[e-med] Médicaments contrefaits : l'épidémie silencieuse

[la campagne d'information sur les dangers du marché illicite continue.CB]

Contrefaçons
Médicaments contrefaits : l'épidémie silencieuse
Destination Santé 9 juin 2006 publié sur ufctogo.com le 9 juin 2006
http://www.ufctogo.com/article.php3?id_article=1437

Près de 400 000 morts depuis 2001 en Chine, trente morts au Cambodge en
1999, 2 500 morts au Niger en 1995... Ce sont les rares chiffres connus, la
partie visible de l'iceberg constitué par les victimes des médicaments
contrefaits ! Chaque année dans le monde, des centaines de femmes, d'hommes
et d'enfants sont victimes de ce marché fondé sur la tromperie. Une
industrie meurtrière qui touche particulièrement les pays en développement.
Mais le monde riche n'est pas épargné. En 2004, près de 900 000 produits
pharmaceutiques contrefaits auraient été saisis dans l'Union européenne !

Pour l'OMS, un médicament contrefait est un « produit dont la composition et
les principes actifs ne répondent pas aux normes scientifiques. Il est par
conséquent inefficace et souvent dangereux pour le patient ». Or la
contrefaçon prend des formes très diverses. Et elle peut concerner aussi
bien des produits de marque que des produits génériques.

On peut résumer les principales formes de contrefaçons de la sorte : il peut
s'agir de médicaments contenant les principes actifs authentiques du produit
initial, mais avec un emballage imité ou sans emballage du tout. Le stockage
en vrac de ces médicaments est une pratique répandue mais dangereuse. Un
conditionnement de qualité est en effet essentiel à la protection du
médicament contre la chaleur, l'humidité, le soleil...

Il arrive parfois aussi que la copie renferme bien les principes actifs
requis, mais en quantité insuffisante par rapport à la version originale. Ou
qu'elle renferme d'autres principes actifs que ceux présents du vrai
médicament. Une porte ouverte à tous les abus. Il arrive enfin que le
produit contrefait ne renferme aucun principe actif. Une sorte de placebo
qui se pare du nom d'un vrai médicament. Cela peut entraîner des ravages, s'il
est employé pour traiter des maladies potentiellement mortelles comme le
paludisme, la tuberculose ou l'infection à VIH-SIDA.

Une industrie assassine en plein essor !
Un médicament sur dix vendu dans le monde serait un faux. D'après une étude
de la Food and Drug Administration (la FDA) américaine, les médicaments
contrefaits représenteraient plus de 10% du marché mondial. Soit 32
milliards de dollars de bénéfices par an ! Et ce n'est pas près de s'arrêter.
Selon la Fédération internationale des industries du médicament, le trafic
de médicaments serait 25 fois plus rentable que le commerce de l'héroïne et
5 fois plus que celui des cigarettes !.

Pommades, collyres, sirop, comprimés, tout y passe. Une étude récemment
publiée par The Lancet révèle que dans le monde, jusqu'à 40 % des produits
supposés contenir de l'artésunate ne contenaient pas de principe actif et n'avaient
donc aucun effet thérapeutique ! Or l'artésunate, c'est le meilleur
médicament disponible aujourd'hui contre le paludisme chimiorésistant. Un
médicament vraiment essentiel.

La contrefaçon est une entreprise très lucrative, qui ne demande pas de
logistique importante. Pas besoin de grands établissements. On peut produire
de faux médicaments à des coûts peu élevés. Souvent, il suffit d'un simple
entrepôt désaffecté ou même d'une arrière-boutique pour se lancer dans la
fabrication artisanale de ces copies. Et d'après l'OMS, des contrefacteurs
ont même été découverts en plein travail, à l'ombre d'un arbre en Afrique !
La vente, elle, se fait dans les marchés et à la sauvette au bord des
routes.

