[e-med] "Big Pharma", un pamphlet violent mais étayé contre l¹industrie pharmaceutique

"Big Pharma", un pamphlet violent mais étayé contre l¹industrie
pharmaceutique
Par Gaëlle Fleitour
<http://www.usinenouvelle.com/la-redaction/gaelle-fleitour.3969&gt; - Publié
le 05 septembre 2013, à 14h07
http://www.usinenouvelle.com/article/big-pharma-un-pamphlet-violent-mais-et
aye-contre-l-industrie-pharmaceutique.N204143

Publié le 5 septembre, il ne risque pas de laisser indifférent. Coordonné
par un Américain, le livre invoque douze opposants de l¹industrie
pharmaceutique (dont un ancien patron de la communication de Sanofi !),
mais livre une démonstration efficace...
Une critique violente mais étayée. Publié ce jeudi 5 septembre, le livre "
Big Pharma " ne cherche pas à faire consensus. Son sous-titre ­ "Une
industrie toute-puissante qui joue avec notre santé" - en dit long.
Coordonné par Mikkel Borch-Jacobsen, philosophe, historien et enseignant à
l'université de Washington, avec l¹aide de douze experts, lanceurs
d'alerte et journalistes (dont deux Français : Philippe Pignarre, ancien
directeur de la communication de Sanofi-Synthélabo, et Antoine Vial,
expert en santé publique), il décortique une par une les mauvaises
pratiques auxquelles peuvent avoir recours les laboratoires pour vendre à
tout prix. Avec un parti-pris évident, bien sûr. Et un recours parfois
exagéré au pathos, en évoquant en détail certains cas dramatiques.

DES SPOTS PUBLICITAIRES POUR " CRÉER " DES MALADIES
Ceci est "un ouvrage contre l¹industrie qui détourne l¹usage des
médicaments pour faire du profit, au risque de mettre notre santé en
danger et de profondément changer la nature de la médecine". L¹ouverture
du livre paraît bien naïve. Mais au fur et à mesure des pages, la
démonstration se fait efficace. En remontant à 1962 et la première mise en
examen d¹une entreprise pharmaceutique aux Etats-Unis - Merrell, accusée
d¹avoir trafiqué des données sur les effets indésirables de son médicament
anti-cholestérol -, qui a marqué le début de l¹utilisation des essais
cliniques tels qu¹on les connaît aujourd¹hui pour évaluer les médicaments.
Les exemples s¹enchaînent ensuite.

Du marketing réalisé auprès des médecins pour les inciter à prescrire en
dehors des indications approuvées - comme dans l¹affaire de l¹adjuvant au
diabète Mediator
<http://www.usinenouvelle.com/article/le-proces-mediator-met-en-defaut-la-p
harmacovigilance-des-laboratoires.N197982> ou de l¹anti-acnéique Diane 35
<http://www.usinenouvelle.com/article/pilule-l-agence-du-medicament-impose-
la-suspension-de-la-vente-de-diane-35.N190607> -, à la méthodologie
biaisée des essais cliniques dont les essais négatifs ne sont pas publiés.
En passant par les spots publicitaires visant à "créer" de nouvelles
maladies aux yeux du public (la dysfonction sexuelle féminine pourrait
ainsi bientôt apparaître sur nos écrans, car elle intéresserait Pfizer,
Boehringer et Procter & Gamble selon les auteurs). Sans oublier la
dépendance engendrée par des médicaments légalement prescrits, d¹où le
calvaire vécu par le héros de la série télévisée "Dr House", accroc à
l¹antalgique Vicodin.

CERTAINS MÉDICAMENTS TOUJOURS SUR LE MARCHÉ
En prenant des exemples médiatiques, récents et chiffrés, Mikkel
Borch-Jacobsen livre une démonstration sans concession. Et n¹épargne
aucune entreprise. Les nourrissons victimes du Prépulsid de
Johnson&Johnson, dont "ni la compagnie, ni ses cadres ne furent jamais
inquiétés pour avoir minimisé les risques de leur médicament", affirme
l¹écrivain. L¹opposition de Wyeth à ce qu¹un oncologue étudie les risques
cancérigènes de son traitement aux oestrogènes. Or, "malgré d¹innombrables
articles scandalisés dans la presse, malgré plus de 10 000 procès intentés
à Wyeth (absorbé depuis par Pfizer) pour avoir caché les risques de ses
médicaments, le Premarin et le Prempro n¹ont toujours pas été retirés du
marché", s¹insurge Mikkel Borch-Jacobsen.

Il raconte aussi les évaluations de médicaments par des agences sanitaires
dont les comités sont peuplés de consultants pour l¹industrie
pharmaceutique (après avoir été réalisée en France, la purge est
d¹ailleurs encore en cours dans l¹Agence Européenne du Médicament, pour
essayer de mettre fin à des conflits d¹intérêt patents).

Et que dire des accidents cardio-vasculaires graves apparus durant les
essais cliniques de l¹Avandia de GSK (retiré depuis du marché en Europe),
mais disparaissant des résultats présentés aux autorités sanitaires ? Cela
a d¹ailleurs valu à la firme anglaise une amende record de trois milliards
de dollars, réglée à la justice américaine fin 2011. Eclairant également,
les modifications réalisées par un salarié d¹AstraZeneca en 2006 sur la
page wikipedia de son produit - une nouvelle génération d¹antipsychotique
-, sur celles des produits concurrents, et même sur les pages des maladies
en question !

Les chiffres aussi sont éloquents. "Les compagnies pharmaceutiques
dépensent en moyenne à peu près deux fois autant en marketing qu¹en R&D",
nous apprend-on. Un ancien dirigeant de la R&D du français Sanofi
expliquait en 2000 que 70 à 90% de la recherche était consacrée à mettre
au point des "me-too", des copies de médicaments à la formule légèrement
modifiée pour pouvoir la breveter. Enfin, les effets seraient
responsables, en Europe, de 197 000 morts par an, soit la cinquième cause
de décès à l¹hôpital.

DES RACCOURCIS POUR ÉTAYER LA DÉMONSTRATION
Mais certains raccourcis dans l¹ouvrage peuvent faire débat. Peut-on ainsi
attribuer la tuerie de Columbine en 1999 aux seuls effets secondaires du
Prozac (l¹antidépresseur de Lilly) que prenaient les deux tueurs lycéens
qui se suicidèrent ensuite ? Faut-il oublier les initiatives - certes
encore trop peu nombreuses - prises par certains membres de l¹industrie
pharmaceutique pour lutter contre les maladies tropicales qui touchent les
pays émergents? Que penser de la décision de l¹allemand Merck ne plus
livrer depuis novembre 2012 son anticancéreux Erbitux aux hôpitaux publics
grecs qui ne le réglaient plus ? La réponse des auteurs à tous ces maux -
confier la recherche à des centres "déconnectés des centres de profit
pharmaceutiques" - parait bien illusoire. Mais nul doute que l¹ouvrage
parviendra un peu plus à saper la mince confiance qu¹ont les Français dans
l¹industrie pharmaceutique. Pour y remédier, cette dernière n¹a plus
qu¹une solution : adopter une éthique lui assurant de ne plus nourrir ce
type d¹ouvrages à l¹avenir.

Gaëlle Fleitour

"Big pharma, une industrie toute-puissante qui joue avec notre santé",
éditions Les Arènes, 515 pages, 22,80 euros