[e-med] (2)Rapport de l'Igas sur le benfluorex-Mediator° (La Revue Prescrire)

La Revue Prescrire
Affaire Mediator° : en sortir par le haut
http://www.prescrire.org/fr/3/31/46740/0/NewsDetails.aspx

L'affaire Mediator° a révélé aux yeux de tous de graves défaillances dans
l'encadrement du marché du médicament soumis à de fortes pressions exercées
par les firmes pharmaceutiques. Ce désastre est aussi une opportunité
historique de renforcer la santé publique et de replacer l'intérêt des
patients en priorité de la politique pharmaceutique.

Prescrire salue le rapport de l'IGAS sur le benfluorex-Mediator°. Il
détaille précisément les comportements inadmissibles de la firme Servier et
de très nombreux dysfonctionnements, eux aussi inadmissibles, dans les
administrations du médicament ; comportements qui ont exposé les patients à
des dangers totalement injustifiés et ont provoqué tant de victimes.

Ce rapport doit être complété utilement par les enquêtes parlementaires.
Elles devront répondre à des questions laissées en suspens par l'IGAS :
pourquoi à de nombreuses reprises des décisions évidentes n'ont pas été
prises ? Pourquoi le Mediator° a-t-il si largement été prescrit comme
coupe-faim, alors que la firme Servier avait réussi de manière incroyable à
persuader de nombreux experts et une grande partie des autorités de santé
qu'il n'en était pas un ?

Prescrire ne commentera pas dans le détail chacune des informations établies
par l'IGAS sur Mediator°. Les faits pharmacologiques sont établis, le
benfluorex est un coupe-faim amphétaminique qui expose aux dangers de la
norfenfluramine comme y exposent la fenfluramine (ex-Ponderal°) et la
dexfenfluramine (ex-Isomeride°).

Il s'agit désormais de tout mettre en ouvre pour que de tels désastres ne se
reproduisent pas. Quand les médicaments sont correctement évalués,
fabriqués, surveillés, prescrits, dispensés et utilisés, les médicaments
sont des moyens thérapeutiques qui méritent de la confiance.
Prescrire demande d'abord qu'il soit pris une exacte mesure des conclusions
générales du rapport de l'IGAS. Ces conclusions correspondent à l'expérience
de Prescrire depuis 30 ans.

- « Surchargée de travail, empêtrée dans des procédures juridiques lourdes
et complexes, en particulier à cause de l'articulation de ses travaux avec l'Agence
européenne, bridée par la crainte des contentieux avec les firmes, l'Agence
[française] est apparue à la mission, dans le cas étudié, comme une
structure lourde, lente, peu réactive, figée, malgré la bonne volonté et le
travail acharné de la plupart de ses agents, dans une sorte de bureaucratie
sanitaire (...)

- « Le dispositif de pharmacovigilance a failli à sa mission, qui est d'identifier
et d'instruire, dans un délai raisonnable, et afin d'éclairer la décision
des responsables sanitaires, les cas d'effets indésirables graves liés à l'usage
du médicament. La raison principale de cet échec collectif est à rechercher
dans l'insuffisance de culture de santé publique et en particulier dans un
principe de précaution fonctionnant à rebours (...)

- « Dans cette affaire comme dans d'autres passées et malheureusement à
venir, ce n'est pas l'excès de principe de précaution qui est en cause mais
le manque de principe de précaution (...)

- « La multiplicité des instances sanitaires chargées du médicament, leur
cloisonnement et la complexité de leur fonctionnement rendent le système
lent, peu réactif et contribuent à une dilution des responsabilités (...)

- « La chaîne du médicament fonctionne aujourd'hui de manière à ce que le
doute bénéficie non aux patients et à la santé publique mais aux firmes. Il
en va ainsi de l'autorisation de mise sur le marché qui est conçue comme une
sorte de droit qu'aurait l'industrie pharmaceutique à commercialiser ses
produits, quel que soit l'état du marché et quel que soit l'intérêt de santé
publique des produits en question. La réévaluation du bénéfice/risque est
considérée comme une procédure exceptionnelle. La prise en compte du risque
nécessite de fortes certitudes scientifiques, l'existence d'un bénéfice
étant, elle, facilement reconnue. Dans ces conditions, le retrait d'une AMM
est perçu comme une procédure de dernier recours et comme une sorte de dédit
pour la commission qui a accordé l'autorisation (...)