Avec la mondialisation, ce marché très juteux est en pleine expansion. Même
dans les pays riches où Internet a permis aux contrebandiers de reprendre du
poil de la bête. Les corticoïdes, anti-inflammatoires et autres Viagra se
vendent le plus souvent sur la Toile, sans aucun contrôle médical. Idem pour
de nombreux produits de phytothérapie importés d'Asie. L'OMS estime d'ailleurs
que 40% des médicaments contrefaits sont écoulés dans les pays développés.
Quarante pour cent, cela signifie que les 60% restants concernent les pays
pauvres ! Lesquels ne disposent pas de contrôles fiables aux frontières,
capables d'endiguer ce trafic. Les spécialistes estiment que jusqu'à 50% -
voire plus... - des médicaments consommés dans certains pays en
développement sont contrefaits. Surtout en Asie et en Afrique. Au Nigeria
par exemple, sur 10 médicaments vendus, 6 ne seraient pas homologués. Idem
en Guinée, où plus de 60% des médicaments commercialisés seraient issus de
la contrefaçon.

C'est dire toute l'ampleur du problème dans des pays où les réglementations
pharmaceutiques ne sont pas assez strictes et l'approvisionnement en
médicaments de base, insuffisant. Et surtout hors de prix pour une grande
partie de la population. Le fait que les médicaments soient payants même à l'hôpital
encourage les marchés parallèles.

L'Afrique noire est sérieusement touchée par ce phénomène. Pourquoi ? Parce
que l'Afrique a été frappée de plein fouet par une série de cataclysmes
sociaux et économiques. La pandémie de VIH-SIDA a décimé les forces vives du
continent. Des guerres civiles ou transfrontalières ont dévasté plusieurs
pays. La dévaluation du franc CFA a renchéri tous les produits d'importation.
Sur ce terrain fragilisé, la fraude a prospéré. Aujourd'hui, le continent
africain est en quelque sorte la terre d'élection de faussaires venus du
monde entier. Du Sud-Est asiatique, d'Amérique latine, d'Inde, et de
certaines républiques de l'Est européen.

Mais d'autres régions du monde sont également concernées par ce fléau. Au
Liban par exemple, il n'est pas rare de saisir des produits pharmaceutiques
contrefaits en provenance d'Egypte, d'Irak ou du Pakistan. Notamment de l'insuline
et des pilules contraceptives qui parfois, ne contiennent que du talc. Ou
encore des conteneurs entiers remplis de faux Viagra affichant au mieux 10%
du dosage normal en sildenafil (le principe actif), mais le plus souvent
zéro pour cent.

Le faux Viagra justement, on le retrouve également au Maghreb. En Algérie et
au Maroc, il inonde les fameux « souk al fellah », littéralement les «
marchés du paysan ». Des souks « fourre-tout », où l'on vend aussi bien des
ailes de voitures, du carburant, des produits électroménagers que des
médicaments contrefaits ou de contrebande.
Selon Faouzi Mohamed, président du corps syndical des pharmaciens d'Oujda,
au nord-est du Maroc, à la frontière avec l'Algérie, « on trouve un mélange
de produits qui provient soit d'Espagne, soit des pays de l'Est, de la
Libye, d'Egypte. Je vous donne à titre d'exemple le Viagra qui est connu à l'échelle
mondiale. Ici on trouve le Vegra et non pas le Viagra. Ils jouent sur le
nom. Et si on prend en compte tous les produits, on trouve une cinquantaine
de spécialités. Comme par exemple quelques médicaments neuroleptiques comme
le Klonopin, des produits antiseptiques, quelques produits
anti-inflammatoires. »

Le faux tue ! D'après l'OMS, le développement de la contrefaçon de
médicaments trouve son origine dans l'immense pauvreté d'une grande frange
de la population mondiale. Laquelle n'hésite pas à s'approvisionner en
dehors du système officiel de distribution.

