[e-med] A propos de la publicité pharmaceutique en France

La publicité
publié le 16 décembre 2004 dans Protocoles 35
http://www.actupparis.org/article1845.html

Les associations de malades ont toujours surveillé de près les publicités
des laboratoires. Nous pensons que ce type d'investissements se fait au
détriment d'autres chapitres comme la recherche et le développement. Les
budgets respectifs de ces différents pôles prêtent parfois à sourire.

Retour sur quelques mois
En 2002, au moment où s'engageait le travail sur une directive et un
réglement européen sur le médicament, les firmes pharmaceutiques
souhaitaient y voir inscrire le droit de faire de la publicité directement
auprès des malades, sur certains types de médicaments, comme les
antirétroviraux. Act Up-Paris avait dès cette époque participé au Collectif
Europe et Médicament qui regroupe à la fois des associations de malades, des
professionnelLEs de santé et des mutuelles. Le but du Collectif était de
faire du lobby sur la Commission et le Parlement européens afin de limiter l
'influence des laboratoires. En mars 2003, quand la directive et le
réglement ont été promulgués, nous avions perdu du terrain face à l'
industrie sur le dossier du renouvellement des AMM ou de la protection des
données, mais pas sur la publicité, du moins jusqu'à présent. L'un des
arguments des laboratoires pour faire de la publicité était le « besoin d'
informer » les malades et par conséquent d'autoriser la publicité en
direction du grand public pour les antirétroviraux notamment. Il paraît
évident que le principe même de la publicité est l'information des usagerEs
et absolument pas la promotion d'une quelconque formule miracle qui viserait
à banaliser l'épidémie et qui minimiserait les effets indésirables d'une
molécule.

La publicité grand public est possible aux Etas-Unis et le film « The Gift »
de Louise Hogarth, qui traite du barebacking aux USA, montre bien la
banalisation du VIH. Tantôt présenté dans ce reportage comme cause d'une
maladie chronique par les barebackers, ce qu'elle n'est pas, le sida est
perçu comme un « truc fun » : ce sont toujours des athlètes en forme qui
servent de modèles dans les publicités pour les antirétroviraux qui sont
diffusés par les laboratoires pour « informer » le malade. Pourquoi pas une
escalade de la montagne en couche culotte pour démontrer les effets
secondaires du Viracept®, au lieu des apollons qui gravissent avec bonheur
leurs cailloux ?

En France pour l'instant, il n'est pas question de libérer la publicité
grand public, qui actuellement fait l'objet d'un contrôle a priori
(délivrance d'un visa sans lequel la publicité ne peut sortir). Elle n'est
possible que pour les produits non soumis à prescription et non remboursés
par les régimes d'assurance maladie. Il existe deux exceptions : les vaccins
et les substituts nicotiniques, ces deux familles étant considérées comme
des axes prioritaires de communication en termes de santé publique.
Le contrôle de la publicité sur les médicaments à usage humain et les
produits de santé en général s'inscrit dans le cadre des missions confiées à
l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (l'
AFSSaPS). La loi n°94-43 du 18 janvier 1994 relative à la publicité pour les
médicaments à usage humain et le décret d'application sorti le 14 juin 1996,
prévoit deux dispositifs d'évaluation de la publicité : l'un pour la
publicité destinée aux professionnelLEs de santé, l'autre pour la publicité
destinée au grand public. Les critères auxquels doivent satisfaire les
publicités sont identiques en théorie : respecter les recommandations liées
à son autorisation de mise sur le marché (par exemple l'heure de prise pour
garantir le moins d'effets secondaires) ; présenter le médicament de manière
objective et favoriser son bon usage. Par ailleurs, la publicité ne peut pas
être trompeuse et ne doit pas porter atteinte à la protection de la santé
publique. De plus, seuls les médicaments pour lesquels a été octroyée une
AMM peuvent faire l'objet d'une publicité.
En 2003, 909 dossiers concernant la publicité directe ont été déposés à l'
AFSSaPS. Il n'y a eu que 20 refus. Rappelons que l'autorisation se fait en
préalable à la mise en place de la publicité. Le circuit administratif de
validation qui fait appel à deux, voire trois expertEs (médecins reconnus et
accrédités par l'AFSSaPS) est long et rigoureux. Les laboratoires savent que
s'ils veulent sortir en janvier une publicité pour un produit contre le
rhume, il leur est nécessaire de déposer leur dossier en septembre de l'
année précédente (c'est l'exemple de ce laboratoire qui veut recouvrir cet
hiver son immeuble donnant sur le périphérique d'une publicité de son
produit contre le rhume : sa demande date de juillet 2004).

