[e-med] A propos des contrefaçons de médicaments...

PHARMACOLOGIE La France est encore épargnée mais l'ordre national des
pharmaciens tire la sonnette d'alarme
Les faux médicaments arrivent en Europe
Importations parallèles, copies, faux médicaments dangereux ou inutiles, ce
fléau croissant ne concerne plus que les pays pauvres. La distribution
pharmaceutique américaine a déjà été contaminée par de la fausse EPO. Paris
a déjà connu un cas d'importation de faux médicament. Selon l'Organisation
mondiale de la santé (OMS), déjà 30% des contrefaçons proviennent des pays
développés.
http://www.lefigaro.fr/sciences/20041105.FIG0379.html
Jean-Michel Bader
[05 novembre 2004]

C'est un des «cadeaux» empoisonnés de la mondialisation, et des règles de la
libre circulation des biens signées par les pays membres de l'OMC et des
pays de l'Union européenne. Les fabricants, distributeurs et vendeurs de
produits pharmaceutiques dégradés, dépourvus de principes actifs voire même
carrément toxiques, cherchent à pénétrer les circuits de la pharmacie
française, à partir de pays européens, ou grâce à Internet. Jusqu'ici notre
pays n'a officiellement détecté aucun cas, mais les inquiétudes des pouvoirs
publics des pays occidentaux sont réelles. La Food and Drug Administration
américaine a créé une force de frappe anti-contrefaçons en juillet 2003,
qui, voici quelques jours, a fait des propositions de luttes tous azimuts :
colisage, authentification des produits, identification des contrefaçons par
balises à radio-fréquence, etc. La fédération internationale pharmaceutique,
l'Organisation mondiale de la santé et, en France le ministère de
l'Intérieur, les Douanes, Tracfin, Interpol, l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé et les industriels du secteur traquent sans
relâche les faux médicaments.

Au cours d'une réunion organisée mercredi à Paris par l'Ordre national des
pharmaciens, Fodé Oussou Fofana, président de l'ordre des pharmaciens de
Guinée, a rappelé que 70% des médicaments antipaludéens circulant au
Cameroun et dans six autres pays africains sont contrefaits. D'après The
Lancet, 64% des antimalaria étudiés au Vietnam ne contenaient pas de
principe actif. Un rapport de février 2004 de la FDA confirme que 50% des
traitements antipaludéens sont contrefaits en Afrique.

En Guinée, le patron de l'ordre des pharmaciens a lancé, de 2000 à 2004, six
étudiants thésards sur la piste des faux médicaments, en analysant
systématiquement les médicaments vendus sur les marchés de Conakry. Sur 137
médicaments identifiés et analysés, seulement 54 étaient en tous points
conformes (de l'emballage à la composition) au médicament officiel, et 83
(soit 61%) ne l'étaient pas. 56 des médicaments suspects avaient un «déficit
partiel» (en principes actifs), et 18 autres ne contenaient rien. Toutes les
classes étaient représentées : antibiotiques, antalgiques,
anti-inflammatoires, antiparasitaires. Conclusion des étudiants guinéens :
«Les 137 médicaments proviennent de 57 laboratoires fabricants dont
seulement huit sont officiellement reconnus par le ministère de la Santé
publique.»

Ziad Nassour, de l'ordre des pharmaciens libanais, a expliqué que
l'amendement d'un article de loi autorisant la pratique d'escomptes (donc de
ristournes) sur le prix des médicaments a provoqué une concurrence déloyale
entre pharmaciens, une augmentation des prix. «L'incitation à la
consommation a finalement fait exploser la contrebande et l'irruption des
contrefaçons.» M. Nassour donne l'exemple d'une boîte de Leponex (puissant
neuroleptique traitant les schizophrénies). La «vraie» est achetée 80 livres
par le pharmacien honnête et la «fausse» payée 15 livres par un collègue peu
scrupuleux. Le prix proposé au patient des deux produits est identique : 100
livres. Mais le premier responsable d'officine voit sa marge entièrement
balayée par la pratique des escomptes, tandis que le second fait un bénéfice
net de 54 livres. Du coup, la tentation de la contagion est grande, pour
survivre, de faire aussi la contrebande des contrefaçons.

En France, le seul cas avéré, a été en 2003 une affaire de faux corticoïdes
de blanchiment de la peau, dans un circuit illégal à Barbès, donc en dehors
du circuit pharmaceutique officiel. Yves Juillet, du syndicat des
entreprises du médicament, l'a rappelé : «Les Etats-Unis ont vu doubler les
déclarations de cas de fraude entre 2003 et 2004. Il s'agit de produits
chers à forte valeur ajoutée (hormones, EPO, anticancéreux), le phénomène
est aggravé par la couverture médicale incomplète. 40 millions d'Américains
n'ont pas de protection sociale. Et contrairement à la France, le circuit de
distribution des médicaments est perméable, les pharmaciens peuvent acheter
à qui se prétend distributeur sans vérification.»

En France, aucun pharmacien ne peut acheter, ni se réapprovisionner, sans
s'identifier auprès d'un répartiteur, d'un distributeur ou d'un fabricant.
Chacune de ces entreprises, considérées comme établissements
pharmaceutiques, fait dialoguer entre eux des pharmaciens diplômés
identifiés. Par ailleurs la réglementation sur les prix, la traçabilité des
lots et les conditions de délivrance sur ordonnance médicale au patient ne
rendent pas notre pays particulièrement attractif aux mafias du faux
médicament ! Mais la vente sur Internet, toute interdite qu'elle soit, est
menaçante : l'offre vient de l'étranger donc hors législation française, et
les produits de l'impuissance, les anorexigènes, les hormones, les
anabolisants font l'objet d'une demande en forte croissance.

On y trouve d'ailleurs du faux comme du vrai médicament détourné ! Nous
avions, en 1994, commandé sur un site Internet américain de l'hormone de
croissance et des corticoïdes anabolisants, qui étaient arrivés par simple
colis postal à la rédaction. Vérification faite auprès de Pharmacia et Eli
Lilly, il s'agissait bel et bien de lots de fabrication officiels, et les
seringues contenaient vraiment les produits actifs. L'hormone de croissance
avait été «braquée» plusieurs années auparavant dans une usine Pharmacia non
sécurisée du nord de l'Europe !

Autre risque, également conséquence de la mondialisation : celui des
importations parallèles : «Un arrêt de la cour de justice européenne
autorise en effet l'altération des conditionnements. Cela privilégie la
libre circulation au détriment de la santé publique.» Certains de nos
partenaires, dont l'Allemagne, prônent une déréglementation totale de la
distribution «au moment où nos frontières deviennent communes avec celles
des pays contrefacteurs», s'indigne le docteur Juillet. Une affaire à
suivre...