Névirapine - miracle ou danger?
http://www.plusnews.org/fr/PNFreport.asp?ReportID=136
JOHANNESBOURG, 14 janvier (PLUSNEWS) - Lantirétroviral Névirapine, un
médicament couramment utilisé en Afrique pour prévenir la transmission
du VIH de la mère à lenfant, est au centre dune sombre controverse.
Le débat a commencé en décembre 2004 à la suite dune série darticles
publiés par lagence américaine de presse Associated Press qui
prétendaient que les autorités sanitaires aux Etats-Unis avaient été
informés, via une étude menée en Ouganda, des effets négatifs potentiels
de la Névirapine et des erreurs de procédure lors de sa prescription.
Le fabricant du médicament, Boehringer-Ingelheim, et les chercheurs
ougandais impliqués dans les essais cliniques conduits à lHôpital
Mulago de Kampala ont déclaré que les erreurs étaient dues aux
procédures suivies et navaient pas deffets sur la sécurité du
médicament.
Les inquiétudes au sujet des erreurs de procédure ne sont pas nouvelles.
Elles sont apparues pour la première fois en 2002 après que des
problèmes lors des essais en Ouganda aient amené Boehringer-Ingelheim à
retirer une demande dapprobation du médicament aux États-Unis.
Après avoir mené sa propre en enquête, le Conseil sud-africain de
contrôle des médicaments (MCC) a décidé de rejeter une étude pour des
raisons similaires lannée dernière. À la conférence internationale sur
le sida à Bangkok en juillet dernier, le ministre de la Santé
sud-africain Manto Tshabalala-Msimang avait déclaré que son ministère
révisait lutilisation de la Névirapine à dose simple.
Mais avec le temps le débat est devenu de plus en plus passionnel et les
activistes de la lutte contre le sida craignent que la publicité
négative autour de ce médicament incite certains pays et les mères à ne
plus lutiliser.
Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir en Afrique du Sud, sest
immiscé dans le débat en accusant les autorités américaines et les
militants de prendre part à «une conspiration du mensonge avec les
compagnies pharmaceutiques pour augmenter les ventes de Névirapine» et
utiliser les Africains comme cobayes.
Au delà de la controverse, il est généralement accepté quune simple
dose de Névirapine donné à une femme enceinte et séropositive juste
avant laccouchement, et quelques gouttes données au nouveau-né dans les
premières 72 heures, réduit de moitié les risques de transmission du
VIH.
Une étude menée lannée dernière sur limpact démographique du sida en
Afrique du Sud a révélé que 37 000 enfants étaient nés avec le VIH
tandis que 26 000 ont été contaminés par le lait maternel. Lagence des
Nations Unies pour la lutte contre le sida, Onusida, évalue à 800 000 le
nombre denfants qui, chaque année, naissent séropositifs en Afrique.
La Névirapine, que Boehringer donne gratuitement à plusieurs Etats
dAfrique sub-saharienne, est recommandé par lOrganisation mondiale de
la santé (OMS). Il est aussi utilisé dans les trithérapies.
Des risques de résistance au médicament
Mais le danger est que certaines mères développent une résistance au
médicament, ce qui limite les possibilités de traitement dans le futur.
De récentes études ont montré que, bien que les femmes développaient une
forte résistance six semaines après la prise dune dose, cet effet
diminuait de 14 pour cent après six mois.
«Le risque hypothétique daugmenter la résistance nest pas supérieur à
celui de donner naissance à un enfant séropositif dans un contexte où,
de toute façon, peu de gens ont accès au traitement», a déclaré Marta
Darder, de lorganisation internationale Médecins sans frontières en
Afrique du Sud.
La Névirapine fut introduite en 1997 pour prévenir la transmission
mère-enfant à un moment où il était inimaginable denvisager des
traitements ARV à grande échelle. Bien quils soient devenus plus
accessibles, moins de quatre pour cent des Africains qui en ont besoin y
ont accès.
LOMS reconnaît que lalternative serait de commencer la thérapie
combinée avec la mère au moins six mois avant la naissance ou, au plus
tard, deux semaines après, et de continuer après la naissance.