- « L'Agence est trop souvent caractérisée dans son fonctionnement, par,
pour reprendre une expression entendue plusieurs fois, une « accoutumance au
risque ». Cette accoutumance est incompatible avec l'exercice d'une mission
de sécurité sanitaire (...)

- « Le fonctionnement des commissions de l'AMM et de la pharmacovigilance
est marqué par la recherche d'un consensus scientifique, ce qui conduit en l'occurrence
à un allongement des délais nécessaires à la prise de décision. Le rôle des
demandes successives d'études pour alimenter ce processus a des effets
pervers graves. C'est particulièrement frappant dans le cas du Mediator° où
les laboratoires Servier ont multiplié ce type de démarches. À ceci s'ajoute
un légalisme qui, concernant une agence qui prend 80 000 décisions par an,
conduit à un enlisement de trop de dossiers (...)

- « S'ajoute à ceci, malgré les progrès accomplis dans ce domaine depuis
1993, le poids des liens d'intérêt des experts contribuant aux travaux de l'Afssaps.
Il s'agit des liens d'intérêts financiers ou d'autres natures tels qu'ils
devraient être signalés à l'Agence, ce qui n'est pas à l'heure actuelle
systématiquement le cas, selon les déclarations mêmes de l'actuel président
de la commission d'AMM (...)

- « De manière plus globale, l'Afssaps, qui est une agence de sécurité
sanitaire, se trouve à l'heure actuelle structurellement et culturellement
dans une situation de conflit d'intérêt. Pas en raison de son financement
qui s'apparente à une taxe parafiscale, mais par une coopération
institutionnelle avec l'industrie pharmaceutique qui aboutit à une forme de
coproduction des expertises et des décisions qui en découlent. A cet égard,
la présence encore aujourd'hui d'un représentant institutionnel du LEEM (Les
entreprises du médicament) dans les commissions, et parfois les groupes de
travail, paraît inacceptable ».

Des rapports parlementaires sur le médicament (2006 pour le Sénat et 2008
pour l'Assemblée nationale) montrent que la représentation nationale est
prête pour de profonds et salutaires changements.

Prescrire a noté avec grand intérêt les premières déclarations du Ministre
de la santé, et lui demande de mettre en ouvre rapidement et fermement les
changements annoncés, en particulier :

- la gestion des conflits d'intérêts : mise en place et enrichissement
permanent d'une base de données des déclarations aux diverses agences et
commissions, aux revues scientifiques, en France et ailleurs, aussi bien par
les personnes que par les firmes, base de données devant être d'accès public
et facile ; gestion exigeante de non-conflit d'intérêts pour participer aux
réunions ; etc. ; il est capital de mettre fin à toute collusion entre
firmes et agences, comme entre firmes et organes de pharmacovigilance ;

-les comptes rendus de réunions de groupes de travail et des commissions,
détaillés, comportant en particulier les opinions minoritaires et publiés en
quelques semaines, avec les documents sur lesquels les travaux ont porté ;

- la prise en compte dans des délais raisonnables des alertes argumentées,
avec réévaluation de la balance bénéfices-risques ; sans engorger le système
par de trop nombreuses alertes examinées dans la hâte ;

- le signalement très apparent aux patients et aux professionnels de santé
qu'un médicament fait l'objet d'une surveillance particulière du point de
vue de ses effets indésirables ;

- la facilitation et la valorisation des travaux de pharmacovigilance par
les professionnels de santé ;

- le renforcement énergique des équipes des centres régionaux de
pharmacovigilance, sur fonds publics ;

- la mise en place effective d'un enseignement de pharmacologie clinique
dans la formation initiale des professionnels de santé.

Prescrire demande aussi au ministre d'affirmer sa détermination en agissant
fortement au niveau européen :
- en montrant l'exemple sur les points précédents ;
- en défendant activement les évolutions nécessaires à ce niveau décisif de
responsabilité : AMM accordées seulement en cas d'avantage tangible sur le
traitement de référence ; pouvoirs aussi importants pour la commission de
pharmacovigilance que la pour commission d'AMM ; financement exclusivement
public de la pharmacovigilance.

Quoi qu'il en soit, Prescrire poursuivra ses actions d'information et de
formation, toujours au service de l'amélioration des soins dans l'intérêt
premier des patients.

© Prescrire 17 janvier 2011