Bonjour à tous,
REMED me demande de résumer la publication que je vous ai communiquée il y a 2 jours sur le financement de la santé dans les pays en développement, parue dans le Lancet du 8 août 2009
voici très rapidement résumées les idées
il s'agit d'un commentaire, dont le format dans la revue du Lancet est limité à 700 mots. J'ai souhaité donner un second écho à l'audit de la Cour européenne des comptes publié en janvier 2009 qui analysait de façon très pertinente de mon point de vue l'appui de la Commission européenne au secteur de la santé en Afrique. L'intérêt de cet audit est que ses analyses et les questions soulevées concernent tout aussi bien les interventions bilatérales des Etats membres de l'Union européenne (dont la France et le Royaume Uni) que d'autres initiatives, telles que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ou les financements innovants très à la mode. Vous avez toutes les références des documents à partir duquel le commentaire est construit, à la fin de la publication avec les liens internet qui vous mènent directement aux documents commentés. Je vous encourage à les lire, car c'est à partir de ces réflexions politiques que nous pouvons orienter différemment nos stratégies et être plus efficaces sur le terrain, c'est le sujet du papier
De plusieurs évaluations majeures qui ont été publiées en 2009 ( Audit de la Commission européenne par la Cour des Comptes, évaluations indépendantes externes des interventions en santé de la Banque mondiale sur 10 ans, du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme sur 5 ans), on retient que:
1. l'argent de l'aide ne bénéficie pas aux plus pauvres contrairement aux objectifs affichés des institutions internationales; c'est d'ailleurs ce que confirme très précisément l'évaluation des interventions de la Banque mondiale en santé sur les dix dernières années; en outre les évaluations ne permettent pas de dire si tous ces dons ont permis de réduire la participation financière des usagers, ce qui aurait été intéressant aussi dans le cadre des stratégies de lutte contre la pauvreté où les secteurs sociaux ont été mis en exergue
2. l'allocation de l'aide publique au développement en faveur de la santé n'est pas fondée du point de vue de l'épidémiologie et de la santé publique; ainsi le sida est ce que je baptiserais "a disease- darling" même dans des pays où il n'est pas une priorité de santé publique, et bénéficie de financements très importants au risque de créer des déséquilibres aux dépens d'autres programmes tout aussi fondamentaux tels que la santé maternelle et infantile ou les appuis aux systèmes de santé dans leur ensemble (ce qui enlève rien à ce que les appuis à la lutte contre le sida ont aussi apporté ponctuellement aux systèmes de santé, au laboratoire, au médicament , à l'information sanitaire, au S&E, etc. ici l'analyse est globale);
Le rapport d'évaluation de la Banque mondiale stipule très clairement que ces déséquilibres retentissent de manière négative sur les systèmes de santé, ce qui est rarement aussi clairement démontré par ailleurs, même si nous le présumons; je ne dis pas qu'il faut moins d'argent pour lutter contre le sida (ce n'est pas moi qui vais dire cela), je dis que la communauté internationale doit être plus rationnelle lors de l'allocation de ses financements à l'échelle globale et pays par pays selon les priorités nationales;
Le rapport de la 3ème étude d'évaluation du Fonds mondial montre bien que l'allocation des financements rapportée à l'ampleur de l'épidémie, ou au nombre de personnes atteintes de VIH, est très inégale d'un pays à l'autre; les mêmes constats sont observés pour la tuberculose et le paludisme;
3. les nouveaux instruments de financement du secteur de la santé désormais privilégiés autant par les Etats que par les institutions d'aide, tels que les aides budgétaires globales et financements innovants ou les initiatives mondiales des partenariats publics privés mondiaux, n'ont pas clairement démontré avoir un impact sur l'état de santé; je me réfère ici à l'audit britannique de l'aide budgétaire globale britannique, je me réfère à l'audit de la Cour des Comptes européenne qui analyse les financements de la Commission (donc des Etats membres, la France finance 1/4 du Fonds européen de développement) et je me réfère aux résultats de la 3ème étude d'évaluation à 5 ans du Fonds mondial, qui montrent que plus d'argent a permis de multiplier les points d'offre de soins et les services de prévention et de prise en charge oui, mais que l'impact en termes de réduction de la propagation des maladies et d'amélioration de l'état de santé est loin d'être évident, malgré tous les financements. Le manque de données explique en partie ce flou à répondre sur l'impact. Mon point ici est que la réponse financière ne suffit pas. Il s'agit, à l'échelle globale et nationale, d'être plus ciblé et plus stratégique tant en prévention qu'en prise en charge et en appui aux systèmes de santé, ce que les financements mondiaux ou d'aide budgétaire globale ont du mal à accompagner dans un contexte de pénurie de personnels de santé et de manque de politique et de coordination de l'expertise technique
Enfin j'insiste sur la nécessité, dans le contexte de crise financière mondiale et de crise mondiale de pénurie des personnels de santé : (i) de consacrer plus mais surtout mieux d'argent au secteur de la santé et de façon pas seulement coordonnée mais aussi rationnelle et synergique, (ii) de développer des formations d'expertise de haut niveau, nationale et internationale, adaptée aux exigences de suivi et d'accompagnement technique de ces nouveaux instruments de financement, (iii) de financer davantage la recherche opérationnelle, (iv) de travailler davantage sur la gestion axée sur les résultats et la synergie dans le cadre de la Déclaration de Paris, dont ce volet et les implications concrètes sur le terrain sont encore timides;
et souligne que la crise mondiale des ressources humaines et financière et économique devrait inciter à travailler de manière plus rationnelle en appui au secteur de la santé des pays en développement
bien amicalement
Dominique Kerouedan