Intervention de Xavier Bertrand Ministre du Travail, de lEmploi et de la
Santé - Conférence de presse sur la réforme du médicament
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-de-l-emploi-et-de-la-sante-conference-de-presse-sur-la-reforme-du-medicamen
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[ 23 juin 2011 ]
Mesdames, Messieurs,
Le 15 janvier dernier, nous vous exposions avec Nora Berra les enseignements
que nous tirions du rapport de lIGAS à la suite du drame du Mediator. Ce
rapport a établi clairement quil y a eu des défaillances graves dans le
fonctionnement de notre système du médicament.
Jai dit que notre responsabilité, mon devoir, était de rebâtir un nouveau
système du médicament, un nouveau système de sécurité sanitaire, avec un
objectif : quil ny ait pas demain de nouveau « Mediator ». Cest la
condition de la confiance dans nos médicaments.
Ce nest pas un sujet partisan, cest une volonté qui doit être partagée par
lensemble des acteurs. Voilà pourquoi jai souhaité avoir les contributions
du plus grand nombre.
Jai donc lancé une grande concertation, les assises du médicament : nous
avons décidé de réunir les parlementaires et lensemble des acteurs du
domaine des produits de santé, les prescripteurs et les dispensateurs, les
utilisateurs, les régulateurs, les fournisseurs, les chercheurs et bien sûr
les lanceurs dalerte.
Plus de 300 personnes ont participé à ces Assises et il y a eu près de 50
réunions au total. La restitution publique de chaque groupe de travail sest
tenue le 31 mai dernier et Edouard Couty, rapporteur général des Assises,
vient de nous exposer leurs propositions.
Je tiens à le remercier ainsi que les présidents, vice-présidents et
rapporteurs des six groupes de travail.
Un point extrêmement important que je tiens à souligner : les Assises se
sont déroulées dans une totale transparence, gage indispensable pour
retrouver la confiance : tous les débats ont été enregistrés et sont
disponibles sur le site du ministère, tout comme les contributions et
comptes-rendus des différents groupes.
Nous disposons aussi, depuis ce mardi, du deuxième rapport de lIGAS sur la
pharmacovigilance et la gouvernance de la chaîne du médicament en France.
Les professeurs Debré et Even nous avaient déjà fait connaître leurs
propositions dès le mois de mars.
Hier a été publié le rapport de la mission parlementaire de lAssemblée
nationale sur le Médiator et la pharmacovigilance, présidée par Gérard Bapt,
avec Jean-Pierre Door pour rapporteur, et je les salue. Nous attendons aussi
le rapport de la mission commune du Sénat de François Autain et
Marie-Thérèse Hermange dici la fin du mois de juin.
Je tiens à souligner lampleur du travail des présidents et rapporteurs de
ces missions, ainsi que la démarche, quils ont tous adoptée, de
consultation très large de lensemble des parties prenantes.
Tous ces travaux, comme vous avez pu le voir à leur lecture, mettent en
évidence un point commun et rejoignent ma conviction : notre police du
médicament doit mieux assurer la sécurité des patients, le doute doit
toujours bénéficier au patient.
Jai voulu que nous prenions le temps de cette réflexion en profondeur,
parce que la sécurité ne se construit pas dans la fébrilité. Pour autant,
sans attendre, et comme je lavais annoncé, nous avons pris les mesures qui
pouvaient entrer en vigueur immédiatement.
Sur la question des conflits dintérêt par exemple, Nora Berra et moi-même
avons établi et demandé des déclarations dintérêt à nos collaborateurs,
avant même que la commission Sauvé ne remette son rapport au Président de la
République, parce que jestime que ce ministère est en première ligne pour
porter cette exigence de transparence.
Nous avons aussi pris des mesures immédiates concernant les médicaments qui
sont aujourdhui commercialisés sur le marché français. Avec Nora Berra,
nous avons demandé à lAfssaps de dresser un bilan des médicaments qui font
actuellement lobjet dun suivi renforcé de pharmacovigilance, en
déclenchant immédiatement des processus de réévaluation du bénéfice/risque.
Pour lancer une nouvelle dynamique, il fallait une nouvelle direction à
lAfssaps. Même si cela nest pas prévu par les textes, jai souhaité que le
nouveau directeur général, Dominique Maraninchi, soit auditionné par les
commissions compétentes de lAssemblée nationale et du Sénat avant sa
nomination.
