[e-med] (19)Liste de livres "activistes" sur Big Phama ou sur les médicaments à problèmes

Bonjour et merci Douglas pour cette longue liste,

Il serait intéressant de faire une méta-analyse de l'ensemble de ces
ouvrages, en analysant notamment les abus par pays et en établissant un
consensus de recommandations pour dégager l'essentiel.

Je me permets de signaler la sortie d'un ouvrage fort intéressant «
Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous ». Plusieurs chapitres abordent
les questions de santé de manière opportune en mettant en évidence
l'impact des inégalités : santé mentale, usage de drogue, espérance de
vie, etc...etc...
http://www.sciencespo.fr/chaire-developpement-durable/sites/sciencespo.fr.c
haire-developpement-durable/files/42_131018_invitation%20conference%20Wilki
nson.pdf

Ce type d'analyse est salutaire, la santé ne peut être déconnectée de la
société, les dysfonctionnement des systèmes de santé sont bien souvent le
résultat de dysfonctionnements de la société.

Des sociétés très inégalitaires poussent indubitablement vers des systèmes
de santé publique à plusieurs vitesses avec en corollaire : d'un côté une
sur-consommation de médicaments des populations solvables et de l'autre
côté une sous-prévention des populations non solvables avec une
augmentation des maladies graves. Cette financiarisation de la santé
induit que l'accès aux soins n'est vu que comme un service et pas un droit
humain, l'industrie pharmaceutique ne fait que suivre le mouvement et s'y
adapte comme n'importe quelle autre industrie en segmentant les messages
et produits par type de cible et l'utilisation de stratégies commerciales
et marketing.

Je me permets de citer un passage de l'ouvrage :

« L'idée maîtresse est la suivante. Ce qui détermine la mortalité et la
santé dans une société tient moins à la richesse globale de la société en
question qu'à la répartition égalitaire de la richesse. Mieux la richesse
est répartie, meilleure est la santé de cette société. L'inégalité va de
pair avec une espérance de vie moins longue, une mortalité
infanto-juvénile plus élevée, des individus plus petits, une mauvaise
auto-évaluation de la santé, une insuffisance pondérale à la naissance, le
sida et la dépression ».

NB : on peut valider cette assertion par exemple en constatant une
mortalité infanto-juvénile au Sénégal bien inférieure à celle de tous les
pays pétroliers du golfe de Guinée, et dans le même temps un revenu par
habitant au Sénégal bien inférieur à ceux des pays pétroliers. Moyens
financiers d'un pays et résultats en matière de santé ne sont donc pas
automatiquement liés, le nerf de la guerre n'est pas que l'argent
contrairement à des idées reçues et très largement véhiculées.

Raison pour laquelle lorsque je lis tous les appels de fonds pour des
programmes internationaux de santé spécifiques en Afrique, je me demande
quels sont les réformes de structures (et de stratégies) qui sont
également demandées et quelle est la vision de la société qui est
sous-tendue. Injecter constamment de l'argent dans des systèmes
défaillants et inégalitaires ne fait qu'accroitre les dysfonctionnements.
Il faudrait avoir le courage de demander de profondes réformes en
parallèle des appels de fonds (voir notamment recommandations d'Oxfam ou
nos recommandations parues dans l'article sur les inégalités dans Médecine
et Santé Tropicale).

Si on prend par exemple l'épidémiologie de l'hépatite C en Afrique, on
constate une augmentation assez significative de la prévalence du fait
notamment de l'augmentation des consommations de drogues. L'ouvrage en
question met bien en
évidence, très logiquement, que la consommation de drogues d'une manière
générale est favorisée par la paupérisation et la marginalisation de
populations. Tout ceci est parfaitement logique.
De fait, il est illusoire de vouloir combattre les conséquences des
drogues seulement par des programmes de santé. Ce n'est pas l'accès aux
traitements qui va résoudre le problème de l'hépatite C en Afrique, mais
bien des programmes de développement qui tendent vers des sociétés plus
harmonieuses en évitant au maximum l'exclusion
des plus pauvres. Autre point, si le livre « Big Pharma » mettait
largement en exergue des cas d'abus sur des médicaments liés à la
dépression, l'ouvrage « Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous » met
bien en évidence l'augmentation significative des cas de dépression dans
des sociétés fortement inégalitaires; pourquoi ne pas agir directement à
la source du problème ?

Si j'avais une proposition polémique à faire je dirais qu'il conviendrait
de s'assurer que les responsables d'organisations internationales qui ont
une influence sur les stratégies de santé impulsées en Afrique proviennent
en large majorité de pays à faible coefficient de Gini, culturellement ils
sont certainement plus aptes à promouvoir la compression des inégalités au
travers des programmes dont ils ont la responsabilité. Or c'est plutôt
l'inverse que l'on peut constater et on ne peut que déplorer chaque jour
des inégalités croissantes d'accès aux soins en Afrique. C'est une
trajectoire qui mène directement dans le mur et fragilise grandement les
pays africains et favorise entre autres la criminalité, les trafics (voir
tous les échanges sur e-med à propos des faux médicaments), les conflits
et les fondamentalismes.

