(Enquête très poussée... Comment réagir ? CB)
VENTE DE MÉDICAMENTS : Arnaque dans les pharmacies burkinabè
mercredi 10 avril 2013
Un même produit pharmaceutique vendu à des prix différents, dans une même
ville, au Burkina Faso. Des écarts qui peuvent varier à des milliers de
francs CFA, d¹une officine à l¹autre, surtout dans les deux grandes villes
du pays que sont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Des citoyens crient à
l¹arnaque.
http://www.lefaso.net/spip.php?article53688
Idrissa Nabi est un Ouagalais âgé de 27 ans. Il est fébrile. Décidé de
savoir de quoi il souffre, il se fait consulter dans une clinique située à
Wayalguin, au secteur n°41 de Ouagadougou (ex-secteur n°27). L¹examen
parasitologique du sang, communément appelé goutte épaisse, est positif :
120 trophozoïtes de plasmodium falciparum/ul (agent causal du paludisme)
sont repérés. Ordonnance en main, il part à la recherche d¹un
antipaludéen, notamment une spécialité comme Artefan. Un tour dans une
pharmacie, le paludéen ressort sans le produit. Son porte-monnaie est
moins garni. La spécialité lui a été proposée à 3 400 FCFA. Sur son vélo,
de nouveaux coups de pédale l¹amènent devant une autre officine, située à
un jet de pierre de la première. La vendeuse lui propose le même remède à
4000 FCFA. Le malade finit par se rabattre sur un médicament générique :
l¹artemeter-lumefantrine. « Les spécialités sont chères », s¹exclame-t-il.
Nonobstant la cherté relevée par le jeune homme, il est bon de souligner
qu¹il y a un écart de 600 FCFA sur le prix de l¹Artefan entre les deux
pharmacies. Est-ce normal ? Pourquoi autant de différence de prix sur la
même spécialité d¹une pharmacie à l¹autre ? Les officines
fonctionnent-elles comme des boutiques où souvent les prix varient en
fonction des « humeurs » du propriétaire ? Des questions qui intriguent le
consommateur. Pour le malade Nabi, les pharmaciens travaillent « comme des
commerçants ». « La pharmacie n¹est plus conçue comme un endroit où les
gens vont chercher la solution à leur maladie, mais un moyen pour les
pharmaciens de s¹enrichir sur le dos des patients. Ils ne font que
spéculer sur le prix des médicaments », affirme-t-il, tout remonté. Les
pharmaciens, à travers leur Ordre, ne l¹entendent pas de cette oreille. Dr
Laopan Jean Paré, président de l¹Ordre affirme que la raison d¹être du
pharmacien est de conseiller le patient. C¹est d¹ailleurs le fondement du
« Serment de Galien », qu¹il prête avant l¹exercice de son métier. En
outre, les officines ne sauraient fonctionner à l¹image des boutiques de
marchandises diverses. Parce que le calcul des prix suit un schéma. « Il y
a le Prix grossiste hors taxe (PGHT). Le grossiste donne son prix après
avoir multiplié avec son coefficient multiplicateur, appelé prix cession.
Le pharmacien va prendre le produit chez le grossiste à ce prix. Il
applique aussi son coefficient multiplicateur qui est de 1.32. Mais en
réalité, le pharmacien ne fixe pas les prix lui-même. Avant que le
grossiste n¹envoie le médicament en pharmacie, il a fait déjà les calculs
et fixé le prix public. Les pharmaciens ne font que les appliquer »,
explique le président de l¹Ordre. Les grossistes sont-ils conscients que
les prix qu¹ils fixent changent, à tout vent, d¹une pharmacie à l¹autre ?
Sont-ils les maîtres d¹¦uvre de ces changements ? Des questions parmi tant
d¹autres qui n¹ont pas eu de réponses chez les grossistes, malgré plus de
trois mois d¹insistance de notre part auprès de quelques-uns d¹entre eux.
Que cherchent-ils à cacher aux patients ? Pourquoi ce silence radio ? Qu¹à
cela ne tienne, un constat sur le terrain montre que les patients sont
mécontents. Muni de plusieurs ordonnances, avec les mêmes prescriptions
médicales, nous faisons la ronde de quelques « dépôts » dans les deux
grands pôles de consommation du Burkina Faso : Ouagadougou et
Bobo-Dioulasso.
La palme d¹or à Bobo-Dioulasso
Après avoir visité cinq pharmacies sur la quarantaine que compte la
capitale économique du Burkina, le constat est amer. Le prix de la boîte
du Tahor 20 milligrammes comprimés, un antihypertenseur, va de 18 894 F
CFA à 29 295 F CFA. Soit une différence de 10 406 entre le coût le moins
élevé (18 894 F CFA) et le plus cher (29 300 F CFA). A Ouagadougou, dans
dix officines sur les 119, ce médicament est vendu à 29 295 F CFA ou 29
300 F CFA. Soit une différence de 5 F CFA. Pourtant, le Tahor est
enregistré au ministère de la Santé à 20 683 F CFA. Cet exemple n¹est que
la face visible de l¹iceberg. Sinon, les cas de disparité sont légion. Au
regard des prix cités plus haut, il ressort que les dissemblances à
Bobo-Dioulasso sont plus frappantes. Cette situation n¹est pas nouvelle
pour le Conseil régional de l¹Ordre des pharmaciens de la cité de Sya. Ses
responsables ont même tapé du poing sur la table en 2011 dans l¹intention
de ramener les brebis galeuses dans les rangs, selon le président régional
de l¹Ordre, Dr. Arouna Sanou. « Nous avons appris que des officines
pratiquaient des prix différents sur le même produit. Nous avons alors
attiré l¹attention des uns et des autres au respect des prix fixés par les
grossistes. Certains commandaient des médicaments avec la CAMEG, mais
appliquaient les prix donnés par les privés. La différence est grande
parce que le privé a des charges », affirme Dr. Sanou. Toutefois, selon un
pharmacien de Bobo, Marcel Ki, des commandes spéciales de certains
produits, suite à un besoin urgent ou l¹absence de ceux-ci, peuvent
contribuer à gonfler les coûts. Ajouté à cela, de l¹avis de M. Ki, des
officines sont obligées de vendre à l¹ancien prix même si entre-temps, le
coût chute. « J¹avais plus de mille Artefan sur la base de l¹ancien prix à
3 980 F CFA. Ils sont venus donner un nouveau prix de 3330 F CFA.
