[e-med] des dangers du marché illicite des médicaments et de l'automédication...

La pauvreté et l'ignorance les poussent vers les médicaments de la rue
Inter Press Service (Johannesburg)

8 Décembre 2004
Publié sur le web le 8 Décembre 2004

Par Antoine Lawson

- Paulette Ndolo, 26 ans, a été hospitalisée à Libreville, au Gabon, à la
suite d'un gonflement des jambes. "Le sang circule difficilement dans mes
jambes et j'ai du mal à marcher à cause des crampes", confie-t-elle à IPS.

Les médecins ont diagnostiqué que Ndolo souffrait de la goutte. (La goutte
est une maladie caractérisée par des poussées inflammatoires douloureuses
autour des articulations).

Interrogée sur sa source d'approvisionnement en médicaments, elle a avoué
s'être servie dans la boîte à pharmacie de sa soeur qui utilisait des
comprimés pour une cure d'amaigrissement.

Les médicaments coûtent chers dans les pharmacies, la population du Gabon,
de plus en plus pauvre, s'approvisionne dans la rue. Les médicaments de la
rue proviennent de la contrebande et sont bon marché, mais ils sont
également dangereux.

"Depuis deux ans, nous soignons de nombreux cas d'herpès et d'hépatites dont
plusieurs complications résultent de prises d'antibiotiques non adaptés à
leur traitement et les plus alarmants sont les résistances observées
lorsqu'on prescrit aux malades les antibiotiques courants", déclare à IPS,
Dr Daniel Fernandès dans une clinique privée de Libreville, la capitale
gabonaise.

"L'herpès est une sorte de 'bouton de fièvre' apparaissant autour de la
bouche ou sur les muqueuses génitales et qui est causé par un virus",
explique-t-il.

Par ailleurs, dans les salons de coiffure et d'esthétique, certaines femmes
présentent un développement anormal de la pilosité ou encore des chutes de
cheveux qui les contraignent à se faire poser des mèches artificielles.

"J'ai acheté des ampoules de placenta au marché pour favoriser la pousse de
mes cheveux, mais j'ai constaté, trois mois plus tard, qu'ils tombaient au
moindre coup de peigne. J'ai conclu que le produit était défectueux et
depuis, des plaies douloureuses ont envahi mon cuir chevelu", témoigne
Ursule Bouassa à Libreville.

Les problèmes de peau sont également courants, notamment chez les
utilisateurs des crèmes variées qui décapent leur peau, selon les médecins.
"J'ai fait le tour des dermatologues, mais rien n'y fait, j'ai du mal à
cicatriser car selon ces spécialistes, les crèmes que j'ai utilisées ont
modifié la structure de ma peau après avoir abusé des 'crèmes
éclaircissantes' vendues sur les étalages au marché", explique Pierre Gotta.

Les médicaments douteux font l'objet d'un commerce illicite et lucratif dans
ce pays d'Afrique centrale en mettant en danger la santé des populations.

"En l'absence d'une politique rigoureuse de contrôle des médicaments vendus
à la sauvette ou sur les étalages, dans les rues et marchés du Gabon, les
autorités gabonaises ont ouvert la voie, depuis une vingtaine d'années, à
tous les abus. Une brèche dont profitent les vendeurs de médicaments imités
de toutes sortes, bravant ainsi la santé des citoyens", déclare à IPS, Dr
Emile Mboustsou du Centre hospitalier de Libreville.

Les médicaments essentiels, qui figurent sur une liste établie en 1987 par
le ministère de la Santé avec l'aide du Fonds des Nations Unies pour
l'enfance, n'ont jamais été disponibles gratuitement dans les hôpitaux
publics ou les centres de soins publics, comme envisagé par les autorités.

"Le niveau de disponibilité des services des soins de santé est faible
puisque 46 pour cent de la population du Gabon vit à plus d'une heure du
centre de soins le plus proche. En zone rurale, cette proportion est de 86
pour cent. Cette situation a favorisé l'achat, par les populations, des
médicaments de proximité, contrefaits", déclare à IPS, Samuel Ndong,
infirmier dans un dispensaire.

Selon Isabelle Mboumba, pharmacienne dans un hôpital de Libreville, "des cas
de dysfonctionnements gastriques et rénaux, de maux d'estomacs, plusieurs
personnes décédées d'empoisonnement, et une bonne dizaine d'autres prises de
folie ont été recensés à l'hôpital à la suite de la prise de médicaments
douteux non prescrits par un médecin".

Ils sont plusieurs centaines de vendeurs de médicaments à travers Libreville
qui abrite près de 650.000 habitants et dont la majorité est mal informée.
Les vendeurs ne disent jamais un mot de leurs sources d'approvisionnement.

Selon des estimations du ministère du Plan, en 2004, près de 350.000
habitants concentrés dans les plus grandes villes, Libreville, Port-Gentil
et Franceville, vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec moins d'un
dollar par jour.

"Il est possible de se procurer des plaquettes de médicaments divers en
comprimés ou en gélules, des antibiotiques, des sirops sans principe actifs,
et même du permanganate de potassium en comprimés que des jeunes filles
utilisent parfois lors des avortements clandestins", affirme une sage-femme
de Libreville à IPS.

La vente de médicaments sur les marchés est devenue une pratique courante et
lucrative au Gabon. Pourtant, les textes officiels stipulent que seuls les
pharmaciens et des personnes agréées sont autorisés à en importer et à en
vendre.

"La vente sur les marchés des médicaments contrefaits, pour la plupart, a
l'avantage de limiter leur prix, mais engendre toute une série de risques et
de complications secondaires pour la santé, et même des complications
physiologiques, notamment auprès des enfants", souligne Dr Obame Moyo, un
pédiatre.

Moyo ajoute : "En l'absence d'une ordonnance pour acheter des médicaments,
notamment pour se procurer des antibiotiques qui obéissent à une posologie
précise, l'automédication est favorisée avec son lot de complications".

En général, la qualité des médicaments disponibles dans la rue est douteuse
car il peut s'agir de produits périmés ou sans principe actif,
explique-t-il.

Selon des sources médicales recoupées à Libreville, l'industrie des faux
médicaments dégagerait en Afrique un chiffre d'affaires compris entre 10 et
15 milliards de dollars.

En décidant, le 9 novembre, d'interdire la vente des médicaments dans la rue
et les marchés, le maire de Libreville, André Dieudonné Berre, souhaite
mettre fin à une pratique courante. Mais il s'attaque à des habitudes
ancrées, à un commerce qui prospère et qui ne peut disparaître qu'avec la
mise en place d'une politique de médicaments sur le long terme, et leur
accès à un prix raisonnable pour la population.

Les prix des médicaments dans la rue défient toute concurrence et sont
parfois de moitié moins chers que ceux des pharmacies, pour les mêmes
produits.

Dans une note transmise à la presse, Berre estime que "la vente de
médicaments dans la rue est une pratique illicite et nocive à la santé des
populations. Seuls les pharmacies et les dépôts pharmaceutiques dûment
agréés sont autorisés à vendre des médicaments".

L'Association des pharmaciens gabonais avait attiré, en septembre, à
l'occasion d'une semaine de sensibilisation sur le danger des médicaments de
la rue, l'attention des autorités sur le caractère dangereux des médicaments
vendus dans la rue.