Concernant lindemnisation des victimes du Médiator, et même si ce nest pas
lobjet principal de cette conférence de presse, un dispositif spécifique
est prévu. Claire Favre, présidente de la chambre commerciale, financière et
économique de la Cour de cassation, ma rendu hier son rapport. Sans rentrer
dans le détail, je veux quune chose soit claire : il nest pas question que
la solidarité nationale, et donc les contribuables, paient à la place du
premier responsable, les laboratoires Servier.
Les mois écoulés ont été des mois utiles : avec ces mesures durgence, cest
déjà un état desprit qui a changé.
Ces premières mesures, et toutes les propositions des différents rapports,
nont quun seul objectif : restaurer la confiance. Et pour restaurer la
confiance, il faut des décisions prises en toute transparence, il faut que
le doute bénéfice systématiquement au patient, et il faut que les patients
et les professionnels de santé soient bien formés et bien informés.
1. Premier pilier de notre réforme, la lutte contre les conflits dintérêt
et la transparence des décisions.
Je lai dit, sil ny a pas une transparence totale, il ny aura pas une
confiance totale. Cela passe par deux voies : lindépendance des experts et
lorganisation dune procédure dexpertise transparente et collégiale.
Lindépendance des experts, dabord. La lutte contre les conflits dintérêt
est notre priorité. On a progressé ces dernières années, mais pas assez. Il
faut aller plus loin. Tous les rapports saccordent sur cet objectif et les
propositions que je vais vous détailler sen inspirent grandement.
Désormais, un formulaire unique de déclaration publique dintérêts (DPI)
devra être rempli par les acteurs intervenant dans le domaine de la santé,
quil sagisse des experts externes et internes ou des associations de
patients.
Sagissant des fonctionnaires, ils seront soumis aux dispositions prévues
dans le cadre du projet de loi relatif aux conflits dintérêts. Chaque
institution devra assumer ses responsabilités : elle disposera dune cellule
de déontologie pour gérer et contrôler les DPI des acteurs quelle
sollicite.
Lensemble des DPI pourra être consultée sur une base de données publique.
Les règles de transparence doivent être strictement appliquées. Quand, dans
une réunion, un expert présent est concerné par un conflit dintérêt, les
décisions et les avis pris lors de cette réunion doivent être frappés de
nullité. Il sagit par là dinterdire à toute personne qui se trouve en
conflit dintérêt dêtre présente et de participer à la réunion. Ainsi les
choses seront claires et sans ambiguïté.
La transparence totale, cest aussi que toutes les conventions et
rétributions passées entre les laboratoires, les médecins, les experts, la
presse spécialisée, les sociétés savantes et les associations de patients,
soient désormais publiques, consultables. Toutes, sans exception.
Chaque industriel aura la responsabilité de publier sur son site internet,
en annexe de ses comptes, lintégralité de ces informations. Cest en
quelque sorte la transposition du système américain du « Sunshine Act » :
le « Sunshine Act » à la française, qui sadresse à lensemble des acteurs
du monde de la santé. Cest une des préconisations du rapport de lIGAS,
mais aussi des Assises, comme Edouard Couty vous la présenté, ainsi que de
la mission de lAssemblée nationale.
Si les obligations de déclaration ne sont pas respectées, alors des
sanctions seront appliquées, à commencer par limpossibilité de siéger dans
les commissions.
Jai parlé de la lutte contre les conflits dintérêt, jen viens à la
transparence des décisions.
Il faut renforcer la collégialité des travaux : les Assises, mais également
le rapport de la mission Mediator de lAssemblée nationale lont bien
souligné.
Cela veut dire intégrer des personnes qualifiées comme les représentants
dassociations de patients dans les commissions et rendre publics les
débats. Cette publicité des débats, vous avez pu le constater, a déjà été
mise en place à lAfssaps par le nouveau directeur général, Dominique
Maraninchi. Cette démarche doit être étendue.
Par ailleurs, comme je lai dit le 15 janvier, je pense quil faut réduire
le nombre de membres au sein des commissions pour éviter une dilution des
responsabilités : trop de membres, cest moins de responsabilités.
Ils ne doivent pas non plus être là ad vitam aeternam. Leur renouvellement
régulier est indispensable. Au-delà de quatre ou cinq années dexercice, un
renouvellement ne peut que profiter à intéressé et à linstitution
concernée.
Afin de garantir la meilleure qualité des décisions, il est important de
pouvoir renforcer les capacités dexpertise interne, notamment de lAfssaps,
en veillant également à la mobilité du personnel sur les postes à
responsabilité : cela permet dassurer une nécessaire vigilance sur les
sujets à traiter.
