[e-med] Haro sur les labos

E-MED: Haro sur les labos
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  http://www.liberation.com/quotidien/semaine/20010910lunv.html

Haro sur les labos
Accus�e d'�tre plus soucieuse de profit que de sant�, l'industrie
pharmaceutique est en crise d'image.

Par GR�GOIRE BISEAU

Lib�ration
Le lundi 10 septembre 2001

Le moins qu'on puisse dire c'est qu'en ce moment il ne fait pas bon avouer
travailler pour l'industrie pharmaceutique. Au mieux, on vous colle
l'�tiquette de cynique professionnel, au pire celle de sale capitaliste sans
foi ni loi. Le proc�s de Pretoria, en mars 2001, qui a oppos� le
gouvernement sud-africain aux plus grands laboratoires sur l'acc�s aux
m�dicaments bon march�, ainsi que les d�c�s li�s aux m�dicaments
anticholest�rol de Bayer ont fini de donner � cette industrie l'image d'une
machine du diable. Sans scrupules, impitoyable et m�me mortelle.

Un cadre dirigeant d'un grand labo, ancien m�decin, raconte: �Mon
beau-fr�re travaille dans l'industrie de l'armement. Eh bien, dans les
d�ners familiaux, celui � qui on fait jouer le r�le du salopard, c'est moi.�
Plut�t curieux pour une industrie cens�e travailler � soulager la douleur et
� lutter contre la mort. Mais voil�, les grands labos doivent apprendre �
vivre avec une image sulfureuse. �Au moins c'est salutaire, car maintenant
on ne peut pas tomber plus bas. Il va bien falloir que tous les acteurs se
remettent en question�, admet Gilles Brisson, patron d'Aventis Pharma.

Vase clos. Dans leur majorit�, les grands laboratoires plaident coupables.
�On n'a m�me pas pu faire la preuve de notre incapacit� � communiquer: on a
�t� tout simplement absents du d�bat public�, observe Eric Cornut, le
pr�sident de Novartis Pharma. Son coll�gue d'Aventis est plus direct: �Nous
sommes des handicap�s de la communication grand public. �a ne date pas
d'aujourd'hui.� Cela remonte � 1945 et � ce code de la sant� publique qui
interdit aux laboratoires de parler au grand public de leurs m�dicaments.
L'industrie a pris l'habitude de vivre en vase clos, coup�e du monde, le nez
dans ses pipettes de chimiste.

Seules les m�gafusions du secteur ont su faire parler d'elles. �Toute notre
industrie a souffert de ce d�calage. On a surtout une image de financiers.
On a oubli� qu'on �tait aussi des chercheurs�, confirme Eric Cornut.

Le proc�s de Pretoria a pris toute la profession de court. En attaquant le
gouvernement sud-africain en f�vrier 1998 pour s'opposer � l'importation de
m�dicaments g�n�riques utilis�s contre le sida, elle ne se doutait pas
qu'elle partait s'embourber dans ce que beaucoup qualifient maintenant de
�Vi�t-nam de l'industrie pharmaceutique�.
�On s'y est pris comme des manches. On a totalement sous-estim� ce mouvement
de contestation de la mondialisation�, reconna�t Isabelle Gery, du LIR, un
organisme qui repr�sente les grands labos �trangers en France. Les
industriels se sont d�fendus en ayatollahs de la propri�t� intellectuelle,
�vacuant toutes les questions de sant� publique. Pas responsables, pas
coupables.

L'effet a �t� d�sastreux. Apr�s trois ans de proc�dure, les labos ont fini
par faire marche arri�re. Et sont repartis pleins de goudron et de plumes,
incarnant un lib�ralisme triomphant et �go�ste. Un proc�s en sorcellerie?
�En r�alit�, cette industrie c'est tout sauf du lib�ralisme pur et dur. Elle
est pratiquement partout en situation de cogestion avec les pouvoirs publics
ou des agences de r�gulation et de s�ret�, assure Claude Le Pen, professeur
� l'universit� Paris-Dauphine et sp�cialiste de l'�conomie de la sant�. En
tout cas, elle paie cash son double langage.

