Associations de patients et firmes pharmaceutiques : halte aux liaisons
dangereuses
par Alain Bazot, Jean-Pierre Davant et Bruno Toussaint
LE MONDE | 28.05.09 | 13h56 • Mis à jour le 28.05.09 | 13h56
Des firmes pharmaceutiques s'activent aujourd'hui pour obtenir des
sénateurs et du gouvernement français ce qu'elles n'ont pu obtenir des
députés dans le cadre de la loi "Hôpital, patients, santé, territoires"
: la possibilité d'"informer" les patients sur les médicaments de
prescription suivant diverses stratégies allant de l'éducation
thérapeutique à des actions d'"accompagnement" des patients.
Il s'agit, en clair, de permettre la publicité directe auprès des
patients. La démarche serait banale, s'il n'y avait dans le sillage des
firmes certaines associations de patients.
Au moment où les conflits d'intérêts entre médecins et firmes sont de
nouveau sur la sellette, l'affaire est étonnante. Dans un rapport de
2007, l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) constatait déjà
: "Il paraît nécessaire d'inscrire dans la loi une disposition indiquant
clairement l'interdiction, pour une entreprise pharmaceutique, de
conduire tout contact personnalisé et toute démarche directe ou
indirecte d'information, de formation ou d'éducation à destination du
public relative à un médicament prescrit. (...)"
Et le rapport expliquait : "Car, même si l'entreprise pharmaceutique
participe au bon usage du médicament, on ne saurait s'en remettre à elle
pour le garantir. En effet, lui confier cette tâche transgresserait un
principe fondamental de la sécurité sanitaire : le principe d'impartialité.
"Une entreprise responsable du développement économique de son
organisation, confrontée à l'effet indésirable d'un de ses produits, à
un mésusage ou à une situation de concurrence, ne saurait être
positionnée comme juge et partie, car elle risquerait de privilégier son
objectif prioritaire, qui est économique.
"Plusieurs exemples de situations où une entreprise a été accusée
d'avoir dissimulé volontairement des données défavorables à l'un de ses
médicaments ont été d'ailleurs révélés publiquement ces dernières
années." Les députés ont commencé à inscrire dans la loi l'interdiction
des contacts entre firmes et patients au sujet des médicaments de
prescription.
Nous les approuvons. Nous souhaitons maintenant que les sénateurs aient
à coeur de développer cette interdiction, plutôt que de l'assouplir.
Quant aux associations de patients qui sont en cause, nous ne croyons
pas que l'ensemble des usagers du système de santé se reconnaît en elles
quand elles s'associent aux firmes pharmaceutiques dans des démarches
aussi mercantiles.
Renoncer au principe de leur propre "impartialité", et accepter par
ailleurs des financements des firmes pharmaceutiques, c'est mettre en
jeu la crédibilité même de ces associations.
Nous sommes de fervents défenseurs du droit des patients à une très
large information ; mais à une information fiable, indépendante, sans
conflits d'intérêts.
Nous sommes convaincus de l'absolue nécessité de voir se développer en
France les associations de patients et une certaine idée de la
démocratie sanitaire ; mais cette démocratie a besoin d'associations
fortes, réellement indépendantes, pleinement au service des patients,
sans conflits d'intérêts.
Alain Bazot est président d'UFC-Que choisir.
Jean-Pierre Davant est président de la Mutualité française.
Bruno Toussaint est directeur de la rédaction de Prescrire.
Article paru dans l'édition du 29.05.09.