[e-med] A propos du vaccin contre la grippe H1N1

Grippe: des vaccins qui font peur

Certains pays envisagent d'alléger les procédures de contrôle pour gagner
du temps.
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vendredi 7 août 2009
http://www.slate.fr/story/9001/grippe-pandemie-vaccins-polemique

C'est juré. Croix de bois, croix de fer : les futurs vaccins
antipandémiques seront d'une qualité irréprochable; nous n'avons aucune
raison de nous inquiéter sur ce point. L'OMS (Organisation mondiale de la
santé) vient de nous assurer que l'urgence pandémique ne changerait rien à
l'affaire: les très rigoureuses procédures réglementaires d'approbation
des vaccins en cours de production contre le A(H1N1) ne seront pas
allégées. Priorité à l'efficacité et, plus encore peut-être, à
l'innocuité. Mais au fait, pourquoi devrions-nous nous inquiéter. Une fois
de plus ce sont les «médias» et leurs «craintes» qui ont poussé
l'organisation sanitaire onusienne à prendre la parole pour, autant que
faire se peut, calmer le jeu.

C'est The Lancet qui, il y a quelques jours, a tiré le signal d'alarme.
Dans un éditorial aussi court que solennel il a mis en garde les
responsables sanitaires des pays qui souhaitent assouplir les procédures
réglementaires de manière à disposer au plus vite des premières doses
vaccinales. Or tout indique qu'un tel assouplissement équivaut
immanquablement à exposer les populations concernées à des risques
nullement négligeables de complications post-vaccinales. The Lancet
rappelle qu'une campagne accélérée de vaccination de masse pratiquée en
1976 aux Etats-Unis l'a malheureusement démontré. Et le célèbre
hebdomadaire médical britannique de plaider en faveur d'une surveillance
étroite des possibles effets secondaires de la future vaccination de masse
qui va être entreprise à l'échelon planétaire.

«Le public doit être assuré que les procédures en place pour
l'attribution d'une licence aux vaccins contre la pandémie sont
rigoureuses et ne compromettent pas la sécurité et la qualité des
contrôles» assure l'OMS dans une note publiée sur son site internet. Et le
même site décrit, dans un indigeste jargon réglementaire, les différentes
étapes de l'élaboration et de la certification des vaccins antigrippaux en
générale et donc, en l'occurrence, de celui antipandémique à venir.

Mais dans ce domaine l'OMS n'a pas de réel pouvoir. Bien évidemment avant
de pouvoir vendre et administrer le vaccin à la population, une
homologation réglementaire est requise au même titre qu'elle l'ait pour
chaque médicament. Mais cette homologation est du ressort des autorités
sanitaires nationales. «Chaque pays a sa propre réglementation et son
organisme responsable dans ce domaine, explique l'OMS. Si le vaccin est
préparé en suivant le même processus que les vaccins antigrippaux
saisonniers, dans les mêmes usines, cela peut être très rapide (un à deux
jours). Dans certains pays, les organismes de réglementation imposent des
essais cliniques avant d'homologuer le vaccin, ce qui ajoute un délai
supplémentaire avant que le vaccin puisse être disponible. Dans le
meilleur des cas, l'ensemble du processus peut être achevé en cinq à six
mois. Les premiers vaccins contre la grippe pandémique peuvent alors être
distribués et administrés.»

Or les «cinq à six mois» risquent fort de disparaître sous l'action
conjuguée de deux éléments inédits. Le premier est la volonté acharnée de
nombreux gouvernements de pays industriels de disposer au plus vite de
quantités massives de doses vaccinales anti -A(H1N1). Le second est la
compétition acharnée à laquelle se livrent les quelques multinationales
spécialisées qui achèvent dans le même temps la production du vaccin
contre la future grippe saisonnière. On en arrive ainsi à ce que redoute
The Lancet: faire l'économie de certaines procédures visant à étudier dans
le calme l'efficacité et l'innocuité de cette arme préventive qui va être
administrée à des centaines de millions de personnes. L'argument
généralement avancé pour justifier cette initiative est que l'on dispose
d'une très bonne et très longue expérience avec les vaccins de la grippe
saisonnière...

