[un article qui détaille la situation au Cameroun]
Médicaments de rue : Quand on achète la mort pour se soigner
http://www.cameroon-info.net/cmi_show_news.php?id=20502
YAOUNDE - 19 SEPTEMBRE 2007
Francis Ampère SIMO, Repères
Favorisés par leur coût jugé abordable par les populations, les médicaments
de rue continuent leurs ravages et leur implantation dans les villes et
villages du Cameroun au point de devenir un problème de santé publique.
" Dokta Thaddé ", dans son cursus scolaire, n'est pas allé plus loin que le
cours moyen première année. Cela ne l'a pas empêché de devenir un vendeur
respecté et prospère de médicaments à Yaoundé. Bien qu'il ne sache pas
déchiffrer, ni interpréter et comprendre la notice des produits qu'il vend,
trop compliqué pour son niveau, il porte et revendique fièrement son titre
de " dokta ". Il n'est pas le seul dans cette situation. On peut en effet
compter au bout des doigts ceux des vendeurs de médicaments, en plein air
comme lui, qui aient suivi une formation minimale d'auxiliaire de pharmacie
ou en soins infirmiers. Tels des dangers publics, ils vendent au quotidien
la mort aux citoyens. Car acheter ses médicaments dans la rue, entre des
mains inexpertes, c'est comme acheter sa mort. Ce marché de la rue prospère
au Cameroun comme dans toute l'Afrique noire au vu et au su de tout le
monde.
Par exemple, derrière le grand mur d'enceinte de Texaco Nlongkak au
carrefour Bata à Yaoundé, c'est là qu'est installé la pharmacie de rue de ce
quartier. A l'instar de celles déjà existantes au marché central et au
marché Mokolo à Yaoundé, au marché central et C à Bafoussam etc. Ces
différents lieux ont en commun d'être le siège des grandes " pharmacies à
ciel ouvert ".
Dans ces lieux, sur des tables et étagères de fortune, et rarement dans des
échoppes, sont superposés des flacons et cartons de diverses couleurs. Des
médicaments de toutes sortes. Dans des conditions précaires. Les produits
sont pour l'essentiel exposés aux intempéries. Situation qui ne semble guère
gêner ces vendeurs. Samuel qui exerce ce métier de vendeur de médicaments
depuis bientôt 5 ans à Bata Nlongkak souligne : " Nous ne pouvons rien
contre le soleil, la pluie et la poussière. Nous sommes installées aux
abords du trottoir où passent à tout moment des véhicules laissant derrières
eux poussières et fumée ". Wamba, un autre vendeur tente de rassurer sur le
conditionnement des médicaments. A l'en croire, tous les vendeurs protègent
d'une manière ou d'une autre leur marchandise contre les intempéries. " Les
médicaments les plus importants sont gardés dans les magasins dans des
cantines et ne sortent que pour être délivrés aux clients ", indique t-il.
Autre lieu, même décor. Au marché d'Ekounou, la pharmacie en plein air se
développe et gagne du terrain depuis quelques mois, juste derrière le mur
d'enceinte du commissariat du 14ème arrondissement.
" Ancien vient voir. Ma chérie tu cherches quoi ? Monsieur tu veux quoi
?Tout ce que tu cherches tu le trouveras ici ". C'est par ces appels que les
vendeurs et vendeuses de médicaments hèlent avec insistances et proposent
toutes sortes de produits pharmaceutiques à leurs nombreux clients. Certains
d'entre eux présentent leurs ordonnances pour acheter les médicaments qui
leur ont été prescrits dans un centre de santé. D'autres se fient aux
prescriptions à haut risque de ces vendeurs aux connaissances douteuses.
