Faux médicaments, le fléau mondial
La contrefaçon fait des centaines de milliers de morts chaque année,
notamment en Chine, un des principaux producteurs.
Par Sandrine CABUT
QUOTIDIEN : Lundi 4 septembre 2006 - 06:00
Pilules de consommation courante ou innovations très chères, antibiotiques
ou Viagra, en matière de médicaments, la Chine contrefait tout. Même des
vaccins pour protéger les poulets de la grippe aviaire. La semaine dernière
encore, la police shanghaïenne a démantelé un réseau qui vendait du faux
Tamiflu, le médicament antigrippe du géant pharmaceutique suisse Roche. Plus
de 400 kg de pilules prêtes à être mises en vente sur l'Internet ont été
saisies. La Shanghai Xidi Pharmaceutical aurait écoulé plus de 600 000
dollars de faux médicaments en quelques mois d'existence... Cette fois, le
faux vaccin était inoffensif. Mais l'industrie chinoise du faux
pharmaceutique fait des centaines de milliers de morts. Sur son propre
marché d'abord, puis chez ceux vers qui elle exporte sa production : ses
voisins asiatiques et les pays du Sud en mal de traitements abordables. Cet
été, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a tiré la sonnette d'alarme
sur les contrefaçons d'artésunate, un médicament contre le paludisme,
fraîchement débarquées sur le continent africain.
«En 2001, les faux médicaments ont été reconnus responsables de 192 000
morts en Chine. Le gouvernement chinois a fermé 1 300 usines et enquêté dans
480 000 cas, impliquant des produits d'une valeur estimée à 57 millions de
dollars», affirment les auteurs d'un récent article de la revue médicale
britannique The Lancet (1). Avec l'Inde, la Chine est considérée comme l'un
des plus gros contrefacteurs mondiaux de médicaments, mais il est difficile
d'avoir une idée précise de l'ampleur du phénomène. «Les chiffres qui
circulent sont toujours des extrapolations, c'est pour cela que nous avons
arrêté d'en donner en ce qui concerne la Chine», justifie Valerio Reggi, qui
coordonne un vaste programme de lutte contre les médicaments contrefaits à
l'OMS. Même scepticisme sur les statistiques de saisies douanières. «Cela
signifie surtout qu'un pays est capable de détection», poursuit-il.
Une chose est sûre, le gouvernement chinois affiche une volonté de faire la
chasse aux pilules de mauvaise qualité ou contrefaites. En premier lieu sur
son territoire. Comme dans la plupart des pays à faible couverture sociale,
beaucoup de Chinois achètent des médicaments dans la rue. «Seulement un
quart de la population a accès à un système d'assurance maladie, insiste
Valerio Reggi. Depuis un an, il y a des campagnes de contrôle avec des
petits camions qui vont dans les zones rurales.» Au-delà des motivations de
santé publique, les intérêts économiques poussent les autorités à montrer
leur détermination dans cette lutte. «Comme les Indiens, les Chinois sont
des spécialistes de l'exportation de médicaments finis mais aussi de
matières premières. Ils doivent trouver des solutions, c'est une question
d'image», note Cinthya Ramirez, analyste à l'IFPMA (International Federation
of Pharmaceutical Manufacturers and Associations). D'autant que le secteur
est en plein essor. La Chine représente 2 % du marché mondial du médicament,
mais la croissance annuelle est de 17-18 %. «En 2001 , les Chinois ont
accepté d'adopter des règles de bonnes pratiques de fabrication des
molécules, souligne Valerio Reggi . Les fabricants ont dû s'adapter, c'est
pourquoi des usines ont fermé, environ 2000 en cinq ans.»
«Délirant». Depuis début 2006, l'OMS met en place un groupe de travail
international pour harmoniser la lutte contre la contrefaçon de médicaments.
Il s'agit de mettre au point une législation modèle de répression, que
chaque Etat pourrait ensuite adapter. «Dans la plupart des pays, la
contrefaçon n'est pas définie comme telle, la loi porte sur la protection
des marques, explique Valerio Reggi. A certains endroits, les faussaires
risquent plus pour la contrefaçon d'une marque dix ans de prison que
pour celle d'un médicament deux ans. C'est délirant.» De nombreux
partenaires (2) et une dizaine de pays dont la Chine participent au projet.
En tout cas officiellement. «Lors de la première réunion, en février, le
gouvernement chinois avait envoyé trois représentants qui semblaient sérieux
et prêts à collaborer. En juillet, à la deuxième réunion, il n'y en avait
aucun», relève un responsable français de l'industrie pharmaceutique.
(1) The Lancet Infectious Diseases, 21 août 2006.
(2) Dont l'Organisation mondiale du commerce, l'Organisation mondiale des
douanes, Interpol, des associations de fabricants, de patients...