[e-med] Des tonnes de médicaments inappropriés sur l'Asie du Sud Est

Communiqué Pharmaciens Sans Frontières Comité International du 31/01/05

Des tonnes de médicaments inappropriés sur l'Asie du Sud Est
Avant même de partir, ils étaient nerveux. Ils savaient déjà ce qui les
attendait à Banda Aceh, ils essayaient de se remémorer les expériences
vécues en Bosnie et en Albanie et se préparaient psychologiquement pour
ne pas hurler de désespoir devant le triste spectacle d'une aide
humanitaire internationale certes "généreuse" mais qui, dans la
précipitation, commet systématiquement les mêmes erreurs et fait passer
son besoin d'agir avant les besoins réels des pays sinistrés. "C'est
normal" diront certains "il fallait agir très vite". "Ce n'est pas
normal" répond Pharmaciens Sans Frontières qui s'interroge sur les
raisons qui empêchent les acteurs humanitaires gouvernementaux,
inter-gouvernementaux et non-gouvernementaux de se concerter
immédiatement afin d'être efficaces et d'éviter de pénaliser les pays
bénéficiaires par des dons inappropriés qu'ils devront détruire pour
protéger la santé de leurs populations. A l'ère de la communication,
pourquoi est-il si difficile de communiquer ?

Pourtant le message des principales ONG humanitaires était bien "pas de
dons en nature, de l'argent !" Mais le constat est amer : des tonnes de
médicaments de toutes les marques, venant de tous les pays, avec des
notices écrites dans des langues complètement inconnues du personnel
médical et avec des dates de péremption trop courtes s'accumulent
anarchiquement dans des entrepôts et même des résidences. Rien que sur
la ville de Banda Aceh, un entrepôt de la taille d'un terrain de
football ne suffirait pas à concentrer en un seul point les dons amenés
par les uns et les autres et abandonnés sur place car inutiles. Même les
kits de première urgence sont arrivés en trop grand nombre et sont
désormais inadaptés à la situation.

Et des médicaments continuent d'affluer ! Les gouvernements des pays
sinistrés n'osent pas les refouler de crainte d'offenser les pays
donateurs. Difficile de dire "non" à quelqu'un qui est persuadé que vous
avez besoin de lui. Surtout si vous sentez que c'est surtout lui qui a
besoin que vous ayez besoin de lui. Petit à petit cependant, ils se
ressaisissent. Le Sri Lanka avait déjà demandé à PSF Allemagne et Suisse
de faire passer l'information qu'ils ne souhaitaient plus recevoir de
médicaments. Les autorités sanitaires de Banda Aceh nous demandent la
même chose...gentiment. Trop gentiment d'après nos évaluateurs qui
calculent déjà mentalement le coût des destructions et le nombre de
personnels qu'il faudra mobiliser pour ces destructions. Il y a déjà
tant à faire pour déblayer les décombres, détruire les médicaments
endommagés par le tsunami et reconstruire ! Il faudra plus longtemps
encore car il faudra aussi "déblayer" et détruire les dons inappropriés.

Il existe pourtant des Principes Directeurs applicables aux dons de
médicaments, édités dès 1996 par l'OMS suite aux nombreux problèmes
causés par les dons de médicaments. Ils ont été complètement ignorés :
www.who.int/medicines/library/par/who-edm-par-1999-4/who-edm-par-99-4.sh
tml

Mais la plus grande question que se pose Pharmaciens Sans Frontières est
:"Pourquoi a-t-on envoyé des tonnes de médicaments de marque en Asie du
Sud Est alors que cette région du globe produit la majeure partie des
génériques utilisés aujourd'hui dans les programmes humanitaires ?"
L'ignorance des petites associations n'est même pas une excuse valable :
on s'informe avant d'agir et on ne fait pas passer son envie d'agir
avant l'intérêt des pays bénéficiaires.

Il ne faut jamais oublier que tout don en nature est susceptible de
concurrencer l'économie locale et de menacer la survie des industries et
commerces locaux. Des personnels se retrouvent alors au chômage, réduits
à l'assistanat forcé. Dans sa précipitation, l'aide humanitaire
d'urgence tient trop rarement compte de l'environnement social qu'elle
déstabilise toujours fortement. Le débarquement de milliers d'acteurs
humanitaires provoquent ainsi une inflation du coût de la vie. Tout
augmente brutalement et la population, déjà durement pénalisée, n'a pas
les moyens d'accompagner cette inflation. Tributaire de l'aide
humanitaire, elle perd ainsi toute sa dignité.

