[e-med] Avis_de_l'AFSSAPS_suite à la demande d'avis relatif à une étude sur la toxicité du N,N-diéthyl-3-méthylbenzamide (DEET)

AVIS de
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
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suite à la demande d’avis relatif à une étude sur la toxicité du N,N-diéthyl-3-méthylbenzamide (DEET)

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Objectif de la saisine

L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a été saisie le 12 août 2009 par la Direction générale de la santé (DGS) d’une demande d’avis relatif à une étude récente sur l’éventuelle toxicité du DEET (Corbel et al., 2009). En effet, la DGS souhaiterait disposer d’un avis relatif à cette étude, qui précisera notamment si celle-ci est de nature à modifier les recommandations d’utilisation du DEET, notamment concernant les jeunes enfants, émises en 2009 par le groupe d’experts sur l’évaluation des risques et de l’efficacité de substances et produits biocides auprès de l’Afssaps telles qu’exposées au sein du BEH n°23-24 du 2 juin 2009.

Cadre réglementaire actuel des répulsifs corporels
Les répulsifs corporels sans action thérapeutique à appliquer sur la peau saine humaine entrent dans la catégorie des produits biocides de type 19 (répulsifs et appâts) tels que définis dans l'annexe V de la directive biocide 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits biocides. En France, le Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer (MEEDDM), est chargé, en tant qu’autorité compétente, de la mise en oeuvre de la réglementation biocides. L’Afssaps est chargée de l’évaluation des risques et de l’efficacité de ces répulsifs corporels1.
Durant la période transitoire de mise en oeuvre de la directive 98/8/CE pour les produits biocides, les répulsifs ne sont pas encore soumis au système d'autorisation préalable à la mise sur le marché (AMM).
Lorsqu'à l'issue d'une évaluation communautaire, les substances actives seront inscrites à l'annexe I de la directive biocides pour cette catégorie de produits, ces derniers seront soumis à une autorisation de mise sur le marché délivrée par le MEEDDM.

Etat d’avancement de l’évaluation du DEET au niveau européen

Le rapport d’évaluation de la substance active DEET (N,N-diéthyl-méta-toluamide ou N,N-diéthyl-3 méthylbenzamide) est actuellement en phase de finalisation au niveau européen. Il est à noter que la limite d’âge d’utilisation chez l’enfant est en discussion et se situe entre 2 et 3 ans pour un produit contenant 15% de DEET.
Ainsi, le présent avis émis est destiné à répondre à la saisine de la Direction générale de la santé suite à la récente publication de Corbel et al. (2009) et ne préjuge donc pas des conclusions qui résulteront de l’évaluation européenne du risque, conduite dans le cadre de la réglementation des biocides.

Synthèse des données d’innocuité

Le dossier du pétitionnaire, soumis pour évaluation dans le cadre de la directive biocides, comporte des études toxicologiques chez les animaux de laboratoire, des données chez l’homme, des études spécifiques pour étudier la neurotoxicité et une synthèse des études de la littérature tentant d’expliquer les mécanismes d’action impliqués dans la neurotoxicité.

Des études de toxicocinétique ont été conduites chez l’homme (voie cutanée), le rat et le chien (voies orale et cutanée) et montrent que l’absorption cutanée est plus lente qu’après une absorption orale. Chez le rat, on observe une absorption et une élimination urinaire de 80% du DEET administré par voie orale, et de 74-78% après administration par voie cutanée. Chez l’homme, après exposition cutanée pendant 8 heures, moins de 20% d’une dose de DEET est absorbée. Ainsi, après application cutanée, l’absorption est approximativement de 4 à 5 fois moins importante chez l’homme que chez le rat. Les études disponibles montrent que le DEET n’est pas bioaccumulé. Il est métabolisé et éliminé rapidement principalement dans les urines.

Des études de toxicité aiguë ont été réalisées chez le rat par voies orale, cutanée et par inhalation et chez le lapin par voie cutanée. La DL50 par voie orale chez le rat est de 1892 mg/kg pc. La DL50 chez le rat et chez le lapin par voie cutanée est supérieure à 5000 mg/kg pc. et 2000 mg/kg pc. respectivement. L’exposition par voie inhalée à 2,02 mg/L ne montre aucun effet toxique.

Plusieurs études de toxicité doses répétées ont été réalisées par voies orale ou cutanée. Les rats males ont développé une néphropathie qui est spécifique de l’espèce et du sexe. Les effets rénaux observés chez le rat sont donc considérés comme non pertinents pour l’évaluation du risque chez l’homme.

Chez le chien des signes cliniques de neurotoxicité (mouvements anormaux de la tête et salivation) sont apparus administration orale à partir de la dose de 125 mg/kg pc./j. La NOAEL retenue est de 75 mg/kg pc./j

Dans une étude chez le miniporc ayant reçu par voie cutanée du DEET à des doses de 0, 100, 300 et 1000 mg/kg pc./j pendant 90 jours, seuls des effets irritants (peau sèche et desquamation à partir de la dose de 100 mg/kg pc./j) sans aucun effet systémique ont été observés.

