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BOUAKÉ, le 21 juin (IRIN) - L'arrivée des traitements contre le sida dans les zones sous contrôle rebelle a changé le visage des services anti-tuberculose, devenus des mouroirs pendant la guerre, ont affirmé des médecins travaillant dans le nord de la Côte d'Ivoire.
«Les traitements antirétroviraux (ARV) ont réduit considérablement le taux de décès des patients dans notre service : la situation était catastrophique», a expliqué le docteur Faustin Coulibaly, responsable du service de pneumo-phtisiologie au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bouaké, une ville du centre de la Côte d'Ivoire devenue le quartier général de la rébellion armée des Forces Nouvelles en septembre 2002.
L'établissement n'a reçu ses premiers traitements ARV du programme national de prise en charge qu'en avril 2005, trois ans après le déclenchement du conflit qui a coupé le pays en deux, les Forces nouvelles contrôlant toute la partie nord tandis que le gouvernement conservait le sud.
«La prévalence du VIH chez les personnes souffrant de tuberculose est de l'ordre de 80 pour cent à l'hôpital», a expliqué le docteur Coulibaly. «Avant qu'on ne commence la prise en charge des patients séropositifs, mon service était un mouroir.»
Le constat est le même à Danané, une ville de l'ouest sous contrôle des Forces nouvelles, à 30 kilomètres du Liberia : quand les thérapies antirétrovirales sont enfin parvenues, en 2005, à l'hôpital de la ville, géré par l'organisation d'urgence Médecins sans frontières (MSF), les patients souffrant de tuberculose (TB) ont pu mieux faire face à leur maladie.
«La tuberculose devient sans aucun doute un problème grave, notamment en raison de l'immuno-déficience des patients», explique Horward Moore, l'un des médecins de MSF à Danané, où plus de la moitié des patients hospitalisés sont infectés au VIH. «Pour parvenir à les soigner, la prise en charge de la coinfection VIH/TB est essentielle.»
En Afrique, la tuberculose, la première infection opportuniste des personnes vivant avec le sida, a été déclarée urgence de santé publique en 2005, les taux d'infection au bacille de Koch ayant triplé depuis 1990 dans 21 pays du continent, également touchés par l'épidémie de VIH.
Ainsi, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 13 des 15 pays les plus affectés par la tuberculose dans le monde sont en Afrique, une propagation attribuée notamment à l'épidémie de sida et à la faiblesse des systèmes nationaux de santé.
En Côte d'Ivoire, un pays lourdement touché par la pandémie de VIH/SIDA, la tuberculose est devenue la première cause de mortalité des patients séropositifs, une tendance qui s'est aggravée pendant les trois premières années du conflit, en l'absence de traitement et de personnel médical qualifié.
<b>Des médicaments toxiques pour des patients affaiblis</b>
Ainsi, plus de 70 000 nouveaux cas ont été enregistrés en 2005 par le Programme national de lutte contre la tuberculose (PNLT), qui a estimé la semaine dernière que le nombre de cas dépistés augmente d'environ 10 pour cent chaque année depuis l'apparition du VIH dans le pays.
Pour faire face à la pandémie, le PNLT a relancé assez rapidement les programmes de lutte dans les territoires contrôlés par les Forces nouvelles, permettant de maîtriser, autant que possible, la propagation du bacille - ce qui n'a pas été le cas du programme de prise en charge du VIH/SIDA.
Le PNLT, qui vient de valider le plan stratégique national de lutte contre la pandémie pour 2006-2010, estime en effet qu'un tiers des malades de la tuberculose vivant en zone rurale est co-infecté au VIH - une proportion qui s'élève à 45 pour cent en milieu urbain.
Or, traiter des patients co-infectés au VIH et à la TB est particulièrement difficile dans la mesure où le taux de CD4 (utilisé pour évaluer la résistance du système immunitaire) diminue rapidement chez les personnes séropositives, ce qui rend les infections opportunistes, telles que la TB, plus compliquées à soigner et peut accélérer la mort du patient.
Le docteur Coulibaly, qui a dû prendre la direction du Centre anti-tuberculeux (CAT) du CHU de Bouaké après le déclenchement de la crise ivoirienne, évalue ainsi l'état du patient avant de traiter le VIH et la TB, un choix qu'il n'a pu faire qu'à partir de 2005 et l'arrivée des ARV.
