Une épidémie de polio liée à des vaccins au Nigeria
LESLIE ROBERTS.
Publié le 28 septembre 2007
Actualisé le 28 septembre 2007 : 08h25
http://www.lefigaro.fr/sciences/20070928.FIG000000066_une_epidemie_de_polio_
liee_a_des_vaccins_au_nigeria.html
Les autorités sanitaires ont tardé à rendre public le problème.
LE NORD du Nigeria a été frappé par l'une des plus grosses épidémies de
poliomyélite, due à la vaccination, que l'on ait connue. Si elle se
poursuit, elle pourrait être un sérieux revers dans la campagne actuelle
d'éradication de la polio dans le monde, dans une région où, il y a
plusieurs années, les rumeurs sur l'innocuité du vaccin avaient paralysé les
efforts de vaccination.
Les experts du programme Global Polio Eradication Initiative soulignent que
le vaccin oral trivalent largement utilisé est sûr. En revanche, le faible
taux d'immunisation dans le nord du Nigeria a créé les conditions pour que
le virus atténué du vaccin regagne de la virulence et soit à l'origine d'une
épidémie.
Détectée en 2006, l'épidémie due au poliovirus de type 2 dérivé du vaccin
(PVDV) a été immédiatement signalée à l'Organisation mondiale de la santé
(OMS) et aux autorités sanitaires du Nigeria. Mais elle n'est rendue
publique que maintenant dans deux périodiques, le Morbidity and Mortality
Weekly Report américain et le Weekly Epidemiological Record de l'OMS, ce qui
sème en partie la consternation parmi les spécialistes. Les circuits
officiels ont déclaré que la nouvelle, mal interprétée, risquait de
perturber les efforts de vaccination antipolio au Nigeria. « On pouvait
légitimement craindre que les rumeurs sur la vaccination ne se ravivent avec
des explications incomplètes sur les causes de l'épidémie », dit Olen Kew
qui a dirigé les recherches sur la résurgence de la maladie à partir des
centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC) d'Atlanta aux
États-Unis.
69 cas de paralysie confirmés
Plusieurs experts de la polio ont indiqué à la revue Science qu'ils
n'étaient pas d'accord pour garder les choses sous silence. « Cela me
dérange que l'information n'ait pas été donnée, » déclare Donald A.
Henderson, du Centre pour la biosécurité de l'Université de Pittsburgh. Les
détails de l'apparition de toute épidémie sont essentiels, selon lui, pour
évaluer les risques que présentent les souches dérivées du vaccin.
Jusqu'à présent, il n'y a eu que 69 cas de paralysie confirmés dus au PVDV
et d'autres sont suspectés dans neuf États du nord du Nigeria, précise Kew.
Ce nombre va certainement augmenter. Environ la moitié des cas viennent de
la région de Kano, un État largement musulman où sentiments antioccidentaux
et rumeurs ont conduit plusieurs États à arrêter la vaccination contre la
polio en 2003. Elle a repris un an plus tard, après des démonstrations
répétées de l'innocuité du vaccin et d'intenses tractations diplomatiques,
mais le mal était déjà fait.
Fin 2004, le nombre de cas de polio avait doublé dans le pays, atteignant
presque 800, et en 2006 il s'est envolé à 1 100. Le virus sauvage issu du
Nigeria a recontaminé une vingtaine d'autres pays, ce qui a provoqué un pic
de cas dans le monde. Ce fut un énorme revers pour le Global Polio
Eradication Initiative. Ce n'est que récemment que le nombre de cas déclarés
dans le monde est revenu aux niveaux d'avant le boycott.
Le Nigeria a fait des progrès considérables depuis, mais les souches
sauvages du poliovirus, de type 1 et 3, sont toujours en circulation dans le
Nord et la couverture vaccinale reste faible : en 2006, entre 6 % et 30 %
des enfants n'avait jamais reçu une seule dose de vaccin oral. Ce sont
exactement ces conditions qui rendent la région susceptible à des épidémies
de PVDV. Depuis les années 1960 les scientifiques savaient qu'un virus
atténué peut, en de rares circonstances, muter et regagner sa virulence mais
ce n'est qu'en 2000, lors d'une épidémie sur l'île d'Hispaniola, qu'ils ont
réalisé qu'il pouvait transmettre la maladie entre les personnes.
Couverture « pas adéquate »
L'épidémie actuelle fut découverte lorsqu'un technicien des laboratoires du
CDC remarqua une prépondérance de virus de type 2 dans les prélèvements
venant du nord du Nigeria. Cela éveilla tout de suite des soupçons car ce
type a été éradiqué dans le monde. La source ne pouvait être que le vaccin
trivalent utilisé dans le pays avant le boycott. Depuis la reprise des
vaccinations en 2004, indique Kew, le Nigeria a utilisé « de façon
appropriée » les vaccins monovalents plus efficaces dirigés contre les
souches 1 et 3.
Dans les épidémies précédentes, les PVDV avaient été relativement faciles à
éliminer mais celui-là a persisté en dépit de quatre campagnes de
vaccination effectuées ces dernières années avec le vaccin oral trivalent. «
Nous suspectons que c'est simplement parce que la couverture vaccinale
n'était pas adéquate, précise Kew. Nous ne pensons pas que ce virus ait
quelque chose d'exceptionnel. » Il remarque ainsi que lorsque les deux
souches de PVDV ont franchi la frontière du Niger, un pays où la vaccination
est faite à 90 %, « ils n'ont progressé que de 5 km avant de disparaître. »
Le spécialiste de la polio Oyewale Tomori, vice-recteur de l'Université
Redeemer près de Lagos et siégeant au comité consultatif des experts pour
l'éradication de la polio du pays, dit qu'il a pressé les autorités de
diffuser l'information. Ne rien dire, s'inquiète-t-il, pourrait alimenter
les soupçons sur l'innocuité du vaccin au lieu de renforcer les efforts
nécessaires à l'immunisation au Nigeria.
Cet article paraît aujourd'hui dans la revue internationale Science, éditée
par l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS).
Traduction de Pierre Kaldy pour Le Figaro.