SANTE-CONGO :
Bien gérer la gratuité du traitement du paludisme
Arsène Séverin
http://ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=5199
BRAZZAVILLE, 28 jan (IPS) - Antoinette Djaba, 35 ans environ, souriante,
quitte le Centre de santé intégré (CSI) de Plateau des 15 ans, un quartier
de Brazzaville, la capitale congolaise, où elle a amené son enfant de deux
ans, souffrant de paludisme. Lenfant a reçu un traitement gratuit cette
semaine.
«Je ne savais pas que cette fois-ci, je nallais rien dépenser pour le
traitement de mon enfant. On nétait pas sûr que cette gratuité se
réaliserait un jour. On ne paye même plus la consultation», déclare Djaba à
IPS.
De son côté, Martine Dilameno, une autre mère, témoigne à IPS : «Chaque
mois, ma fille de huit ans fait le palu. Faute dargent, je lui trouve des
calmants comme le Falcidox au marché. Un voisin du quartier, qui a bénéficié
de cette gratuité, ma conseillé damener lenfant à lhôpital où les soins
sont gratuits».
Le président congolais Denis Sassou Nguesso avait annoncé en 2007 au
parlement que le traitement contre le paludisme serait désormais gratuit
pour les enfants de zéro à cinq ans, et les femmes enceintes. Mais la mesure
nest devenue effective quen en juillet 2008.
«Il fallait préparer les textes, former les médecins prescripteurs et
surtout les stocks pour éviter les ruptures», explique Dr Damase Bozongo,
directeur général de la santé dans ce pays dAfrique centrale.
Cette mesure concerne finalement les enfants de zéro à 15 ans. Daprès le
Fonds Nations Unies pour lenfance (UNICEF), plus de 21.500 enfants meurent
chaque année de paludisme au Congo. «Environ 50 pour cent des cas
dhospitalisation dans notre pays sont dus au paludisme, et 38 pour cent des
cas de décès chez les enfants», souligne Emilienne Raoul, ministre de la
Santé et des Affaires sociales.
Selon la direction de lutte contre la maladie, 89.870 cas de décès ont été
enregistrés au Congo en 2004 à cause du paludisme. Le paludisme est la
première cause de mortalité dans les familles congolaises, affirme à IPS, Dr
François Libama, responsable du Programme national de lutte contre le
paludisme.
Avant lentrée en vigueur de la gratuité, le ministère de la Santé avait
procédé en mai dernier à des tests dans certains CSI de Brazzaville et
Pointe-Noire, la capitale économique du pays. «A Pointe-Noire, nous avons
soigné gratuitement pendant la phase test 16.000 enfants et 3.000 femmes
enceintes», indique Dr Joseph Mounthout, directeur départemental de la santé
dans cette ville côtière.
Après le lancement, le 15 juillet dernier, de la phase décisive, 33 CSI ont
été choisis dans la capitale et 26.880 personnes y ont gratuitement reçu le
traitement, explique à IPS, Dr Lambert Chekirou, directeur départemental de
la santé à Brazzaville.
Toutefois, dans certains départements comme la Bouenza dans le sud et la
Cuvette Ouest dans le nord, les médicaments ne sont pas encore arrivés à
cause de lenclavement de la région. La Cuvette Ouest, frontalière avec le
Gabon, au nord-ouest, est la région la plus enclavée du Congo, avec des
forêts et vasières. Aucune route ne mène directement de la capitale à ce
département où il n'existe non plus d'aéroport. Les camions de transport y
vont, mais pendant trois jours de voyage en saison sèche.
«Sur les 11 CSI qui sont dans la Likouala (nord), nous navons encore
couvert que sept. En attendant la couverture totale, 374 femmes enceintes et
1.400 enfants ont déjà été traités gratuitement», déclare à IPS, Léon Benoît
Essouvia, directeur départemental de la santé dans la Likouala.
