[e-med] Rapport de l'Igas sur le Médiator

[Le rapport sur le Médiator de l'IGAS est disponible à cette adresse :
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/114000028/0000.pdf
Une sélection de deux articles dont un qui retrace tout l'historique.
Nous attendons l'analyse du rapport de l'IGAS par la Revue Prescrire dans la
journée.
On n'a pas fini parler de cette histoire en France...
Du bon usage des bons médicaments....
CB]

Mediator : le rapport de l'IGAS accable Servier et le système de santé
français
pour Le Monde.fr | 15.01.11 | 17h27 • Mis à jour le 17.01.11 | 08h23

Le Mediator, un médicament pour diabétiques en surpoids, aurait fait entre
cinq cent et deux mille morts.AFP/FRED TANNEAU
Rendu public samedi 15 janvier, le rapport des trois inspecteurs de
l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le Mediator épingle
"dès l’origine, une stratégie de positionnement du Mediator par les
laboratoires Servier en décalage avec la réalité pharmacologique de ce
médicament."

Même si la mission n’avait pas légalement compétence pour investiguer les
pratiques du groupe Servier ou auditionner ses responsables, elle n’en
consacre pas moins une part importante du document à des agissements qui
font porter au laboratoire une "responsabilité première et directe", comme l’a
indiqué pour sa part le ministre du travail et de la santé, Xavier Bertrand.

Le rapport examine tout d'abord l'origine historique du benfluorex, nom
générique du Mediator. Il rappelle les recherches menées à partir de la fin
des années 1950 pour mettre au point des médicaments contre l'obésité.
"L'objectif des travaux alors engagés est de parvenir à dissocier les
propriétés anorexigènes des amphétamines de leurs effets stimulants
potentiellement dangereux." Ces travaux aboutissent, en 1960, à la
découverte d'un dérivé de l'amphétamine, la norfenfluramine, à partir de
laquelle une famille de médicament va être développée, les fenfluramines.
C'est à elle qu’appartiennent les molécules qui seront commercialisées sous
le nom de Pondéral (fenfluramine) et Isoméride (dexfenfluramine), le
Mediator (benfluorex) se transformant comme elles deux en norfenfluramine
dans l'organisme.

Les inspecteurs de l'IGAS ont prêté beaucoup d’'attention à un document :
les actes, parus en 1970 grâce au financement de Servier, d’'un symposium
tenu à Milan en 1969 sur les molécules dérivées de l'amphétamine. On y
apprend dans un article de chercheurs des laboratoires Servier que le
benfluorex (Mediator) est repéré en 1966 "pour son fort potentiel
anorexigène et la faiblesse apparente de ses effets secondaires".

LES "DISCORDANCES" DANS LA COMMUNICATION DE SERVIER

L'IGAS relève "une discordance surprenante et frappante" entre cet article
qui met en avant une action au niveau cérébral et un second, rédigé par un
autre groupe de chercheurs de Servier, puisque le benfluorex apparaît tantôt
comme un anorexigène assurément puissant, tantôt pouvant peut-être entrainer
une baisse du poids en agissant sur les métabolismes des lipides et des
glucides.
La mission a retrouvé des études initiales sur le benfluorex montrant qu'il
s’'agit d’'un "anorexigène puissant et même très puissant chez l'animal".
Mais, comme Servier commercialise déjà depuis 1963 un anorexigène, la
fenfluramine, sous le nom de Ponderal, il va privilégier "l'hypothèse d’'une
action du benfluorex sur le métabolisme des lipides et des glucides". Ce
sera la base du positionnement choisi par Servier : mettre en avant une
"spécificité" du benfluorex par rapport au groupe des dérivés
fenfluraminiques. Cette "doctrine" sera mise en application jusqu'à la
suspension de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du Mediator en
novembre 2009.