«C'est à nous de juger : si le VIH est très avancé, on peut estimer opportun de démarrer un traitement ARV. Cela dépend du niveau de CD4 du patient, de sa capacité à supporter les médicaments», a précisé le médecin.
Les patients, qui doivent suivre leur traitement pendant six à huit mois, sont en effet souvent confrontés à de multiples effets secondaires dus à la toxicité des médicaments, sans oublier le nombre important de cachets, difficiles à avaler en cas de pathologies buccales et de malnutrition.
«Si on ne constate aucune toxicité aux médicaments contre la TB chez un patient séropositif très faible, on peut le mettre sous ARV au bout de deux semaines. Sinon, on diffère la mise sous traitement, on allège le traitement anti-tuberculose ou on ouvre des 'fenêtres thérapeutiques' pour permettre au patient de souffler», a détaillé le docteur Coulibaly.
Tous les après-midis, il rencontre systématiquement les patients de son service, pour les informer sur le risque de co-infection et leur conseiller le dépistage du VIH.
Malgré l'arrivée des ARV, distribués aujourd'hui à plus de 200 patients de l'hôpital, le médecin estime toujours pratiquer une 'médecine de guerre', avec un plateau technique réduit, une faible capacité d'hospitalisation des patients et un nombre restreint de médecins et d'infirmiers.
<b>Surveiller et responsabiliser pour éviter les résistances</b>
Ainsi, rien n'est plus difficile, dans la situation actuelle des zones nord qu'ont fui environ 90 pour cent du personnel de santé, selon une <a href="http://www.plusnews.org/PNfrench/PNFReport.asp?ReportID=1357" target="_blank" style="color:#0000FF">étude</a> récente, que d'appliquer la stratégie dite du traitement court observé ou DOTS, recommandée par l'OMS, qui consiste à assister le patient dans sa prise quotidienne de médicaments.
«C'est difficile en tant de guerre. mais la Côte d'Ivoire doit appliquer la stratégie DOTS pour éviter que le patient, parce qu'il ne prend pas son traitement régulièrement, développe une TB multirésistante», a expliqué le docteur Coulibaly.
Les patients doivent se rendre tous les mercredis au CHU de Bouaké pour prendre leur traitement devant l'infirmier ainsi que les pilules pour la semaine, une démarche à laquelle tient le docteur, mais qui entraîne de nombreuses interruptions de traitement, a-t-il admis.
Ceux qui habitent loin de la ville, ou qui ne peuvent avoir accès aux rares moyens de transport, peuvent néanmoins prendre des médicaments pour un mois, à condition qu'il existe un suivi familial ou associatif.
C'est également la stratégie utilisée par les équipes MSF de Man et de Danané, dans l'ouest du pays, qui grâce à l'appui d'équipes médicales mobiles et à un suivi attentif du patient, évitent aux malades de trop fréquents déplacements.
«La stratégie DOTS demande beaucoup de personnel de santé, alors que dans le même temps, nous avons des problèmes d'observance de traitement : les malades jettent les comprimés, refusent de les prendre ou ne peuvent tout simplement pas les avaler compte tenu de leur état de santé», a ajouté le docteur Louis Kakudji, le coordinateur médical de l'équipe MSF à l'hôpital régional de Man.
Dans cet établissement, où le VIH est la première cause d'hospitalisation des adultes, 48 pour cent des patients ont abandonné leur traitement contre la TB en mars dernier, a-t-il précisé.
Résultat, le taux d'échec thérapeutique dû à des tuberculoses résistantes aux molécules prescrites s'accroît, a remarqué le docteur Kakudji, qui note un taux d'échec du traitement de deuxième génération de six à sept pour cent là où la limite acceptable a été fixée à cinq pour cent.
Le docteur Coulibaly ne prescrit pas encore de traitement de seconde ligne à Bouaké, mais il admet les abandons, les échecs et les limites des traitements dans de tels environnements : seulement 200 malades, sur les 800 qui étaient en cours de traitement quand la guerre a éclaté, sont revenus au CAT.
Depuis, les patients ont repris le chemin de l'hôpital et 10 personnes séropositives s'ajoutent chaque mois sur les listes du centre anti-tuberculeux, au point que le médecin craint désormais «d'être submergé par le nombre de patients et de manquer d'ARV».
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