Le conditionnement des médicaments vendus ne semble pas être un problème
pour les clients qui viennent s'approvisionner ici. La modicité de leurs
moyens financiers fait en sorte qu'ils croient n'avoir pour tout recours que
cette pharmacie de rue. En effet, à la question de savoir pourquoi ils
portent leur choix sur ces produits de rue au lieu d'aller en pharmacie où
ils sont sûrs d'avoir de bons produits, et où l'on trouve également des
génériques à bon prix, on se surprend d'entendre que les médicaments de rue
coûtent moins chers. " Les médicaments coûtent cinq fois moins cher ici qu'à
la pharmacie ordinaire ", explique une cliente venue acheter des Bactrim, un
antibiotique, semble t-il, très efficace contre la toux. " Le Bactrim ne
coûte que 250 Francs Cfa la plaquette de 10 comprimés. Dans aucune pharmacie
de Yaoundé vous ne trouverez un médicament à ce prix là. Par ces temps de
difficultés financières, nous sommes obligés de venir ici ". Dans le même
sens, une autre cliente ajoute : " Pour une ordonnance de 20000 francs à la
pharmacie, on peut débourser moins de 10000 francs pour s'approvisionner ici
".
Dégradation des principes actifs
Que dire des conditions de conservation ? S'il est vrai que chaque
médicament a ses caractéristiques propres ; et qu'il les conserve jusqu'à la
date de péremption à condition qu'il soit conservé dans des conditions qui
lui assurent sa stabilité, s'il est aussi vrai que ces conditions sont
toujours respectées en pharmacie et à l'hôpital, rien ne prouve qu'il l'est
dans la rue, et dans les marchés. " Une étude réalisée dans une ville
nigériane sur la qualité des gélules de tétracycline (un antibiotique très
utilisé), montre qu'entre le fabricant et les étalages la biodisponibilité
passe de 100 à 81% tandis que le contenu connaît une chute à 61% ", explique
Mlle Timnou Aimée, étudiante de 6ème année de médecine en stage au Chu de
Yaoundé. Ce qui démontre clairement à quel point on ne peut se fier à
l'efficacité des médicaments vendus dans la rue. Et de poursuivre : " Dans
la rue, les médicaments se dégradent rapidement sous l'action combinée de la
chaleur, de l'humidité et de la lumière du soleil. Ainsi, bien que la date
de péremption soit la même, les médicaments de la rue perdent leurs effets
avant la date prévue. Ils se transforment en substances toxiques très
dangereuses voire mortelles pour le consommateur ".
Selon le Dr David Singhe, pharmacien expert analyste, " la stabilité du
médicament est l'un des facteurs qui garantissent son efficacité et donc son
utilisation judicieuse en thérapeutique ". Cette stabilité passe par les
conditions de stockage qui jouent un rôle primordial dans la conservation
des médicaments de même que leur formulation. Formel, il indique que " les
médicaments de la rue ne sont et ne peuvent pas être de bons médicaments ".
Ils sont dangereux à cause de l'altération des molécules due aux mauvaises
conditions de stockage, de distribution et de transport.
Ainsi, du fait de la mauvaise qualité de ces médicaments, l'on comprend,
sans toutefois être un génie, que le malade qui achète son médicament dans
la rue s'expose à de multiples risques pour sa santé. Ces risques sont le
plus souvent liés aux sous-dosages ou sur-dosages, et à la dégradation des
principes actifs contenus dans ces produits. " Au lieu de soigner, ces
médicaments de rue qui sont pris abusivement et sans aucun contrôle
empoisonnent l'organisme, renforçant ainsi la résistance des microbes qui
s'adaptent aux anti-microbiens.
Cette résistance aux anti-microbiens est la conséquence naturelle de l'usage
des médicaments d'origine douteuse qui tuent les micro-organismes sensibles
et laissent les souches résistantes survivre et se multiplier ", explique
pour sa part M. Charles Mboning, directeur de l'école de formation des
délégués médicaux de Melen à Yaoundé. " Si l'on veut trouver une solution à
ce problème, les autorités doivent passer du stade de l'information à celui
d'une véritable communication sur la question ", indique t-il.