Le DEET est légèrement irritant pour la peau et il est irritant pour les yeux. Il n’a pas présenté de sensibilisation cutanée par le test de Buehler.

Le DEET ne montre pas de potentiel génotoxique après qu’une batterie de tests réglementaires in vitro ait été réalisée sur bactéries et cellules de mammifères.

Le DEET n’a pas engendré d’augmentation d’incidence de tumeurs chez le rat et la souris et n’est donc pas considéré comme cancérogène.

Aucun effet tératogène du DEET suite à des études chez le rat et le lapin n’a été mis en évidence. Ces tudes présentent cependant des limites méthodologiques par rapport aux exigences actuelles.
Cependant, considérant par ailleurs qu’une étude sur deux générations chez le rat a été fournie et n’a pas montré ni de signes d’embryotoxicité ni de tératogénèse à des doses similaires, ces études ont été considérées comme suffisantes.

Dans une étude sur deux générations chez le rat par voie orale, aucun effet sur la reproduction n’a été rapporté et les effets observés chez les femelles ou la descendance a consisté en une baisse du poids corporel à la plus forte dose testée de 5000 ppm (218 à 683 mg/kg pc./j). Des lésions rénales espèce et sexe spécifiques ont été rapportées chez les males de la génération F0. En dépit de quelques variations méthodologiques avec la ligne directrice OCDE 416, l’étude sur deux générations a été considérée comme recevable pour l’évaluation du risque.

Neurotoxicité

La neurotoxicité a été explorée dans une étude de toxicité aiguë retardée par gavage. Cette dernière montre un temps de réponse au stimulus thermique augmenté à 500 mg/kg pc./j.
La dose de 200 mg/kg pc./j n’a montré aucun signe clinique.
La neurotoxicité retardée a été explorée aussi chez les jeunes animaux issus de l’étude sur deux générations. Les résultats montrent une augmentation de l’activité locomotrice transitoire. La NOAEL pour la neurotoxicité est de 2000 ppm (92 à 278 mg/kg pc./j) et pour la neuropathie elle est supérieure ou égale à 5000 ppm.

De nombreuses études recherchant les effets neurotoxiques du DEET sont disponibles dans la littérature

Aucune de ces études n’est réalisée selon des lignes directrices de l’OCDE ni ne suit les bonnes pratiques de laboratoire. Toutes présentent des biais méthodologiques. Néanmoins, les plus représentatives en terme de mécanisme d’action sont résumées ci-dessous afin d’aider à la compréhension de ces derniers. Chez la poule, les études montrent une neurotoxicité aiguë exacerbée par la co-administration avec le bromure de pyridostigmine PB, inhibiteur de l’acétylcholinestérase (ACE) (Abou-Donia, 1996). Chez le rat, des convulsions (Vershoyle, 1992) et des modifications comportementales ont été observées, accompagnées de lésions histopathologiques (Abou-Donia et al., 2004). Les images montrant une mort neuronale ont cependant par ailleurs été remises en question et semblent correspondre à un artéfact (Jortner, 2006).

Une étude chez le chien après administration cutanée à des doses supérieures à 1782 mg pc./kg ne montre pas de signes cliniques de neurotoxicité (Mount et. al., 1991). Bien que cette étude porte des biais méthodologiques, elle montre néanmoins qu’aucun signe clinique de neurotoxicité n’a été observé après exposition par voie cutanée à une dose élevée.
Analyse critique de la publication de Corbel et al. (2009)

La récente étude de Corbel et al., (2009) montre que le DEET aurait également une action inhibitrice sur l’activité cholinestérasique du système nerveux central. L’inhibition a été montrée sur l’enzyme acétylcholinestérase (ACE) in vitro de drosophile et humaine. Le DEET modifie aussi la transmission synaptique sur préparation neuronale issue d’insecte (cafard) et de mammifère (souris). Cette modification semble être de même nature que celle observée avec les carbamates, inhibiteurs de l’ACE, provoquant au niveau synaptique une accumulation de l’acétylcholine dans un premier temps, puis un rétro-contrôle négatif dans un deuxième temps.

Par ailleurs, les résultats obtenus sur enzyme purifiée montrent une affinité similaire du DEET pour les deux différentes enzymes utilisées (cafard ou homme). L’effet sur la préparation neuronale est observé à des concentrations très différentes : de l’ordre de 1 μM sur préparation d’insecte et de 500 μM pour les préparations de mammifère. Cette étude n’explore pas le mécanisme d’action toxique chez l’animal in vivo.

De plus, la concentration utilisée in vitro pour atteindre les effets rapportés est supérieure à celle supposée biodisponible après une application cutanée du DEET comme répulsif dans les conditions normales d’utilisation. Ainsi, l’étude menée in vitro ne peut être extrapolable à l’in vivo et ne peut être utilisée dans l’évaluation du risque.