La transparence des décisions, cest aussi un système où chaque institution
a sa place, avec des rôles et missions clairement définis, pour que le
public sy retrouve. Cest pourquoi il est indispensable que linstitution
en charge de notre police du médicament soit clairement identifiée, et cela
commence dabord par son nom : lAfssaps sappellera désormais lagence
nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Il fallait aussi un nouveau mode de financement de lagence : il sera
désormais directement assuré par les subventions de lEtat, qui percevra les
taxes et les redevances de lindustrie pharmaceutique.
2. Deuxième pilier de notre réforme, le doute doit bénéficier
systématiquement au patient.
Cela vaut dès lautorisation de mise sur le marchédu médicament (AMM) et
tout au long de sa vie.
Je lai dit, il ne faut pas que le médicament soit juste un peu mieux que
rien, il faut un réel bénéfice pour le patient. Cest un combat que
jentends mener au niveau européen : disposer, dès lAMM, de données
comparatives avec le médicament de référence sil existe.
Toutes les personnes qui ont longuement réfléchi sur ce sujet, messieurs
Bapt et Door, messieurs Debré et Even, et les participants des assises,
saccordent sur cette nécessité de promouvoir la réalisation dessais
cliniques contre comparateurs actifs, lorsquils existent. Le critère de la
valeur ajoutée thérapeutique doit être pris en compte dans la réflexion de
loctroi dune AMM. Dès la semaine prochaine, je vais saisir le commissaire
européen John Dalli sur ce sujet.
Nous nattendons pas simplement davoir plus de médicaments, mais davoir
des médicaments qui soignent mieux, ou au moins aussi bien que ce qui est
disponible.
En attendant, au plan national, nous allons adopter dès à présent des règles
plus exigeantes pour la prise en charge des traitements par la collectivité
: pour être remboursé, le produit devra démontrer quil est au moins aussi
bon que ce qui est déjà sur le marché et remboursable.
Enfin, pour les médicaments présentant un Service Médical Rendu Insuffisant
(SMRI), de nouvelles règles sont applicables : à lavenir, aucune prise en
charge par la collectivité, donc pas de remboursement, sauf sil y a un avis
contraire du ministre, mais cet avis devra alors être motivé.
Les prescriptions hors AMM, bien quindispensables dans certains cas comme
ceux des maladies orphelines, doivent rester des situations réellement
exceptionnelles : elles doivent être encadrées et leurs risques associés
maîtrisés.
Pour cela nous devons détecter lusage « hors AMM » des médicaments pour
identifier les pratiques à risque et en informer les professionnels de
santé.
Le rôle des logiciels daide à la prescription, que je souhait désormais
certifiés par la HAS, est capital pour aider les professionnels de santé à
distinguer les indications relevant de lAMM et celles hors AMM. Voilà
pourquoi jai demandé que les médecins inscrivent sur lordonnance la
mention « hors AMM ».
Je crois que ce travail didentification et dencadrement des prescriptions
hors AMM est essentiel pour permettre une information éclairée des médecins.
Tout au long de sa vie, le médicament doit être suivi. Pour cela, il faut
notamment favoriser et simplifier la notification des effets indésirables
pour les professionnels de santé. Chaque notification donnera lieu à un
retour systématique de la suite donnée au signalement. De plus, le
professionnel de santé qui notifie doit pouvoir être protégé : la
confidentialité des données sera respectée.
Les alertes ne pourront plus rester lettre morte : un dispositif de
médiation sera mis en place au sein de chaque institution pour permettre un
recours en cas de non traitement dune demande ou dun dossier.
En outre, il faut que sur chaque boîte de médicament soit inscrit le numéro
vert dappel et le site internet de lAgence nationale de sécurité du
médicament auxquels les patients peuvent sadresser.
Les entreprises qui retirent un produit pour des raisons commerciales dans
un pays devront le signaler à tous les autres pays.
La liste des médicaments sous surveillance particulière sera régulièrement
mise à jour par lAgence et publiée sur son site internet.
Je reconnais que la démarche initiale est perfectible : il faut une grille
de lecture plus fonctionnelle, permettant aux professionnels de santé et au
public de disposer dune information juste et proportionnée. Il est
également indispensable dinstaurer des échanges institutionnalisés entre
lANSM et les professionnels de santé, médecins et pharmaciens, lorsquil y
a des décisions importantes à prendre en matière de sécurité sanitaire.