À 40 dollars pour la thérapie combinée contre quatre dollars pour une
simple dose de Névirapine, ce nest pas seulement une question de
complexité du traitement, mais également de son coût. La mère et son
enfant auront aussi besoin de plusieurs semaines de soins quotidiens,
dune bonne nutrition et dune surveillance médicale continue, ce qui
est inaccessible pour la plupart des mères africaines.
«Augmenter dun comprimé à deux ou peut-être trois peut paraître très
simple si vous êtes assis dans la clinique dun pays développé. Mais
appliquer une telle mesure en Afrique du Sud serait difficile», a admis
le docteur Saadiq Kariem, le secrétaire national à la santé de lANC.
Même sil est compréhensible de continuer dadministrer une seule dose
de Névirapine, une solution simple et moins coûteuse, le pays désire
explorer de nouvelles options, plus efficaces. «Nous devons constamment
aller de lavant. Au bout du compte, nous voulons en arriver à des
thérapies combinées pour les mères séropositives», Kariem a dit à
PlusNews.
Néanmoins, la Névirapine natteint pas la vaste majorité des femmes
africaines qui en aurait besoin. En moyenne, 40 pour cent des femmes en
région rurale nont jamais visité un centre de santé et accouchent à la
maison, souvent sans laide dune sage-femme.
En Ouganda, où la réponse nationale à la pandémie est applaudie pour ses
succès, seulement quatre pour cent des femmes enceintes vivant avec le
virus ont accès à la Névirapine. Le système de santé ne soigne quune
partie des mères, avec seulement deux femmes sur 10 qui accouchent dans
un établissement médical.
«La Névirapine nest pas la panacée que nous espérions», a déclaré à
PlusNews Dorothy Ochola-Odongo, qui exécute le programme de transmission
mère-enfant (PMTCT) pour le Fonds des Nations Unies pour lenfance,
UNICEF, à Kampala.
LAfrique du Sud a beaucoup de difficultés avec lapprovisionnement en
médicament dans le cadre de son programme PMTCT, selon Kariem.
«Des cliniques se battent pour assurer le ravitaillement et la
distribution des médicaments. Les formations de médecins et
dinfirmières sont insuffisantes pour que tous les sites de distribution
de médicaments soient couverts», a ajouté Kariem.
Dans une déclaration commune, lOnusida, lUnicef et la Fondation
Elizabeth Glaser pour le sida ont précisé que «là où les infrastructures
ne permettent pas un traitement à long terme plus complexe, lapproche
recommandée en matière de santé publique est la dose simple de
Névirapine».
Après des années de débat entre les militants sud-africains et le
ministère de la Santé sur le refus de ce dernier dappliquer une
politique de prise en charge, les activistes de la lutte contre le virus
salarment désormais des conséquences négatives que pourraient avoir les
articles de presse concernant la Névirapine.
«Malheureusement, la politique sest mêlée au débat. Les gens sont en
colère parce quils sentent manipulés et abusés par les grosses
compagnies pharmaceutiques», a expliqué Kariem.
Le groupe de pression sud-africain Treatment Action Campaign (TAC) a été
violemment attaqué dans un article de presse pro-ANC pour vouloir
«vendre les ARV à tout prix». La relation entre TAC et le président
Thabo Mbeki est pleine de controverses.
En 2002, TAC a obtenu gain de cause auprès de la Cour constitutionnelle,
qui a considéré que le gouvernement était obligé de fournir des
traitements de prévention de la transmission mère-enfant dans les
établissements publics. La Cour na pas tranché sur la nature des
médicaments à utiliser mais TAC a toujours affirmé quune courte
thérapie combinée était meilleure, mais que la simple dose de Névirapine
était plus facile à utiliser et moins onéreuse.
TAC envisage désormais de nouvelles actions judiciaires contre les
«affirmations non-scientifiques, irresponsables et fausses du ministère
de la Santé et de sa prétendue campagne de désinformation sur la
Névirapine», a affirmé le président de TAC, Zackie Achmat.
«Je suis désolé que le pouvoir du Président, les ressources du
gouvernement et le prestige, le pouvoir et la force de lANC soient
utilisés pour semer la confusion au sein de personnes malades et
mourantes», a conclu Achmat.