En conclusion, au vu des données disponibles dans le dossier européen, la neurotoxicité a été mise en évidence chez le chien. Le mécanisme d’action reste mal connu. Dans cette évaluation européenne l’étude de Corbel et al. (2009) a été également analysée et apporte quelques éléments d’information qui confirme l’hypothèse connue selon laquelle il existe une interaction avec l’acétylcholinestérase probablement par synergie avec d’autres inhibiteurs de l’ACE. Cependant, il faut noter que cette information ne modifie pas l’évaluation du risque effectuée jusqu’alors.

Données de vigilance chez l’homme

Des données médicales provenant des centres antipoisons et d’un registre national américain font état d’effets locaux, neurologiques ou systémiques après utilisation de répulsifs contenant du DEET.
90 cas de convulsions sont répertoriés mais représentent une fréquence faible puisque le registre portait sur 5 milliards d’applications cutanées.

En France, des données de vigilance toxicologique sont connues des centres antipoisons pour un usage «normal» des répulsifs. Il faut remarquer par ailleurs que les données de vigilance ne prennent pas en compte le nombre total de personnes exposées. Dans la base de données des centres antipoisons français (BNCI) portant sur 1 268 657 déclarations, 241 cas sont symptomatiques impliquant du DEET avec une imputabilité non nulle. 81 cas ont montré des manifestations cliniques survenant après utilisation dans des conditions d’emploi «normales». Chez 14 cas des symptômes neurologiques sont observés.

En outre, d’après le rapport du comité de coordination de toxicovigilance «Exposition à des répulsifs antimoustiques : cas enregistrés dans la BNCI (novembre 2007) », il ressort notamment qu’il est inutile d’étendre cette interrogation rétrospective à l’ensemble des centres antipoisons et de toxicovigilance compte tenu des résultats produits et des faibles risques encourus.

Après avis du «groupe d’experts sur l’évaluation des risques et de l’efficacité des substances et produits biocides», réuni le 24 septembre 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé émet l'avis suivant :

Sur la base des données disponibles dans le rapport d’évaluation européen de la substance active DEET et sans préjudice des évolutions éventuelles pendant la période d’instruction en cours, l’Afssaps estime que :

- les effets neurotoxiques relatifs au DEET ont été largement rapportés dans la littérature et dans le dossier soumis à l’évaluation par le pétitionnaire. Ces conclusions ont été incluses dans la dernière version du rapport européen, notamment la publication de Corbel et al. (2009) afin d’en tenir compte dans la démarche d’évaluation du risque,

- les mécanismes d’action avancés dans la publication de Corbel et al. (2009) nécessitent confirmation in vivo chez des mammifères. Par ailleurs, les données disponibles dans la littérature chez des animaux de laboratoire ne permettent pas actuellement de conclure à une action directe du DEET dans l’inhibition de l’activité cholinestérasique mais tendent plutôt à montrer une potentialisation/synergie des effets neurotoxiques aigus et des convulsions (Abou-Donia, 1996 ; Chaney, 1999) par des mécanismes probablement différents de ceux connus des inhibiteurs de la cholinestérase (Chaney, 1999).

- les données chez l’homme, fondées sur la cinétique et la vigilance sur 50 ans de commercialisation, n’ont pas montré, aux doses et conditions d’utilisation préconisées du DEET, d’effets neurotoxiques rédhibitoires.

Par conséquent, la publication récente de Corbel et al. (2009) n’est pas de nature à modifier l’évaluation du risque en cours de discussion au niveau européen et par là même, les recommandations de l’Afssaps publiées dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 2 juin 2009, concernant la limite d’âge d’utilisation du DEET chez le jeune enfant aux concentrations efficaces recommandées à partir de 30 mois et jusqu’à 12 ans pour une concentration en DEET de 20 à 35%.

Rapports
Rapport d’évaluation biocide : N,N-Diethyl-meta-Toluamide (DEET : CAS 134-62-3). Active substance in Biocidal Products, Product Type 19 (Insect repellent). DOCUMENT I, II and III. Rapporteur Member State: Sweden. Draft, November 2007. Revised, August 2009.
Exposition à des répulsifs antimoustiques : cas enregistrés dan la BNCI. Rapport fait à la demande de la
Direction Générale de la Santé Rapport final novembre 2007. Comité de coordination de toxicovigilance.
http://www.centres-antipoison.net/CCTV/rapport_CCTV_repulsifs_2007.pdf

1 Arrêté du 19 mai 2004 modifié relatif au contrôle de la mise sur le marché des substances actives biocides et à l’autorisation de mise sur le marché des produits biocides

Références
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Corbel V., Stankiewicz M., Pennetier C., Fournier D., Stojan J., Girard E., Dimitrov M., Molgó J., Hougard
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