[e-med] Un médecin au service des labos vide son sac (Livre)

Un médecin au service des labos vide son sac
YANN PHILIPPIN
3 FÉVRIER 2014 À 21:36
http://www.liberation.fr/societe/2014/02/03/un-medecin-au-service-des-labos
-vide-son-sac_977624

ENQUÊTE Après vingt ans de collaboration, le Dr Dalbergue publie un livre
accusateur contre l¹industrie pharmaceutique.

C¹est un témoignage coup de poing qui va faire mal à l¹industrie
pharmaceutique
<http://www.liberation.fr/societe/2014/02/03/les-documents-qui-revelent-les
-derives-du-laboratoire-merck_977473>, à peine remise des scandales du
Mediator ou des pilules contraceptives. Dans un livre qui paraît mercredi,
le Dr Bernard Dalbergue, 55 ans, dénonce les «pratiques douteuses» d¹une
industrie où il a passé deux décennies, dans plusieurs firmes différentes.
C¹est la première fois en France qu¹un ancien cadre dissèque de
l¹intérieur, documents et histoires vécues à l¹appui, la manière dont les
labos manipulent les médecins, voire les autorités.

Bernard Dalbergue a longtemps été un bon soldat. Jusqu¹à ce qu¹il soit
«révolté» par ce qu¹il a vu chez son dernier employeur, l¹américain Merck,
qu¹il accuse d¹avoir «foulé aux pieds l¹éthique».«Si je parle aujourd¹hui,
c¹est pour contribuer à réduire les accidents médicamenteux, qui tuent au
moins 18 000 personnes par an en France, et pour proposer des pistes de
réflexion pour réformer le système», explique Dalbergue. Il se définit
comme un «lanceur d¹alerte», mais refuse l¹étiquette de «repenti».«La
majorité des labos sont honnêtes. Et j¹ai aimé mon métier.»

«Dorloter». Son job ? Manipuler les médecins. Il décrit une industrie
obsédée par«l¹argent», servie par une «armée» de salariés «conditionnés»
pour faire grimper les ventes, en passant sous silence les effets
secondaires. «Nos médicaments n¹ont que des qualités, inutile de parler
des aspects moins glorieux : il n¹y en a pas. [Š] Voici comment faire pour
inciter les médecins à prescrire», écrit-il. En tant que cadre au
marketing puis aux affaires médicales, Dalbergue était chargé de
«dorloter» les«leaders d¹opinions», ces prestigieux médecins hospitaliers
capables de faire ou défaire la carrière d¹une molécule. C¹est-à-dire
d¹«inventer les moyens les plus tordus pour les acheter en toute
discrétion», à coup de déjeuners, d¹invitations grand luxe à des congrès,
de contrats de consultants ou de participation à des travaux
scientifiques. Bref, entretenir les fameux «conflits d¹intérêts», que l¹on
retrouve régulièrement pointés du doigt dans tous les scandales
médicamenteux (Vioxx, Mediator, etc.).
A chaque fois, les médecins mis en cause assurent que l¹argent n¹altère
pas leur indépendance. Le témoignage de Bernard Dalbergue met à mal cette
ligne de défense. «Très peu de médecins m¹ont résisté. A force de
travailler main dans la main avec nous, ils perdent leur objectivité, même
si la grande majorité ne s¹en rend pas compte.»

Il raconte dans son livre comment il a convaincu un grand professeur de
censurer son discours à un congrès, en y retirant un passage sur les
effets secondaires d¹une molécule. Il y a aussi l¹histoire de cette
délégation de mandarins venue bouder ostensiblement face au patron de son
labo, pour protester contre la baisse de leurs financements - la firme les
a immédiatement rétablis. Ou encore la manière dont Dalbergue a, avec
l¹aval de l¹Etat, activé ses réseaux de médecins pour minimiser les
dérives liées au Subutex (trafic, prise par injectionŠ), un produit de
substitution à l¹héroïne.

Bref, le Dr Dalbergue est devenu, au fil des ans, «un sacré roi de
l¹embrouille».«Ces pratiques d¹influence sont moralement discutables et
coûtent cher à la Sécu, mais elles sont autorisées par la loi,
précise-t-il. Et elles n¹ont pas de conséquences sanitaires tant que les
molécules dangereuses ne sont pas commercialisées ou maintenues sur le
marché.»

Il écrit que tout a basculé lorsqu¹il a eu la conviction que son dernier
employeur avait franchi la ligne rouge. D¹abord en «mettant en danger les
patients» avec le Viraferonpeg, traitement de l¹hépatite C. En avril 2011,
Merck découvre que le stylo injecteur pouvait ne pas délivrer la dose, et
donc priver les patients de chances de guérir de cette maladie,
potentiellement mortelle. Pourtant, Merck n¹a pas prévenu les autorités.
Après son départ du labo, Bernard Dalbergue a alerté Libération, qui a
révélé l¹affaire le 8 février 2012. Résultat : Merck a été convoqué à
l¹Agence du médicament et a remplacé le stylo fin 2013.

Couvrir. Il y a ensuite l¹affaire du Victrelis. Comme nous le révélons,
Merck a payé des experts de l¹Agence nationale de sécurité du médicament
(ANSM, ex-Afssaps) impliqués dans l¹évaluation de cet autre traitement de
l¹hépatite C du labo. Selon Bernard Dalbergue, c¹est parce qu¹il a refusé
de couvrir ces faits qu¹il a été viré en 2011. Merck n¹a pas souhaité nous
donner sa version. Dans la lettre de licenciement du Dr Dalbergue, le labo
lui reproche d¹avoir ignoré des instructions, refusé de participer à des
réunions, et de ne pas avoir recadré une collaboratrice. S¹il est en
conflit avec Merck à ce sujet, Dalbergue assure n¹avoir «aucune volonté de
revanche» : «Mon procès aux prud¹hommes est prévu le 27 février. La
justice tranchera.»

SUR LE MÊME SUJET
* Un ancien de Merck dénonce les pratiques du laboratoire
Le Monde.fr | 04.02.2014 à 08h00 € Mis à jour le 04.02.2014 à 08h55 |
http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/02/04/un-ancien-de-merck-denonc
e-les-pratiques-du-laboratoire_4359560_3234.html
* http://www.rtl.fr/video/emission/le-choix-de-yves-calvi/le-dr-bernard-dalbergue-les-aspects-negatifs-de-nos-medicaments-sont-passes-sous-silence-7769372701
* ENQUÊTE Lobbying, dérives et pressions de l¹américain Merck
<http://www.liberation.fr/societe/2014/02/03/lobbying-derives-et-pressions-
de-l-americain-merck_977632> Par Yann Philippin