La Revue Prescrire
Pour éviter une prochaine affaire Mediator°
Pourquoi prendre le moindre risque quand il n'y a aucun bénéfice tangible
démontré ?
Quel est le point commun entre Staltor° (cérivastatine), Vioxx° (rofécoxib),
Sibutral° (sibutramine), Acomplia° (rimonabant), Avandia° (rosiglitazone),
Mediator° (benfluorex), parmi d'autres médicaments ?
Tous ont été retirés du marché au cours des dernières années, en raison
d'effets indésirables d'une gravité disproportionnée par rapport aux
bénéfices qu'ils apportaient aux patients. Dans chaque cas, ces effets
indésirables étaient connus depuis longtemps, ou prévisibles. Connus,
parfois dès leur mise sur le marché, car ils avaient été repérés lors des
premiers essais cliniques.
Ou prévisibles, par raisonnement pharmacologique, ou au vu de la parenté
chimique du médicament avec des médicaments aux effets indésirables graves
avérés. La poursuite des études et la notification des cas d'effets
indésirables par des soignants et leur analyse par des centres de
pharmacovigilance, en France ou dans d'autres pays, sont venues confirmer ce
qui était, dès le départ, connu ou prévisible.
Pour tous ces médicaments, la revue Prescrire avait alerté ses 29 000
abonnés professionnels de santé, pendant des années, bien avant que les
autorités finissent par décider les retraits du marché. Ainsi sans doute des
milliers de patients ont échappé à des effets indésirables graves.
Ces désastres de santé publique auraient pu être évités. A trois conditions.
D'abord, à condition de toujours penser en termes de balance
bénéfices-risques pour les patients : pourquoi prendre le moindre risque
quand il n'y aucun bénéfice tangible démontré ?
Ensuite, à condition d'accorder la plus grande attention aux effets
indésirables décrits dans les essais cliniques, d'appliquer des
raisonnements de pharmacologie de base, et d'analyser les publications
spécialisées de pharmacovigilance du monde entier.
Enfin, à condition de toujours faire bénéficier le doute au patient, et non
à la firme : car on ne rendra pas la vie aux morts du Mediator, malgré les
procès qui ne manqueront pas d'être intentés à la firme pharmaceutique
Servier.
L'affaire Mediator° révèle des dysfonctionnements graves des autorités
sanitaires en France, bien décrits par Irène Frachon dans son livre
"Mediator 150 mg, sous-titre censuré". Des dysfonctionnements sont aussi
observés en Europe et ailleurs.
Cette affaire confirme plus généralement l'impérieuse nécessité de renforcer
l'évaluation des médicaments avant leur mise sur le marché, de manière
indépendante des firmes ; de renforcer les lois européennes et françaises
pour que les nouveaux médicaments aient à démontrer leur intérêt
thérapeutique par rapport aux médicaments de référence ; de rendre les
agences du médicament indépendantes des firmes pharmaceutiques, que ce soit
financièrement ou en termes d'expertise, trop souvent influencée par des
conflits d'intérêts avec les firmes.
Il faut aussi renforcer considérablement la pharmacovigilance, pour que
soient recherchés et analysés plus activement les cas d'effets indésirables
; rendre les décisions de retrait du marché plus rapides, car fondées sur
une évaluation médicale de la balance bénéfices-risques et non sur un
compromis économique bénéfices économiques et industriels versus les pots
cassés chez les patients.
Il n'y a là rien d'irréaliste. C'est la simple application, par les
soignants comme par les agences sanitaires et les sociétés pharmaceutiques,
sans oublier les responsables politiques, d'un principe éthique de base de
la médecine depuis Hippocrate : d'abord ne pas nuire.
©Prescrire 10 décembre 2010
Ce texte est publié dans Le Monde du 11 décembre 2010 et sur le site
www.lemonde.fr