TUBERCULOSE : Des traitements à bout de souffle
Mis en ligne le 26 octobre 2004
Médecins sans frontières
http://www.msf.fr/site/actu.nsf/actus/tuberculose261004?OpenDocument&loc=au
La tuberculose tue près de deux millions de personnes par an. Face à cette
maladie, les traitements montrent chaque jour leurs limites : logique de la
stratégie méprisante pour les patients, tests de diagnostic et médicaments
trop vieux, inadaptés pour traiter les formes résistantes de la maladie et
les patients co-infectés par le sida, recherche insuffisante. C'est pour
dénoncer cette situation, à la veille d'un colloque international sur la
tuberculose, que MSF organise aujourd'hui une conférence de presse. Il est
urgent de réviser la stratégie antituberculeuse mondiale et de relancer la
recherche, tant pour de nouveaux outils diagnostiques que pour des
traitements plus simples et financièrement abordables.
La tuberculose tue près de deux millions de personnes par an, presque
exclusivement dans les pays pauvres: 95 % des patients atteints d'une
tuberculose active vivent dans les pays en voie de développement. 99 % des
décès liés à la maladie surviennent dans ces pays.
Les médecins de MSF sont fortement impliqués auprès des malades de la
tuberculose : 20 000 patients sont pris en charge chaque année dans nos
programmes à travers le monde. A travers notre pratique de terrain, nous
expérimentons tous les jours la stratégie recommandée par l'OMS pour "lutter
contre la tuberculose", le DOTS (pour directly observed treatment, short
course, ou traitement de courte durée sous supervision directe). Nous en
éprouvons chaque jour les limites dans les soins aux malades.
Malgré ce constat, partagé par de nombreux experts, le DOTS est toujours la
seule stratégie disponible et portée par l'OMS.
» UNE STRATÉGIE GLOBALE DE SANTÉ PUBLIQUE, NON DE PRISE EN CHARGE DES
MALADES...
Jusque dans les années 1990, la prise en charge de la tuberculose était
anarchique. Les schémas thérapeutiques étaient différents d'un endroit à
l'autre et les mécanismes de recueil de données quasi inexistants.
L'épidémie de tuberculose multi-résistante à New-York en 1991-1993 et le
lien de plus en plus évident entre la tuberculose et le sida ont fait
évoluer cette situation. L'OMS et l'UICTMR ont commencé à parler de la
tuberculose comme d'une urgence à l'échelon mondial et à développer une
approche globale de la maladie. C'est ainsi que le DOTS a été lancé en 1994.
Cette stratégie repose sur la détection et le traitement des patients les
plus contagieux uniquement, en détecte seulement 70% et ne vise la guérison
que de 85 % des personnes diagnostiquées. Au total, parce qu'elle a pour
objectif de limiter la contagion et non d'améliorer la prise en charge des
patients, cette stratégie exclut d'emblée la moitié des malades.
De cette position "santé publique" de départ découle une suite logique
d'insuffisances : les outils de diagnostic, le vaccin et les traitements
sont devenus obsolètes et inadaptés à des contextes précaires. La recherche
et le développement portant sur de nouveaux traitements ont longtemps été
inexistants. Aujourd'hui, notre préoccupation majeure est que de nouveaux
outils soient développés, rapidement disponibles, à des prix abordables pour
les pays pauvres. L'OMS semble toujours négliger cette nécessité.
Pour l'OMS, le DOTS n'a pas seulement été conçu comme une approche médicale
mais aussi comme une stratégie de marketing auprès des donateurs occidentaux
et des décideurs des pays en voie de développement: seuls les cinq principes
du DOTS peuvent permettre une lutte mondiale contre la tuberculose. Ces cinq
principes sont : l'engagement des pouvoirs publics, la détection des cas par
examen microscopique de crachat, un schéma thérapeutique normalisé, un
approvisionnement régulier de médicaments, et un système normalisé
d'enregistrement.
» PRINCIPALES DÉFAILLANCES DE LA STRATÉGIE DOTS
La décision de l'OMS de cautionner le DOTS a été remise en question par les
communautés médicales, universitaires et scientifiques. Le fait que la
stratégie antituberculeuse ait été élaborée à partir d'outils archaïques est
très fortement contestée et nos médecins en éprouvent chaque jour les
limites. Le DOTS conduit de fait à l'exclusion des patients dont l'examen
microscopique des crachats (sur lequel repose le diagnostic) est négatif.
L'outil de diagnostic de la tuberculose active a été développé en 1882 et
n'identifie que la moitié des personnes souffrant de tuberculose. Il ne
détecte pas certaines formes pulmonaires de la TB, ni les formes
extra-pulmonaires. Il détecte très difficilement les malades co-infectés
VIH/tuberculose et exclut les enfants (qui ne savent pas produire de
crachats)...
Un test de dépistage obsolète
Vieux de plus de 120 ans, le test est une analyse des crachats au
microscope. Les bâtonnets rouges sont des bacilles de Koch, la bactérie
responsable de la tuberculose. Mais ce test ne fonctionne que pour à peine
la moitié des malades.
Le traitement, quant à lui, est d'une durée de six à huit mois et s'appuie
sur des médicaments élaborés dans les années 1940 et 1960.
Si nos médecins reconnaissent que le DOTS peut fonctionner dans des
conditions "normales", c'est-à-dire en l'absence de VIH ou de tuberculose
multi-résistante (TB-MDR), ils doivent se rendre à l'évidence : ces
conditions "normales" se font de plus en plus rares... Le DOTS est donc
sérieusement décalé par rapport à la réalité.
» DÉFIS FUTURS ET DÉVELOPPEMENT DE NOUVEAUX OUTILS
Le plus grand défi de la prise en charge des malades de la tuberculose est
celui constitué par la pandémie de sida : 12 millions de personnes (dont
plus des deux-tiers en Afrique sub-saharienne) sont co-infectées par le VIH
et la tuberculose. Or, le DOTS n'a pas été conçu en tenant compte du lien
entre les deux maladies: le plus souvent, les patients sont référés aux
programmes nationaux de prise en charge de la tuberculose, qui ne peuvent ni
diagnostiquer, ni traiter efficacement ces patients co-infectés.
De même, moins de 2% des patients souffrant de tuberculose multi-résistante
ont accès aux médicaments de seconde ligne (qui impliquent des traitements
plus longs, plus chers et présentant des effets secondaires importants).
Cette forme multi-résistante pourrait se propager très rapidement,
provoquant 250 000 à 400 000 nouveaux cas chaque année.
Le développement de nouveaux outils diagnostiques et la relance de la
Recherche et Développement pour de nouveaux médicaments sont impératifs pour
une meilleure prise en charge des malades. La mise au point de nouveaux
outils diagnostiques adaptés aux environnements précaires est capitale.
La plupart des nouveaux médicaments est en cours d'élaboration et à des
mois, voire des années, de toute étude clinique. Leur développement est
également une priorité absolue.
En attendant, il est essentiel d'encourager la recherche opérationnelle pour
améliorer et adapter les outils existants, comme l'a fait MSF sur un certain
nombre de ses programmes.