Voulez-vous que je diminue les prix ? Voulez-vous que je vende sans
intérêt ? Je continue de vendre à l¹ancien prix. Advienne que pourra,
jusqu¹à ce que mon ancien stock finisse », a-t-il soutenu. Le délégué
médical, Moussa Bancé, balaie du revers de la main cet argumentaire. «
Dire que c¹est l¹ancien stock qui est vendu est un faux problème. Pour la
simple raison qu¹il n¹y a plus de gros stock. Les grossistes sont là pour
vendre les produits pratiquement au jour le jour. Ils ne peuvent pas nous
convaincre avec cet argument », rejette-t-il. Du côté de la direction de
la réglementation pharmaceutique, des contrôles réguliers sont effectués,
mais aucune officine n¹a été prise dans les mailles du filet. Cette
confirmation est du premier responsable de cette direction, Pr Rasmané
Semdé. Néanmoins, pour lui, ce ne sont que de légères différences. « Sur
un produit qui coûte 5000 F CFA ou 10000 F CFA, la différence ne dépasse
pas souvent 100 F CFA. C¹est parce que les pharmacies ne sont pas
localisées dans les mêmes lieux et elles ont des circuits
d¹approvisionnement différents », justifie le contrôleur.
Le manque des spécialités sur le marché
Sur l¹ordonnance médicale, en plus du Tahor 20 milligrammes comprimés,
nous avions besoin du Tenordate gélules une boîte, du Préviscan 20
milligrammes une boîte, du Coversyl 10 milligrammes comprimés une boîte,
d¹une autre de Cardensil 10 milligrammes et du Célébrex comprimés une
boîte. C¹est pour un traitement de maladies cardio-vasculaires. Une autre
difficulté va se dresser. Il s¹agit de la non-disponibilité de ces
produits. De Ouagadougou à Bobo-Dioulasso, aucune pharmacie n¹a pu honorer
l¹ordonnance dans son intégralité. Théophile Koudogbo, professeur de
français, est un habitué des situations de manque, lui qui souffre d¹une
maladie cardio-vasculaire. « En plus d¹être coûteux, nous avons des
problèmes de disponibilité des produits pharmaceutiques », déplore le
malade. Il n¹est pas le seul à subir ce manque de spécialités. A en croire
Alphonsine Dipama, une cliente et mère de famille, le traitement des
enfants nécessite une attention particulière. Par conséquent, elle ne
lésine pas sur les moyens quand il s¹agit de la santé de son petit « bout
de bois ». « Mon bébé de sept mois est présentement souffrant. Les
produits prescrits sont introuvables. Je suis à la troisième pharmacie. A
chaque fois, ils me proposent des équivalents en générique. Je ne peux
prendre le risque de m¹amuser avec la santé de mon enfant. Je ne comprends
pas pourquoi les médicaments manquent fréquemment dans nos pharmacies »,
indique dame Dipama, à bout de souffle. Qui est le responsable de cette
rupture ? Pourquoi les fournisseurs sont incapables de ravitailler le
marché ? De l¹avis du président de l¹Ordre des pharmaciens, tous les
médicaments homologués par le Burkina Faso devraient être disponibles chez
les grossistes. Mais pour lui, certains médicaments sont prescrits par les
infirmiers sans pour autant être enregistrés par le ministère de la Santé.
Aussi, ils sont nombreux les pharmaciens, à l¹image de Marcel Ki, qui
expliquent cela par la méconnaissance des médicaments disponibles des
médecins. « Parfois, les médecins ne connaissent pas les médicaments. Ils
les prescrivent parce qu¹ils l¹ont vu en Europe pendant leurs études ou
bien ils consultent le VIDAL pour les prescrire. Alors que c¹est un
document utilisé en France et non au Burkina », déplore l¹officinal.
Cependant, le cardiologue, Evariste Dabiré, estime qu¹il est très rare
pour un docteur de prescrire un médicament qui n¹est pas enregistré. «
Normalement, les produits homologués devraient être sur le marché alors
que cela n¹est pas souvent le cas. Ce problème revient aux fournisseurs
sur le plan national qui ne prennent pas un certain nombre de produits
parce qu¹ils sont difficiles à écouler », rétorque le spécialiste en
cardiologie. La situation dépeinte dans les deux grandes villes vaut-elle
encore mieux que dans les campagnes ? Réponse à qui de droit.
Steven Ozias KIEMTORE
kizozias@yahoo.fr