marché sur la base dune évaluation risques-bénéfices. Bien quindépendantes sur le papier, ces agences couvrent la majorité de leur budget (80% pour Swissmedic) par les frais de procédures payés par les compagnies pharmaceutiques et par des émoluments prélevés sur la vente de médicaments. Quelle que soit la qualité et lintégrité de lévaluation effectuée par lagence de contrôle, ce lien financier avec lindustrie pharmaceutique laissera toujours planer un doute de complaisance, voire de conflit dintérêts, comme cest le cas en France dans laffaire du Mediator.
Les autorités sanitaires dépendent en outre des données que veulent bien leur fournir les compagnies pharmaceutiques. Tous les essais cliniques menés en vue dune autorisation de mise sur le marché dun médicament ne sont en effet pas publiés, comme lattestent différentes enquêtes révélées par des revues médicales spécialisées. Ainsi, sur 74 essais cliniques liés à lhomologation de 12 antidépresseurs aux Etats-Unis entre 1987 et 2004, près dun tiers nont jamais fait lobjet de publication, en majorité ceux présentant des résultats qui mettent en doute lefficacité et/ou la sûreté dun médicament. On dispose aujourdhui de beaucoup dautres exemples, impliquant également des compagnies suisses, comme ceux concernant lantigrippal Tamiflu de Roche ou lanticancéreux Zometa de Novartis. Les résultats négatifs ou peu significatifs des tests auront dès lors tendance à être dissimulés pour ne pas mettre en péril ou retarder son autorisation de mise sur le marché. Il sagit de faire vite, la durée de monopole conférée par un brevet étant limitée à vingt ans, phase de développement comprise. Lorsquon sait le chiffre daffaires annuel réalisé par certains médicaments au-delà du milliard de francs pour les deux produits cités plus haut chaque gain de temps est rentable, même sil sagit de travestir quelque peu la réalité. Qui plus est dans un climat de panne de linnovation, où seul un faible pourcentage des nouveaux médicaments récemment mis sur le marché correspond à une véritable avancée médicale. Ainsi, selon des statistiques compilées par la revue Prescrire, seuls 2% des presque mille nouveaux médicaments mis sur le marché en France entre 2000 et 2009 représentaient un progrès thérapeutique réel. LExelon de Novartis a été autorisé en 2008 en Suisse puis en Europe pour le traitement de démences de type Alzheimer malgré ses effets secondaires sérieux, ses contre-indications potentiellement mortelles, et malgré un avis émis par les autorités sanitaires étasuniennes montrant que lefficacité du produit a été largement et artificiellement?) surévaluée.
Pour éviter dautres désastres de santé publique comparables aux scandales du Mediator ou du Vioxx, il est urgent dinstaurer un contrôle indépendant des essais cliniques. Ceux-ci sont actuellement laissés aux mains des compagnies pharmaceutiques, qui les financent et les façonnent à leur manière afin de présenter leur produit sous son meilleur jour. Vu les risques encourus, les résultats des tests impliquant des êtres humains devraient être considérés comme un bien public, et non comme une arme commerciale. Cela passe par un engagement plus fort des pouvoirs publics, comme le financement et une supervision indépendante des essais cliniques, ainsi que la publication de tous les résultats, positifs comme négatifs. Il en va de lintégrité et du progrès de la recherche.
Patrick Durisch
Responsable du programme Santé à lONG la Déclaration de Berne.