VIH : traiter au plus tôt pour mieux contrôler le virus
Une étude française chez des primates suggère qu’instaurer précocement un traitement antirétroviral réduit le risque de rebond viral à son arrêt.
Par Florence Rosier
Publié hier à 17h00
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/01/23/vih-traiter-au-plus-tot-pour-mieux-controler-le-virus_6212527_1650684.html
Diagnostiquer au plus tôt les infections par le VIH, pour les traiter au plus tôt. Une étude publiée le 11 janvier dans la revue Nature Communications livre un argument de poids en faveur de cette stratégie. Car, au-delà de l’intérêt collectif – stopper la chaîne de contamination –, le bénéfice est aussi individuel. Un traitement antirétroviral précoce, montre ce travail, favorise une réponse immunitaire durable, capable de neutraliser le virus même après arrêt du traitement. Menée chez le macaque, l’étude est signée par des équipes de l’Institut Pasteur (Paris), du CEA et de l’Inserm (université Paris-Saclay).
De quoi mieux comprendre un phénomène observé dans les années 2000 chez un petit groupe de patients, les « contrôleurs post-traitement ». En France, trente et un d’entre eux sont suivis au sein de la cohorte Visconti. Ils ont bénéficié de façon précoce d’une combinaison d’antirétroviraux, la fameuse trithérapie (pour 80 %, dans les trois mois après la primo-infection), qu’ils ont suivie plusieurs années (trois ou quatre ans, en durée médiane). Alors même qu’ils ont stoppé leurs médicaments, le virus est resté indétectable dans leur sang jusqu’à vingt-trois ans après cet arrêt, la durée médiane du suivi étant de quatorze ans. Un phénomène très rare : dans l’immense majorité des cas, dès qu’un patient interrompt sa thérapie antirétrovirale, le VIH se multiplie de nouveau et la maladie progresse.
Comment expliquer ce contrôle du virus ? En 2013, l’importance d’instaurer très tôt le traitement – la trithérapie – a été invoquée. Restait à le prouver formellement. Les auteurs ont comparé trois groupes de macaques infectés par le SIV, virus de l’immunodéficience simienne. Ce modèle permet un contrôle des autres paramètres (sexe, âge, terrain génétique, souche du virus…) susceptibles de modifier les réponses immunitaires et la progression vers la maladie.
Eduquer la réponse immune
Le premier groupe (11 animaux) a reçu une trithérapie standard quatre semaines après l’infection (phase aiguë). Le deuxième (11 animaux) a débuté ce même traitement six mois après l’infection (phase chronique). Dans les deux cas, le traitement a été interrompu au bout de deux ans. Quant au troisième groupe (17 animaux), il n’a pas été traité.
Résultats : 9 des 11 macaques traités précocement ont contrôlé la multiplication du virus dans le sang, contre seulement 2 des 11 singes traités tardivement et 2 des 17 non traités. « Le traitement précoce a très fortement accru la probabilité du contrôle viral après l’interruption du traitement », résume Asier Saez-Cirion, de l’Institut Pasteur à Paris, qui a coordonné l’étude avec Roger Le Grand, de l’université Paris-Saclay (CEA, Inserm). Si le traitement est mis en route cinq mois plus tard, la « fenêtre d’opportunité » est passée.
Mieux encore, cette étude met en lumière le mécanisme sous-jacent. Le traitement précoce préserve des forces spéciales des défenses immunitaires, une unité d’élite formée de cellules T CD8. Elles gardent alors une mémoire du virus qui, après l’arrêt du traitement, leur permettra de juguler le « rebond viral ».
« Cette étude est un plaidoyer pour un dépistage et un traitement précoces de l’infection par le VIH », estime Jean-Michel Molina, chef du service de maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Saint-Louis et à l’hôpital Lariboisière, à Paris. L’avantage est double : réduire le risque de transmission et renforcer la réponse immune.
Reste que dans la vie réelle, traiter tôt est un défi : il faut diagnostiquer tôt. Or, en France, par exemple, « le délai moyen entre la primo-infection et le diagnostic est d’environ trois ans », indique Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS). « Il faudrait mettre en place des dépistages réguliers et répétés chez les personnes exposées au risque », souligne Jean-Michel Molina. Pour autant, « on manque de tests accessibles permettant un diagnostic très précoce, en particulier dans les pays à forte prévalence du VIH », regrette Alexandra Calmy, responsable de l’unité VIH-sida des hôpitaux universitaires de Genève (Suisse).
Des molécules antirétrovirales injectables
Attention aussi au message délivré. « Il ne faudrait pas laisser croire que parce que des patients sont traités tôt, ils pourront arrêter sans risque leur traitement », relève Jean-Michel Molina. « Ni qu’ils seront guéris », insiste Yazdan Yazdanpanah. Car il ne suffit pas d’instaurer rapidement la trithérapie. D’après la cohorte Visconti, d’autres facteurs entrent en jeu pour favoriser le contrôle du virus, notamment des gènes (tel BW4) renforçant l’immunité innée.
« Il existe une demande de plus en plus forte des associations de patients pour se passer des comprimés quotidiens », relève Alexandra Calmy. Dans cette optique, la recherche de traitements antiviraux à longue, voire très longue durée d’action est très active. On dispose déjà de molécules antirétrovirales injectables (cabotégravir, rilpivirine, lénacapavir), administrées tous les deux à six mo
Et puis, il y a cette possibilité d’interrompre une trithérapie commencée tôt, mais « dans le cadre d’un essai clinique, avec un suivi médical rapproché des patients », note Alexandra Calmy. Avec un autre espoir : celui d’augmenter les chances de succès de cette stratégie à l’aide de molécules qui boostent la réponse immune anti-VIH, nommées « anticorps à large spectre ». Différents essais cliniques sont en cours. L’un d’eux, qui évalue l’intérêt d’administrer ces anticorps d’emblée, devrait débuter en France « de façon imminente », annonce Asier Saez-Cirion.