L'usage des médicaments de rue n'apporte rien aux malades mais, au
contraire, semble accroître la résistance des germes pathogènes aux
traitements futurs. Ses conséquences sur la santé des populations sont donc
indénombrables voire catastrophiques : résistances aux antibiotiques et aux
antipaludiques, intoxications, destruction des organes sensibles : foie,
cœur et reins. En fin de compte, au lieu d'être moins chers comme le clament
ses adeptes, les médicaments achetés dans la rue sont bien plus chers parce
que pouvant être très dangereux pour la santé.
Sauver le monopole du pharmacien de la razzia des vendeurs de rue
Malgré les campagnes de sensibilisation, les médicaments de rue tiennent bon
dans les rues et quartiers de nos villes. Il est aujourd'hui urgent que les
pouvoirs publics en collaboration avec l'ordre des pharmaciens passent à la
phase répressive pour circonscrire l'évolution du phénomène. Les textes
législatifs et réglementaires ne manquent pas. Certains pays de la sous
région ouest africaine ont déjà pris le taureau par les cornes en en faisant
leur cheval de bataille.
La banalisation du médicament est chaque jour en hausse au Cameroun :
distribution désordonnée, vente illicite et sauvage par des personnes
inexpertes, automédication, transformation des boutiques de quartiers en
comptoirs pharmaceutiques, émergence du marché pharmaceutique parallèle dans
tous les coins de rue. La liste est loin d'être exhaustive. Les cacahuètes,
les mangues, le piment et le tabac côtoient désormais sur les étagères les
médicaments sans que cela émeuve sérieusement les pouvoirs publics. Ceux-ci,
bien que conscients de la gravité de la situation, ne semblent pas encore
décider à prendre le taureau par les cornes afin de stopper la montée du
phénomène, son étendue et ses ravages.
Pourtant, un arsenal de mesures législatives et réglementaires encadrant
toute la chaîne du médicament existe pour protéger la santé publique. Mais,
il est relégué aux oubliettes.
Nul n'ignore pourtant que l'usage inconsidéré du médicament donc la vente
est une activité dangereuse peut être à l'origine de dommages pour le
malade. Il peut en effet provoquer la mort si le médecin ne prend pas les
précautions indispensables avant sa prescription car le non-respect du
principe de vigilance est susceptible d'entraîner des dégâts irréparables
pour un malade déjà accablé par la maladie.
Historiquement, cela a justifié l'institution du monopole de l'apothicaire,
puis son maintien. Ce monopole a un fondement rationnel incontestable,
d'ordre scientifique et non idéologique. Défini par les articles L 512 CSP
et 2 de la loi n° 90/ 035 du 10 août 1990 organisant la profession de
pharmacien au Cameroun, ce monopole pharmaceutique reconnu en matière de
santé repose sur l'idée de sauvegarde du malade.
L'utilisateur de médicament ne possédant pas toutes les connaissances
nécessaires pour apprécier la qualité de celui-ci, leur fabrication et leur
distribution doivent être réglementées et confiées à des personnes possédant
le diplôme de pharmacien. Ces personnes sont soumises au contrôle de l'ordre
des pharmaciens. Pour cette raison, médicament et monopole ont longtemps été
considérés de façon consubstantielle. On peut se poser aujourd'hui la
question de savoir à quoi sert le pharmacien d'officine si son monopole est
contesté sous le regard complice et complaisant de l'Etat ?
En effet, délivrer un médicament c'est aussi délivrer un poison.
Etymologiquement le mot pharmacie vient du terme "pharmakon " qui signifie à
la fois poison et médicament. C'est pourquoi sa remise au malade obéit à une
réglementation très stricte. Le pharmacien, sous peine de sanction, doit
surveiller l'évolution de la consommation du médicament et veiller au
respect de son devoir de prudence et exécuter, lui-même, les actes
professionnels ou en surveiller attentivement l'exécution s'il ne les
accomplit pas lui-même.