Offensives pharmaceutiques
En ce qui concerne la publicité en direction des professionnelLEs de santé,
la réglementation est basée sur les mêmes critères, mais elle se fait a
posteriori du lancement de la campagne. Ce qui pose la question de l'
efficacité de ce contrôle. Les délais de traitement par l'AFSSaPS sont
identiques à l'autre formule : de 6 à 9 mois. De fait le contrôle n'entrave
pas le planning de leurs campagnes des laboratoires. Pour l'année 2003, 8
271 documentations promotionnelles à destination des professionnelLEs de
santé ont été déposées dans le cadre du contrôle a posteriori (chiffre de
demandes stables, à 500 demandes près, depuis 1998). Pour l'année 2003 :
seulement 7 refus. L'agence s'est occupée de les signaler aux intéressés 6 à
9 mois après le démarrage de la campagne. Ces interdictions ont été publiées
au Journal Officiel. Ce qui amuse les copains, mais n'a pas franchement d'
impact sur les médecins, cibles de la promotion. Parfois, l'Agence impose
une information corrective au laboratoire : on ne rigole pas avec l'
administration française. D'ailleurs, le nombre de refus en proportion du
nombre de demandes démontre l'efficacité de la mesure. Le contrôle a
posteriori est un piège, et il conviendrait de remettre en cause le
dispositif au profit d'un contrôle a priori comme pour la publicité grand
public. Mais se pose alors la question des moyens de l'AFSSaPS pour mener
efficacement cette mission.

Nous avons l'impression que les messages publicitaires VIH en direction des
professionnelLEs sont devenus plus agressifs. De plus, les publicités des
laboratoires dans les médias grand public sous couvert de sponsoring ou de
soutien de projet preennent souvent les mêmes chemins. Il nous paraît
légitime de penser que ce fait est lié au « marché » qui arrive à
saturation. Le nombre de malades sous traitement croît trop lentement pour
les bénéfices attendus aussi les firmes développent des stratégies de
marketing visant à conquérir des parts de marchés aux dépens des
concurrentEs.

Une des stratégies des firmes pharmaceutiques est de sortir de son contexte
les données publiées dans un abstract de conférence ou un article qui leur
est favorable, voire les recommandations d'un rapport d'expertEs comme celui
du Rapport Delfraissy pour leur faire dire que la molécule du laboratoire en
question est la meilleure. La réglementation est pourtant formelle : un
usage revendiqué dans une publicité pour un médicament doit être validé par
l'AMM et, s'il y a lieu, par les conclusions de la commission de
transparence. Les contraintes des expertEs sollicitéEs pour valider ou
invalider la publicité par l'AFSSaPS sont à l'avantage des laboratoires.
Quand le message publicitaire n'est pas formellement en contradiction avec l
'AMM, ils doivent argumenter leurs critiques et montrer en quoi ce qui est
écrit et/ou montré risque d'induire un usage hors AMM. Quand la publicité se
réfère à un article pas encore publié, elle est illégale. Sinon, il faut
relire l'article et éventuellement les commentaires éditoriaux concernant l'
article en question. Si l'on ajoute que les expertEs en question sont
bénévoles et qu'il peut y avoir parfois conflit d'intérêt, nous n'avons
aucun mal à leur témoigner une absolue méfiance. Ce sont les mêmes
professionnelLEs qui peuvent être sollicitéEs par les laboratoires pour être
investigateurRICE d'un essai clinique en lien avec leur champ d'expertise.

La ligne de défense des laboratoires pour prévenir la subjectivité de leur
démarche promotionnelle en direction des professionnelLEs de santé est de
dire qu'ils s'adressent à des médecins, donc ayant des connaissances
suffisantes pour replacer le message publicitaire dans son contexte. C'
est-à-dire qu'ils sont à même de décrypter, de par leur savoir médical, ce
qui est trop subjectif dans les « messages d'information ». Soyons honnêtes
: diffuser des messages subjectifs avec le dessein de prouver la capacité de
décodage des praticiens, c'est d'un cynisme ! L'intention est en fait d'
induire une modification des comportements de prescriptions. Et ça marche,
même si les médecins s'en défendent. Le revers de la médaille est que les
laboratoires bombardent les praticiens de tellement de brochures qu'ils
noient eux-mêmes leurs informations. Cependant, l'ampleur prise par Viréad®
en France au niveau des prescriptions est plus le résultat d'un marketing
efficace, peut être plus qu'une avancée thérapeutique majeure. La plupart
des documents promotionnels des laboratoires n'ont pas la moindre valeur
pédagogique bien qu'ils soient souvent les seuls moyens de formation des
médecins sur les nouveaux produits.

