15 taches sombres sur le visage de la Côte d'Ivoire
Par Moriba Magassouba
Correspondant de la PANA
Abidjan, Côte d'Ivoire (PANA) - Du 28 janvier 2004, date de la découverte
d'un cas à San Pedro, au 15 août dernier où le tout dernier cas était
signalé dans la région de la Marahoué, précisément à Bouaflé, le poliovirus
sauvage (PVS) a frappé indistinctement à quinze reprises dans dix localités
de la Côte d'Ivoire, faisant ainsi quinze nouvelles taches sombres sur une
carte qui, de 2000 à 2002, était totalement immaculée.
C'est ainsi que Grand Lahou, Daloa, Zuénoual, Boundiali, Tengrela, Korhogo,
Sinfra et même Abidjan, la capitale économique, ont été touchées par un PVS
plus agressif que jamais et bien décidé à se propager à l'ensemble du pays,
créant ainsi une menace urgente en santé publique, comme l'affirment les
experts.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Côte d'Ivoire fait
partie, avec le Bénin, le Botswana, le Burkina Faso, la Centrafrique, le
Tchad, la Guinée et le Mali, d'un groupe de huit pays d'Afrique
subsaharienne qui ont été réinfectés en 2004 par les poliovirus sauvages du
Nigeria et du Niger, qui s'étaient d'ailleurs déjà manifestés l'année
précédente dans des pays comme le Ghana, le Cameroun et le Togo.
A l'instar de la quasi-totalité des pays d'Afrique au sud du Sahara -à la
notable exception du couple Nigeria/Niger- la Côte d'Ivoire, qui figure
aujourd'hui dans le lot des douze pays subsahariens sans polio touchés à
nouveau par la maladie, avait pourtant fait des progrès remarquables vers
l'éradication totale de la polio, en réussissant à mettre un terme à
l'existence de la maladie sur son sol au prix d'une riposte conséquente.
C'est ainsi qu'au plan national, elle avait adhéré à toutes les initiatives
prises par la communauté internationale pour la santé de l'enfant, adopté et
mis en oeuvre des politiques et des stratégies adaptées, voté une allocation
budgétaire de 1,3 milliard de F CFA par an pour l'achat de vaccins, créé un
comité de coordination inter-agences et élaboré des plans stratégiques
quinquennaux sur la période 2001/2005.
Elle avait également organisé, depuis 1997, des campagnes de vaccination de
masse (journées nationales de vaccination) et mis en place, la même année,
la surveillance des paralysies flasques aiguës (PFA).
De l'avis de certains experts, la résurgence du poliovirus sauvage en Côte
d'Ivoire depuis janvier dernier est grandement imputable à la situation de
crise que vit le pays depuis le déclenchement de l'insurrection armée du 19
septembre 2002, avec notamment les déplacements massifs de populations
(dépeuplement et surpeuplement), la désorganisation du système sanitaire, la
destruction des équipements sanitaires dans le Nord et dans l'Ouest et
l'arrêt des prestations curatives et préventives ainsi que de la
surveillance épidémiologique dans ces deux régions.
Du fait de sa situation géographique et en raison du rôle clef qu'elle joue
dans la sous-région tant au point de vue économique que sur le plan des
échanges humains, la Côte d'Ivoire qui, avec ses quinze cas, vient en
troisième position des pays réinfectés par le PVS, après le Nigeria (571) et
le Niger (20), constitue incontestablement une priorité aux yeux des
responsables de l'OMS.
"La Côte d'Ivoire, c'est la priorité des priorités", a récemment déclaré le
docteur Matthieu Kamwa, chef d'équipe OMS inter-pays pour le Programme
élargi de vaccination, bloc épidémiologique de l'Afrique de l'Ouest,
estimant que ce pays, qui est en situation de post-conflit, est beaucoup
plus proche du Niger en terme de priorité qu'un pays comme le Togo.
"La Côte d'Ivoire est donc dans une situation tout à fait particulière,
expliquant qu'il ait été l'un des trois pays ciblés pour une visite de très
haut niveau, celle du docteur David Heyman, représentant spécial du
directeur général de l'OMS, chargé de l'éradication de la poliomyélite dans
le monde", a t-il notamment argué.
D'un coût de près de 4,5 milliards de F CFA, dont 1,6 sont encore à
rechercher, les journées nationales de vaccination polio, dans le cadre des
interventions planifiées 2004/2005, vont concerner près de 5 millions
d'enfants de moins de cinq, pour quatre passages.
Cependant le succès de l'opération, qui vise à débarrasser à tout jamais la
Côte d'Ivoire du PVS, repose essentiellement sur la mobilisation de
ressources financières et matérielles complémentaires et sur l'accroissement
de la capacité d'intervention du Programme élargi de vaccination.
Il dépend aussi du retour du personnel de santé qualifié dans les zones Nord
et Ouest d'où ils avaient été évacués du fait de la guerre, ainsi que de
l'amélioration des infrastructures, de la logistique et de l'équipement dans
ces zones.
Abidjan - 05/10/2004