�L'industrie pharmaceutique a longtemps jou� sur l'image d'une industrie
citoyenne au service de l'humanit� et du progr�s scientifique, en faisant
oublier qu'elle r�pond d'abord aux exigences de ses actionnaires�, affirme
Annick Hamel, de M�decins sans fronti�res.

Paradoxe. Les grands labos ont toujours cherch� � cacher cette
schizophr�nie. En face d'un journaliste, on discute recherche scientifique,
m�dicament et maladie. Mais devant un analyste financier, on parle march�,
produit, force de vente et Ebitda (nouvelle appellation comptable du
r�sultat d'exploitation). Comme si de rien n'�tait. Or le m�dicament est
une esp�ce rare. �Contrairement aux produits de grande consommation, plus on
reconna�t de valeur scientifique et d'utilit� sociale � un m�dicament, plus
les gens consid�rent qu'il est normal qu'il soit accessible � tous,
gratuitement�, explique Claude Le Pen. �Notre difficult� c'est que, pour
l'opinion publique, le laboratoire id�al est une entreprise qui ne fait pas
de profits�, confirme Isabelle Gery, du LIR.

Plut�t que d'expliquer ce paradoxe, les labos ont longtemps fait comme si
gagner de l'argent avec la mort allait de soi. Or ils en gagnent beaucoup,
avec des taux de marge qui peuvent atteindre 20 %. Au premier semestre 2001,
les am�ricains Pfizer, Johnson & Johnson ou Pharmacia ont vu, par exemple,
leurs b�n�fices augmenter de plus de 15 %.

Le retrait en catastrophe de la c�rivastatine de Bayer, et la s�rie de
proc�s en cours, noircit un peu plus un ciel d�j� encombr� de lourds nuages
de suspicion. Et si les labos faisaient passer leurs profits avant les
imp�ratifs de s�curit� de sant� publique? �Ce retrait a �t� une d�cision
�thique et responsable�, a d�clar� Philippe Milon, le patron de la filiale
fran�aise de Bayer. Il oublie un peu vite qu'en 1998, son groupe, comme
l'avaient r�v�l� � l'�poque le Canard encha�n� et la revue m�dicale
Prescrire, offrait � tous les m�decins qui s'engageaient � prescrire son
m�dicament un coffret de logiciels informatiques d'une valeur de 10 000
francs. Une pratique commerciale totalement hors la loi.

�Vieux fantasmes�. Depuis 1993, une loi anticadeau tente de mettre un peu
d'ordre dans cette relation v�nale entre m�decins et visiteurs m�dicaux.
Mais l'odeur de soufre ne s'est jamais vraiment dissip�e. �L'image du
m�decin achet� par l'industrie pharmaceutique c'est du pur d�lire. Il faut
arr�ter avec ces vieux fantasmes�, assure Olivier Mariotte, du laboratoire
Schering-Plough.
Peut-�tre, mais le doute est toujours l�. �La r�alit� c'est que les choses
se sont largement am�lior�es. M�me s'il peut encore y avoir des abus�,
assure Claude Le Pen. Pour faire acte de contrition, le Snip, le Syndicat
national des industries pharmaceutiques, vient de cr�er un tout nouveau
comit� de d�ontologie pour tenter d'imposer un peu d'autodiscipline.

Les labos sentent bien que la politique du dos rond a fini par se retourner
contre eux. �Quand on ne parle pas, les autres s'en chargent � votre place,
et ensuite c'est impossible de remonter le courant�, constate Isabelle Gery.
Certains pr�nent la mobilisation g�n�rale. �On ne peut pas laisser nos
entreprises �tre g�r�es par des techniciens. Il faut avoir le courage de ne
plus se cacher et d'expliquer qui nous sommes�, affirme Gilles Brisson,
d'Aventis. Ce sera difficile. �Il est illusoire de penser qu'une meilleure
communication va r�gler tous les probl�mes. Aujourd'hui, les labos sont
inaudibles car encore suspects�, assure Claude Le Pen.

Coinc�e entre la pression des march�s financiers et une opinion publique
remont�e, l'industrie pharmaceutique n'est pas au bout de ses peines. La
mol�cule rem�de � cette crise d'image n'est pas pr�s de sortir de ses
laboratoires....

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