"L'insistance ultérieure des laboratoires Servier à valoriser des
indications thérapeutiques qui seraient propres au benfluorex – dont on
verra plus loin qu'elles n'ont pourtant jamais été validées – contribuera à
faire oublier au plus grand nombre ces données pharmacologiques de base. Au
moment où le benfluorex va être mis sur le marché, la préoccupation des
laboratoires Servier est de présenter ce nouveau médicament comme ce qu'il
est peut-être : un adjuvant au traitement des hyperlipidémies et du diabète
de type 2, et non comme ce qu’il est à coup sûr – un puissant anorexigène",
assènent les inspecteurs de l'IGAS.

La stratégie de camouflage adoptée par les laboratoires Servier consiste
minimiser le caractère anorexigène du benfluorex mais aussi le fait qu’il
n'est actif qu’une fois transformé dans l'organisme en norfenfluramine. Les
laboratoires Servier ont affirmé eux-mêmes ce dernier point dans un document
qu'ils ont adressé le 23 décembre 1998 au ministère italien de la santé.
"Cet 'aveu', écrivent les inspecteurs de l’'IGAS, (…) les laboratoires
Servier ont cherché, après l'avoir reconnu, à le faire oublier."

"OCCASION MANQUÉE"

Cette mention a en effet été supprimée dans la version du même document
envoyée six mois plus tard à l'Afssaps, à la demande de celle-ci. De même,
après qu'il sera établi en 1995 que la fenfluramine est une molécule
dangereuse, le groupe Servier ne cessera de répéter que le benfluorex est
radicalement différent et que les niveaux de norfenfluramine atteints dans
l'organisme sont moindres avec lui qu'avec la fenfluramine et ses dérivés.
Or, rappelle le rapport, après administration d'Isoméride, de Pondéral ou de
Mediator aux doses préconisées en thérapeutique, les niveaux des
concentrations dans le sang de la norfenfluramine sont "similaires".

La stratégie de communication des laboratoires Servier, qui oublie les
caractéristiques pharmacologiques du benfluorex, va permettre au Mediator,
"en dépit d'alertes nombreuses et répétées" de "franchir sans encombre
divers barrages qu'auraient dû être les commissions d'AMM, les comités
techniques, les commissions nationales de pharmacovigilance, les commissions
de la transparence, les vagues successives de déremboursement", résument les
inspecteurs. Ce médicament "pourra ainsi poursuivre son chemin de spécialité
pharmaceutique pendant encore 14 ans et échappera en particulier à la mise à
l'écart des anorexigènes et des fenfluramines en 1995". Après cette
"occasion manquée", le benfluorex restera encore douze ans sur le marché.

"ROULÉS DANS LA FARINE"

La mission estime que le déroulement des événements qu'elle retrace "est
très largement lié au comportement et à la stratégie des laboratoires
Servier qui, pendant 35 ans, sont intervenus dans relâche auprès des acteurs
de la chaîne du médicament pour pouvoir poursuivre la commercialisation du
Mediator et pour en obtenir la reconnaissance en qualité de médicament
antidiabétique". Les inspecteurs reprennent une expression employée par
plusieurs personnes auditionnées qui témoignaient que les laboratoires
Servier avaient "anesthésié" ces acteurs et les avaient même "roulés dans la
farine", ainsi que l’ont déclaré deux anciens présidents de la commission
d'AMM.

Dans un communiqué publié le jour même, les laboratoires Servier "prennent
acte des premières conclusions de l’enquête de l’'IGAS", mais ils
"s'étonnent des responsabilités que semblent leur faire porter les
conclusions du rapport d'’enquête" et "qui ne leur apparaissent pas
conformes à la réalité." Faute d'avoir été auditionnés, "ils souhaitent
répondre point par point et avoir l'opportunité de montrer qu'’ils ont
toujours travaillé en étroite collaboration avec les instances de
pharmacovigilance et les autorités de santé, dont ils ont scrupuleusement
appliqué toutes les décisions". Les laboratoires Servier rappellent
également "leur engagement d'assumer toutes leurs éventuelles
responsabilités à l'égard des patients qui constituent leur première
préoccupation".

Paul Benkimoun