En ce sens, le rapport d'Oxfam précité va dans la bonne direction. Les
récentes annonces du président du Sénégal (gratuité des soins pour tous
les enfants de moins de cinq ans, mise en place progressive d'une
couverture universelle de santé) sont également des éléments structurants
qui visent à combattre les inégalités. On peut également rappeler que le
président du Sénégal avait lors de son investiture fait une déclaration de
patrimoine, ce qui est positif et doit être relié aux autres éléments dans
le cadre d'une vision globale de la société.

Au niveau de l'IPLH, nous avions avec l'appui du GISPE (Groupe
d'Intervention en Santé Publique et Epidémiologie) définit des critères de
santé publique à envisager pour des programmes de santé, et de manière non
spécifique aux hépatites. Nous avions notamment mis en exergue
l'importance de définir des actions qui peuvent toucher toutes les
populations et réduire les inégalités (critère UNIVERSEL) :
http://hepatitesafrique.org/index.php/les-hepatites-en-afrique/criteres-de-
sante-publique

Je souscrit aux constats négatifs du Pr Kerouedan sur la lutte menée
contre le VIH en Afrique. On ne peut avoir une démarche purement médicale
par rapport à un tel fléau. Lorsqu'on voit un maintient d'un haut niveau
de nouvelles contaminations et qui touche en particulier les femmes (2 sur
3), on doit comprendre que des populations marginalisées ou les plus
fragiles en Afrique sont les plus grandes victimes parce que déjà dans des
situations de grande inégalité (revenus, droits, violences, etc...).
http://www.revuemedecinetropicale.com/515-528_-_LO_-_kerouedan_515-528_-_LO
_-_kerouedan.pdf

La machine humanitaire (au sens large) est très largement comptable de ne
pas avoir adressé les problèmes à l'origine des inégalités et de ses
conséquences en Afrique, en particulier dans la santé. Elle n'a pas
combattu les oligarchies qui bloquent les systèmes de répartition et qui
cherchent à maintenir et développer le patrimoine d'un pourcentage
restreint d'individus au détriment du grand nombre. L'Aide au
Développement qui ne lie pas explicitement aide financière et volonté
politique de comprimer les inégalités est une claire invitation à
poursuivre un système inégalitaire et par conséquent non éthique. Il est
temps que l'APD fasse des arbitrages tranchés et favorise les pays qui
sont dans une démarche de compression des inégalités. On ne peut également
que regretter l'assèchement des ressources d'une organisation comme l'OMS
qui n'aura plus comme alternative d'inviter à accroitre les PPP qui ne
font que démultiplier le nombre d'acteurs et d'initiatives, peu propice à
la réduction des inégalités de santé du fait de la complexité croissante
des programmes.

D'une manière générale, il convient de combattre systématiquement toutes
les initiatives de santé qui ne démontrent pas leurs capacités à comprimer
les inégalités. Les stratèges de santé publique doivent faire une totale
abstraction des desiderata des lobbys et je dirais même des activistes si
ceux-ci ne démontrent pas que leurs actions visent à diminuer les
inégalités. L'abaissement des coefficients de Gini en Afrique, qui passe
aussi par la transparence publique dans toutes ses composantes, aura un
impact bien plus considérable pour la santé des populations africaines que
les diverses stratégies médicales ciblées imaginées depuis X années dans
le cadre d'un millefeuille d'actions devenu illisible ou foisonnent de
multiples intérêts spécifiques. Par ailleurs, l'Afrique a énormément
souffert de conflits qui lui on fait perdre beaucoup d'années dans son
développement, avec en particulier des conséquences sanitaires
désastreuses (voir par exemple les messages récents sur e-med concernant
la RCA), ceci est également la conséquence directe d'inégalités
incroyables.

Tant que les inégalités prospéreront en Afrique, on peut s'attendre à de
nouveaux beaux ouvrages sur les abus de l'industrie pour les années à
venir.
L'industrie s'adapte au cadre qu'on lui soumet, lorsqu'il est permissif il
entraîne des abus, et tant que des stratégies de santé publique
rationnelles (et holistiques) ne seront pas en place il ne faut pas
s'attendre à des miracles. Il faut se désintoxiquer du paradigme qu'à
chaque problème de santé il faut trouver un traitement médical. Vouloir se
focaliser sur les abus de l'industrie pharmaceutique, même si c'est
absolument nécessaire de les dénoncer, c'est avant tout occulter tous les
problèmes en amont qu'on n'a pas eu le courage de traiter et de ne pas
assumer la responsabilité sociétale qui incombe à chacun.

Bonne journée et bonne lecture,
Bertrand Livinec

Merci Bertrand

Je ne suis pas sur que ce livre - «Pourquoi l'égalité est meilleure pour
tous » - est directement lié avec le thème de médicaments essentiels
mais nous le prendrons en considération.

Douglas
Co-modérateur, E-Drug