Délivrer un médicament n'est donc pas uniquement un acte commercial. Le
pharmacien doit délivrer un produit conforme à celui que le client lui
demande. Cette notion de conformité implique, pour le pharmacien, une
vigilance allant dans plusieurs directions : il doit non seulement contrôler
le nom du produit, mais, ensuite il doit s'assurer que le médicament dont il
a lu le nom est bien celui qu'a voulu prescrire le médecin, en particulier
si le contexte de l'ordonnance le prouve, l'écriture des médecins n'étant
pas toujours lisible. Le contrôle de la présentation du produit impose,
également, au pharmacien de ne pas délivrer sans discernement le même
médicament dont les voies d'administration sont différentes, en particulier
les modes d'administration intra-veineuse et intramusculaire.
Ainsi le pharmacien est tenu d'exécuter, normalement, le contrat de vente
qui le lie à son client et doit répondre des vices cachés connus ou pas, par
lui. Qu'en est-il du vendeur de rue ?
Derrière chaque intoxication médicamenteuse, il y a presque toujours un
dysfonctionnement dans la chaîne de soins. Il suffit par exemple de négliger
les antécédents d'un malade, s'il est déjà sous traitement prescrit par un
autre confrère pour que le drame arrive.
La pharmacie implique donc un certain type d'activité empreinte de
dangerosité et en contrepartie une responsabilité juridique particulière.
Contrairement aux médecins, tenus en général par une obligation de moyens,
les pharmaciens sont, en revanche, astreints à une obligation de résultats
dans laquelle le débiteur s'engage à atteindre le résultat promis. Il n'est
pas excessif de dire que cette obligation de résultats impose au pharmacien
avisé de vérifier que le traitement prescrit n'est pas susceptible
d'interactions avec d'autres médicaments pris par le malade. Sa
responsabilité civile sera pleine et entière si, par exemple, il ne détecte
pas une contre-indication et qu'un accident survient, causant un préjudice
au client.
C'est pour le mettre en condition de satisfaire à ces exigences que le
pharmacien est d'abord une qualification professionnelle acquise au bout de
longues études universitaires.
Ainsi, à l'opposé du commerçant de rue qui ne vend que les produits
pharmaceutiques, le pharmacien assume une grande responsabilité car, comme
le médecin, il agit sur la vie des hommes. Cette qualité lui confère le
droit de se constituer comme un maillon essentiel dans la chaîne de soins.
Il a un droit de regard sur l'ordonnance, même si en retour il n'a pas de
droit de contrôle sur l'usage du médicament. Le pharmacien devient alors
comptable de la santé publique et garant de la bonne utilisation du
médicament. Ce qui n'est pas le cas du quidam de la rue.
Dans ces conditions, pourquoi l'Etat du Cameroun continue t-il de laisser
des mains inexpertes menacer la santé des populations étant donné qu'il est
pratiquement rare de trouver un seul de ces vendeurs de médicament de rue
qui maîtrise même approximativement et la pharmacologie et la pharmacopée ?
Il est donc impératif dans un Etat de droit que les pouvoirs publics
restaurent dans sa dignité le métier de pharmacien pour le bien de la santé
publique. Ce ne sont pas les mesures répressives qui manquent.
La mise en œuvre rigoureuse de l'article 16 de la loi n°90/035 du 10 août
1990 peut être un début de solution. Il dispose en effet que quiconque se
sera livré sciemment à des opérations réservées aux pharmaciens sans réunir
les conditions fixées par la loi s'expose à une amende de 500 000 à 2 000
000 de F Cfa et à un emprisonnement de six jours à 6 mois ou à l'une de ces
deux peines seulement. En prime, le tribunal devra ordonner la fermeture de
l'établissement et la confiscation de tous objets, médicaments et substances
ayant servi de support à cette activité irrégulière.
A côté de cette répression du marché illicite, des mesures se doivent d'être
prise pour prévenir ce marché illicite. Pour donc mettre fin à la
banalisation du médicament, les pouvoirs publics et plus particulièrement
l'autorité en charge de la santé publique doivent veiller à l'élaboration
d'un document de stratégie de lutte et mettre sur pied un plan d'action de
lutte contre le marché illicite et sauvage du médicament au Cameroun.