Je souhaite en outre que chacun de ces médicaments porte un pictogramme
identifiant sur la boîte.
Enfin, jai demandé à lagence de procéder à une réévaluation du rapport
bénéfice/risque des médicaments les plus anciens.
Sagissant de lévaluation, il faut un effort tout particulier sur le
développement de la pharmaco-épidémiologie, que ce soit en termes de
compétences et de ressources allouées à lANSM que détudes à réaliser
conjointement entre lANSM, la HAS, lINVS et lAssurance maladie.
Prenons lexemple dActos : cet antidiabétique, comme vous le savez, vient
dêtre suspendu par lANSM. Cette décision de sécurité sanitaire a pu être
prise grâce à la collaboration active entre la CNAM et lANSM, mais aussi
grâce à cette collégialité et transparence des travaux qui permet de
garantir une prise de décision rapide, efficace et proportionnée. Je veux le
souligner, à la suite de la publication de létude CNAM et de la décision de
lANSM, la FDA, (ladministration américaine de lalimentation et des
médicaments), dans les 48 heures, a ajouté une contre-indication dans la
notice dActos et lAllemagne a recommandé de ne pas initier de nouveaux
traitements. Cette réactivité, je la veux pour chaque dossier.
Une commission mixte bénéfice-risque sera créée à lANSM pour traiter des
sujets majeurs, avec parité des représentants de la pharmacovigilance et de
lAMM.
Je lai dit, le doute doit toujours bénéficier au patient. Si les délais des
études demandées aux industriels ne sont pas respectés, alors des sanctions
sappliqueront. Elles pourront aller jusquà une suspension dAMM.
Concernant la problématique spécifique des dispositifs médicaux, il me
semble important daccroître lobligation dévaluation des données cliniques
et de pouvoir conditionner, à terme, la prise en charge de ces dispositifs
médicaux à une évaluation positive de lintérêt thérapeutique.
Il faut également encadrer la publicité sur les dispositifs médicaux.
Enfin, à linstar de la pharmacovigilance, la vigilance sur les dispositifs
médicaux, quon appelle la materiovigilance, doit être améliorée et mieux
coordonnée.
3. Troisième axe de cette réforme, des patients mieux informés et des
professionnels de santé mieux formés et mieux informés.
Une information publique, indépendante et de qualité, cela passe par la
création dun portail public du médicament, qui devra regrouper les
informations à la fois de lANSM, de la HAS et de lAssurance maladie.
Il faut que ce site puisse devenir la référence en matière dinformation sur
le médicament, aussi bien pour les professionnels de santé que pour le
public. Evidemment, lenjeu sera de rendre ce site visible, lisible et
compréhensible.
Informer le public, cest également réaliser des campagnes dinformation sur
la thématique du médicament, ses caractéristiques, ses risques et surtout
son bon usage. Je pense que nous consommons trop de médicaments en France.
Je le rappelle, le médicament nest pas un produit de consommation comme un
autre : cest un bien précieux qui peut sauver des vies mais qui doit
sutiliser avec précaution et à bon escient.
Pour être bien informé, le professionnel de santé doit avant tout être bien
formé, et cela tout au long de sa vie de praticien. Il faut donc renforcer
la connaissance du médicament et de la pharmacovigilance dans les formations
initiales, mais également au cours de la formation continue.
La transparence des liens dintérêt, cela sapplique aussi aux enseignants.
Pour les étudiants, qui sont les prescripteurs de demain, il faut interdire
tout financement par les laboratoires dans le cadre de leurs études.
Cette absence de liens directs, qui permettra déviter toute suspicion, nous
devons aussi la retrouver dans le cadre de la formation continue. Cest
pourquoi je souhaite que la formation continue des libéraux et des
hospitaliers soit pour partie financée par un prélèvement provenant de
lindustrie pharmaceutique.
Avec ce nouveau cadre, les professionnels de santé pourront disposer dune
information publique, indépendante et de qualité. Je vais aussi lancer une
concertation pour revoir de fond en comble la visite médicale, parce que
telle quelle existe aujourdhui, cela ne peut pas fonctionner.
Pour le moment, ce que je propose, cest dinterdire la visite médicale dans
un cadre individuel. Elle doit sinscrire dans un cadre collectif, à
lhôpital à titre expérimental, avant extension à la médecine de ville. Si
lon commence par lhôpital, cest parce que cest bien souvent lhôpital
qui donne la tendance de la prescription, et cest à lhôpital que
sinitient beaucoup de traitements qui sont ensuite poursuivis en ville.