Le Dr Yves Juillet est conseiller du président du Leem (les Entreprises du
Médicament) en France. Il y préside également le groupe de travail
anti-contrefaçon. Il explique que « les études qui ont été faites ont montré
que dans plus de la moitié des cas les produits contrefaits ne contenaient
pas de principe actif. Et dans les autres cas, ils contenaient soit moins,
soit d'autres produits, soit des impuretés. Le risque, c'est d'abord de ne
pas avoir de traitement quand on en a besoin. Et dans une maladie
infectieuse cela peut être très grave. On pense également que les
résistances aux antiparasitaires, et particulièrement aux antipaludéens sont
en grande partie liées au fait que les gens prennent des produits sous-dosés
ou mal préparés. »

Se soigner avec un médicament contrefait ou de qualité inférieure entraîne,
dans le meilleur des cas un échec thérapeutique ou pire, l'apparition de
résistances. Et trop souvent, c'est la mort qui est au rendez-vous. L'OMS
estime que chaque année, 200 000 malades atteints de paludisme meurent à
cause de médicaments de mauvaise qualité. Soit le dixième des morts
attribués au paludisme ! Car de nombreux faux antipaludéens circulent en
effet sur le marché mondial.
Une étude effectuée en Asie du Sud-Est en 2001 a révélé que 38 % des
antipaludéens vendus en pharmacie ne contenaient aucun principe actif et
provoquaient donc de nombreux décès. Comme en 1999 au Cambodge. Plus de 30
personnes y sont mortes après avoir absorbé des antipaludéens contrefaits
contenant de la sulfadoxine-pyriméthamine (un ancien paludéen moins
efficace) et vendus sous le nom d'artésunate.

Autre cas connu, la consommation de sirop contre la toux contenant du
paracétamol, et préparé avec du diéthylène glycol (un produit chimique
toxique utilisé comme antigel). Il a tué 89 personnes en Haïti en 1995 et 30
nourrissons en Inde en 1998.

De pâles copies d'antirétroviraux ont également été découvertes en Afrique
centrale, une région déjà durement touchée par la pandémie de VIH-SIDA. D'autres
produits, tels que des pilules contraceptives frelatées et des préservatifs
non étanches ont également été saisis. Ce qui fait craindre un retard
important dans la lutte contre la maladie dans cette région où les
difficultés d'accès aux médicaments représentent déjà un obstacle majeur
dans le combat contre la propagation du virus.

Pour lutter contre ces contrefaçons, industriels, distributeurs et autorités
publiques ont intérêt à faire front commun. Et comme le précise Yves
Juillet, le rôle du pharmacien est fondamental sur le terrain. « Le
pharmacien a un rôle très important parce que c'est un des maillons
essentiels de la chaîne pharmaceutique. Et c'est par la garantie de la
chaîne pharmaceutique depuis le producteur jusqu'au pharmacien, en passant
par le distributeur, que l'on peut essayer de lutter contre ce fléau. Le
pharmacien doit donc faire très très attention à son circuit d'approvisionnement
pour n'acheter ses produits que dans des circuits qu'il connaît très bien et
dont il a la garantie de la qualité. »

Bien évidemment, la vigilance du pharmacien ne suffit pas. Elle doit
impérativement être soutenue et accompagnée par des campagnes de
sensibilisation et d'information sur le danger du commerce illicite des
médicaments. Sans prévention, les populations iront toujours se servir dans
des marchés parallèles, parce qu'elles croient hélas que le médicament est
moins cher dans la rue. Ce qui est complètement faux. Les calculs
économiques montrent que le médicament vendu à la sauvette est plus cher.
Mais comme il est vendu à l'unité, au comprimé, c'est évidemment plus facile
pour le malade... mais extrêmement dangereux ! Alors, faites attention. Un
médicament n'est pas un bonbon. Il s'achète en pharmacie et nulle part
ailleurs. Surtout pas sur Internet ! Il en va de votre vie.
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