Interrogée par IPS, Raoul annonce que 24 tonnes de médicaments avaient été
commandées pour cette première année. «Dès que le budget sera exécutoire en
mars prochain, nous lancerons une autre commande, de façon quil ny ait pas
de rupture de stocks dans les CSI», assure-t-elle.
Le coût global de la commande pour cette première année se chiffre à trois
milliards de francs CFA (environ six millions de dollars), selon la
Direction générale de la santé.
Pourtant, des ruptures sont signalées dans certains CSI de Brazzaville. «La
dernière livraison ici, cétait le 11 décembre 2008. Depuis, plus rien. Nous
sommes en rupture de stocks. Et on fait alors payer le traitement, quatre
dollars pour les enfants, et six dollars pour les adultes», révèle à IPS,
Joseph Mboko, régisseur du CSI de Kibouendé à Mfilou, le septième
arrondissement de Brazzaville.
«Nous sommes un centre qui reçoit au moins 800 malades le mois, mais on ne
nous donne que 1.400 comprimés. Qui soigner et qui laisser? Et à la dernière
dotation, nous n'avons reçu que 350 comprimés», se plaint une infirmière de
Mfilou.
«Dernièrement, quand jétais ici pour les pesées, plusieurs enfants avaient
reçu gratuitement le traitement. Mais aujourdhui, on nous dit quil ny a
plus de médicaments et quil faut payer», déplore une mère.
Dans certains CSI comme Jane Viale à Brazzaville, les malades se plaignent
de la «confiscation» des médicaments par le personnel soignant, exigeant
deux de largent. «Malgré les livraisons, on nous dit quil ny a pas de
médicaments. Nous savons quils cachent les produits pour nous les revendre,
2.500 FCFA (environ cinq dollars) par patient» déplore un homme complètement
affolé.
La ministre de la Santé reconnaît certains comportements indélicats
reprochés par des malades aux agents de santé, citant bien dautres
exemples. «Nous avons surpris ces médicaments dans les marchés. Nous les
reconnaissons facilement parce que leur emballage est frappé du drapeau
national. Pire, nous avons vu ces médicaments dans les marchés de la
capitale dun pays voisin», dit-elle.
"Nous avons tous été surpris par ces comportements déviants, mais nous ne
savons pas de quel CSI sont partis ces médicaments. Nous allons donc initier
des enquêtes. Bien évidemment, si les coupables sont connus, ils seront
sanctionnés. On ne peut pas admettre que pour un traitement gratuit, les
gens s'enrichissent", affirme Dr Bozongo à IPS.
Sur les ruptures des stocks dans les CSI, il explique : "Il ne s'agit pas de
rupture de nos stocks... dans la centrale d'achat des médicaments. Il s'agit
certainement des gestionnaires des centres de santé qui attendent
l'épuisement du dernier comprimé pour faire les commandes. Nous ne pouvons
pas stocker trop de médicaments dans un CSI, sinon il se posera le problème
de conservation. Le tout, c'est dans la gestion des stocks".
«Un traitement sérieux pour soigner le paludisme est pris en cinq jours.
Nous soignons à base de Falcimon et Onfartrim, quon nous distribue»,
indique à IPS, une autre infirmière de Mfilou.
Selon Dr Mouthout, le Falcimon et l'Onfartrim sont fabriqués à base des
molécules d'Artesinate et d'Amodiaquine, qui existent tant en comprimé quen
sirop.
Par ailleurs, depuis 2007, le gouvernement du Congo-Brazzaville, soutenu par
des partenaires comme lUNICEF et lOrganisation mondiale de la santé, ainsi
que le gouvernement du Japon qui a donné plus de un million de dollars,
organise une vaste campagne de distribution de moustiquaires imprégnées
dinsecticide dans le pays. Quelque 600.000 moustiquaires ont été
distribuées gratuitement entre 2007 et 2008, indique lUNICEF qui a apporté
un appui logistique à cette opération. (FIN/2009)