De quel contre-pouvoir disposons-nous ?
Le TRT-5 (l'interassociatif des associations sida en France) examine, depuis
2000, les publicités qui ont trait au VIH et ne se prive pas, le cas
échéant, d'envoyer ses commentaires à la commission d'expertEs de l'AFSSaPS.
Mais inutile de se faire d'illusions : face aux visiteurs médicaux qui
diffusent les brochures, sans doute pour aider le praticien à évacuer la
subjectivité du document, nous n'avons aucun réel pouvoir de contrôle.

De plus, le système est ainsi fait que nos remarques auront 6 à 9 mois de
décalage pour éclairer la commission d'expertEs de la pertinence de l'avis
des malades. Les laboratoires préparent en général deux campagnes par an,
une au mois d'août pour la rentrée et l'autre en hiver pour le printemps. L'
examen a posteriori de nos remarques arrive en décalage d'une campagne.
Il existe quatre degrés de sanction suite à l'examen des expertEs (2 mois
pour les saisir par l'AFSSaPS, 2 mois pour traiter la saisine) et après
réunion de la commission (elle peut prendre jusqu'à 3 mois pour statuer) :
une simple lettre, la mise en demeure, le projet d'interdiction et la
suspension d'urgence. Ce dernier type de sanction n'a jamais été appliqué.
Quand une firme apprend que l'AFSSaPS envisage d'interdire une campagne, la
firme concernée la suspende immédiatement. Mais la plupart du temps, la
campagne est déjà terminée.

Au-delà de la question des campagnes, on peut se demander pourquoi la
sanction ultime, la baisse forcée du prix du médicament, n'est, elle, jamais
appliquée : cela n'est pas en raison d'un quelconque lobby des laboratoires
(encore que ? !), mais simplement du fait que les principaux organismes
concernés (Commission de la publicité, Commission d'AMM, Transparence, CEPS)
ne coopèrent simplement pas.

La présence des associations de consommateur à l'intérieur de la commission
de la publicité devrait être une garantie d'objectivité. Cependant, ces
associations à l'intérieur et à l'extérieur de l'AFSSaPS se concentre sur la
publicité grand public. Leurs représentantEs font du bon travail, leur
cheval de bataille consiste à veiller à ce que les messages de prévention
soient inscrits dans les publicités grand public. Mais ils se désintéressent
parfois de la publicité à destination des professionnelLEs à caus de la
complexité technique de ces dossiers. Il n'y a donc aucune association de
malades dans ces commissions. Or, quelle que soit la pathologie, les
associations de malades devraient assurer un contre-balancier vis-à-vis de
la commission d'expertEs.

En attendant, le TRT-5 a envoyé une demande à Jean-François Mattéi, alors
Ministre de la santé, sollicitant un examen des publicités a priori et non a
posteriori. Son passage, trop bref, au ministère ne lui a, semble-t-il, pas
laisser le temps de nous répondre. Nous insistons pour que les malades
soient présentEs dans la commission de la publicité, de même qu'ils le sont
dans la commission de la pharmacovigilance. Gageons que son successeur,
Philippe Douste-Blazy aura soin de traiter, un jour, ces demandes, dans l'
intérêt des malades et bien évidemment afin d'éviter des abus de
prescription liés à des démarches promotionnelles mal comprises par les
praticienNEs. L'affichage d'une ferme volonté de combler le trou de la
sécurité sociale devrait nous rassurer sur ce point. A voir.

Nota
Le 2 décembre dernier a eu lieu la première réunion offficielle entre l'
AFSSaPS et les associations de malades. La journée a permis à l'Agence de
présenter son travail en détaillant l'évaluation des médicaments, leur mise
sur le marché, la pharmacovigilance et le contrôle de la publicité et aux
association d'exposer leur demandes. A l'issue de cette rencontre, quatre
groupes de travail se sont mis en place :
  groupe 1 : transparence et information ;
  groupe 2 : vigilance ;
  groupe 3 : procédure de collaboration entre l'Agence et les associations ;
  groupe 4 : accès précoce aux nouvelles molécules.
Le travail de ces groupes devrait aboutir, en principe avant l'été, à un
projet de collaboration permanente entre l'AFSSaPS et les malades.

Act Up-Paris