Le Dr Marie-Paule Kieny, directrice de la recherche sur les vaccins à
l'OMS vient d'annoncer que les premiers essais expérimentaux sur l'homme
avaient déjà commencé dans cinq pays : les Etats-Unis, l'Australie, la
Chine, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Ils devraient débuter dans les
prochains jours dans plusieurs autres pays. Les premiers résultats de ces
essais devraient selon elle être connus «au cours de la première quinzaine
de septembre», les premières vaccinations pouvant alors être pratiquées
vers la fin septembre. La responsable de l'OMS a toutefois confirmé une
information qui circulait jusqu'ici dans les milieux spécialisés: le
rendement des premières souches virales utilisées pour la production
vaccinale est inférieur à celui des virus de la grippe saisonnière, ce qui
pourrait réduire significativement les volumes de production.

Et une nouvelle fois, l'OMS souffle le chaud et le froid. Le Dr Kieny
insiste sur le fait que les effets secondaires graves de vaccins contre
la grippe saisonnière sont en général «très rares» tandis que son
organisation reconnaît que les contraintes de temps font que les données
cliniques seront inévitablement limitées quand les premiers vaccins contre
la pandémie seront administrés. Pour le dire autrement on sait d'ores et
déjà que les premiers lots vaccinaux auront inévitablement un caractère
quelque peu expérimental. C'est pourquoi, en écho à l'éditorial du Lancet,
l'OMS conseille à tous les pays lançant des campagnes vaccinales
d'organiser une «surveillance intensive sur la sécurité et l'efficacité».

C'est dans ce contexte d'incertitudes que la multinationale américaine
Baxter a annoncé le 5 août, être en tête de cette course contre-la-montre
hors du commun. Baxter assure avoir terminé fin juillet la production de
ses premiers lots de vaccins et dit ne plus attendre que les premières
autorisations de mise sur le marché. La firme serait déjà en discussion
avec les autorités sanitaires américaines. Fin juillet ces dernières ont
recommandé que les enfants et les femmes enceintes figurent parmi les
quelque 160 millions de personnes aux Etats-Unis qui doivent être
vaccinées en priorité cet automne.

Cette décision a été prise après une réunion d'urgence des Centres de
contrôle et prévention des maladies (CDC) consacrée à la lutte contre la
résurgence du A(H1N1). Cinq groupes de population (soit 160 millions de
personnes, plus d'un Américain sur deux) sont considérés comme étant à
risque ou exposé à des complications. «Cela inclut les femmes enceintes,
les adultes en contact avec des enfants de moins de six mois, le personnel
de santé, les enfants et les jeunes âgés de 6 mois à 24 ans et les adultes
fragiles» a précisé Anne Schuchat, directrice du centre des immunisations
des CDC.

Après réception de la souche virale (fin mai), il aura suffi de 12
semaines à Baxter pour produire son vaccin. Plus de 3.500 personnes
l'auraient déjà reçu dans le cadre d'une étude de phase III, la dernière
avant la demande d'autorisation de mise sur le marché. D'autres essais
cliniques complémentaires sont prévus en août sur des adultes, des enfants
et des personnes âgées.

Baxter est en tête, mais le géant suisse Novartis n'est pas loin. Il
assure avoir commencé à administrer son propre vaccin dans le cadre de
premiers tests qui concerneront au total 6.000 personnes en
Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis. Paradoxe des paradoxes:
ces essais cliniques sont prévus pour durer un an mais le vaccin devrait
toutefois être commercialisé avant qu'ils arrivent à leur terme.

Quant à Sanofi-Pasteur, la filiale vaccins de la multinationale française
Sanofi-Aventis, elle a fait savoir le 7 août qu'elle avait débuté la
veille aux Etats-Unis et en Europe des essais cliniques sur un peu plus de
2.000 personnes. Un dossier d'enregistrement a été déposé auprès des
autorités sanitaires américaines qui font tout pour faciliter le choses
dans ce domaine. En Europe, où la procédure est différente, Sanofi Pasteur
n'a pas encore déposé de dossier auprès de l'Agence européenne du
médicament (EMEA). Enfin, la veille de l'annonce de Baxter un autre géant,
britannique, GlaxoSmithKline, annonçait avoir reçu des nouvelles demandes
de la part de neuf pays, portant son carnet de commandes à 291 millions de
doses.

Jean-Yves Nau