"Les labos versent de très grosses sommes aux leaders d'opinion"
<http://tempsreel.nouvelobs.com/journaliste/379/berenice-rocfort-giovanni.h
Par Bérénice Rocfort-GiovanniVoir tous ses articles
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Publié le 04-02-2014 <Archives du 4 février 2014 - L'Obs; à
06h36Mis à jour à 10h15A+A-
Un ancien cadre de l'industrie pharmaceutique dénonce dans un livre
"l'omerta" qui protège les pratiques douteuses du secteur.La couverture du
livre "Omerta dans les labos pharmaceutiques" (Flammarion enquête)
Co-auteur avec Anne-Laure Barret d¹ "Omerta dans les labos
pharmaceutiques", le docteur Bernard Dalbergue, un ancien cadre passé par
trois grands labos, raconte pour la première fois les coulisses d¹un
secteur déjà bien éreinté depuis l¹affaire du Mediator. Interview.
Experts corrompus, pression sur le pouvoir politique, marketing débridé :
la description que vous faites de l¹industrie pharmaceutique est glaçante
- Tous les labos ont les mêmes méthodes de lobbying. Comme n'importe quel
produit, le médicament n¹échappe pas à la promotion. La grande majorité
des entreprises la pratiquent dans le strict respect de la loi. Une
minorité, toutefois, fraudent et commercialisent des médicaments
dangereux, aux effets secondaires graves. Les conséquences sont
désastreuses : chaque année, 200.000 personnes meurent d¹accidents
médicamenteux dans l¹Union européenne.
Pourquoi avez-vous quitté le monde des labos ?
- J¹ai été poussé dehors il y a trois ans, alors que j¹alertais l¹opinion
contre les dysfonctionnements d¹un stylo qui ne délivrait pas la bonne
dose d¹un remède contre l¹hépatite C. L¹outil a, depuis, été remplacé,
mais j¹ai eu le plus grand mal à faire passer le message au sein du
laboratoire pour lequel je travaillais. Par ailleurs, mon labo voulait
verser de l'argent à un médecin chargé d¹évaluer un autre traitement
contre l¹hépatite C que nous allions commercialiser, ce que j'ai refusé de
cautionner.
Les pratiques n¹ont pas toujours été si viles, dites-vous.
- Dans les années 1990, j¹étais déjà choqué par les sommes folles
dépensées lors de séminaires fastueux. Mais nos méthodes de travail
étaient encore éthiques. A cette époque, il n¹était pas nécessaire de
franchir la ligne rouge. Les prix des médicaments étaient faciles à
négocier avec les instances sanitaires. Et puis au début de la décennie
2000, il y a eu un basculement avec l'apparition des génériques. Les labos
ont vu leurs molécules tomber dans le domaine public. Il est devenu de
plus en plus difficile d¹en trouver de nouvelles puisque désormais, on
sait soigner les grandes pathologies : hypertension, infections Plus
personne ne voulait payer cher un nouveau médicament contre le cholestérol
car il en existait déjà cinq sur le marché. Comprendre et traiter le
cancer, le VIH, la maladie d¹Alzheimer est en revanche bien plus
compliqué... Peu à peu, le chiffre d¹affaires s¹est mis à refluer. Les
plans sociaux se sont succédé, soumettant les salariés à de fortes
pressions pour vendre toujours plus.
Comment se nouent les liaisons dangereuses entre médecins et labos ?
- Les labos versent de très grosses sommes d¹argent aux leaders d¹opinion,
des médecins hospitaliers qui en ont besoin pour poursuivre leurs
recherches. Ils doivent à tout prix en publier les résultats : "publish or
perish" (publier ou périr), telle est leur devise. Plus ils publient, plus
ils gagnent de points pour pouvoir devenir chef de service.
A vous lire, les autorités sanitaires américaines sont bien plus strictes
en matière de conflit d¹intérêts que la France.
- Aux Etats-Unis, le "Foreign Corrupt Practices Act" est très clair sur
les peines encourues, qui vont jusqu¹à la prison en cas de corruption.
C¹est loin d¹être le cas en France, pays de Cocagne de l¹industrie
pharmaceutique.
De quel pouvoir dispose notre Agence nationale de sécurité du médicament
(ANSM <L'Obs - Actualités du jour en direct) ?
- Elle peut être un lanceur d¹alerte, mais n'a pas le pouvoir de retirer
un médicament du marché. Seule l¹Agence européenne du médicament a cette
capacité. Seulement, cette dernière est noyautée par les lobbys
pharmaceutiques.
Comment, dans ces conditions, peut-on avoir confiance en les médicaments
qui nous sont administrés ?
- Il faut consulter le site de la Haute autorité de santé
<http://www.has-sante.fr/portail/jcms/fc_1249588/fr/accueil-2012>, honnête
et indépendante, qui traque sans relâche les conflits d¹intérêts. Si elle
note bien le médicament, il n¹y a pas de crainte à avoir.
Peut-on espérer assainir un jour le fonctionnement des labos ?
- Certains ont commencé un travail en ce sens. Ainsi, le Britannique GSK a
promis de ne plus payer les médecins pour qu'ils assurent la promotion de
ses produits et a supprimé les primes d¹objectifs pour ses commerciaux.
Les politiques au niveau européen doivent absolument s¹emparer du sujet,
sous peine de voir d¹autres scandales éclater.
Propos recueillis par Bérénice Rocfort-Giovanni Le Nouvel Observateur
(1) Editions Flammarion Enquête, sortie le 5 février 2014