Le Comité International de PSF n'était pas certain que son intervention
serait nécessaire. Au siège de l'association, le raisonnement était le
suivant :
- les organisations spécialisées en première urgence amèneront tous les
kits nécessaires pour les 3 premiers mois... et peut-être même un peu
trop
- les fonds promis par les gouvernements permettront aux pays
d'envisager rapidement la reconstruction des circuits détruits
- les laboratoires de la région ont la capacité de fournir les
médicaments nécessaires en fonction des besoins
- rien n'indique un besoin massif de médicaments à part une possible
épidémie de choléra due au manque d'eau potable et les kits de première
urgence suffiront à assurer les premiers besoins
- seul un manque de personnel spécialisé pourrait justifier notre
intervention.
La première préoccupation de PSF pour protéger les pays sinistrés était
donc de s'assurer avant tout qu'il n'y aurait pas de collectes et
d'exportations sauvages de médicaments. Le soutien de l'Ordre National
des Pharmaciens, qui a immédiatement alerté son réseau à travers les
Ordres Régionaux, a été inestimable. En Belgique et en Suisse, les PSF
ont aussi réussi à bloquer des projets de collecte et d'envoi de
médicaments inappropriés .

La deuxième préoccupation était d'informer très rapidement les donateurs
potentiels de médicaments que la majeure partie des médicaments utilisés
dans les programmes humanitaires étaient justement produits là-bas et
qu'il n'y avait pas lieu d'envoyer des médicaments d'ici. Apparemment,
on l'ignorait ou on l'avait oublié...

Le premier indice inquiétant est arrivé de Thaïlande, par mail, dès le
1er janvier. Déjà victimes, par le passé, de dons de médicaments
inappropriés, les pharmaciens thaïlandais voyaient débarquer sur leur
pays des tonnes de médicaments et demandaient les conseils de PSF. Le
deuxième indice venait de l'équipe PSF au Sri Lanka et celle qui se
préparait à partir pour l'Indonésie revoyait sa copie : il ne s'agira
pas de vérifier s'ils ont besoin de l'expertise de PSF pour
reconstruire, il faudra d'abord et de toute urgence, jouer les
"éboueurs" pour minimiser les effets secondaires d'une aide humanitaire
irrationnelle et prévenir tout risque de santé publique.
Un premier projet a donc été présenté le 24 janvier pour apporter un
appui à la gestion pharmaceutique de la Province d'Aceh. En partenariat
avec les agents sanitaires locaux et l'OMS, il concerne la
centralisation, la sélection et l'entreposage des dons utilisables
dans de bonnes conditions, la mise à disposition de médicaments et
matériel médical de qualité, le renforcement des capacités de stockage
de l'entrepôt pharmaceutique de la province d'Aceh et la distribution
aux dépôts de districts, aux hôpitaux et aux centres de santé qui
servent une population de 5 millions d'habitants.
  
PSF-CI ASIE DU SUD-EST
Banque Nuger
Compte n° 13489 04452 10182600215 19
IBAN FR76 1348 9044 5210 1826 0021 519
BIC BNUGER21 SWIFT NORDFRPP
Ghislaine Soulier
Responsable Communication
Pharmaciens Sans Frontières Comité International
4 voie Militaire des Gravanches
63100 Clermont-Ferrand - France
Tél : 04 73 98 23 59 - Fax 04 73 98 24 90 - Mobile 06 84 53 56 77
E-mail : g.soulier@psf-ci.org
Site Web : www.psfci.org <http://www.psfci.org/&gt;

Pour ceux qui n'aurait le temps de lire l'intervention très pertinente de
PSF-Ci, je me permet de reprendre une phrase de leur message :
"on ne fait pas passer son envie d'agir avant l'intérêt des pays bénéficiaires".

Je pense que ce principe est essentiel et ne concerne pas que le circuit du
médicament. A madagascar depuis trois ans j'ai eu maintes fois à m'interroger sur la pertinence des interventions d'associations qui se
croyaient pourtant indispensable.
Je voudrais rajouter à l'analyse déjà très pessimiste de l'aide
internationale un autre travers de cette médiatisation et de la collecte de
fond sans précédent centrée sur les dégats du tsunami, il s'agit de l'effet
"aspirateur de fonds" qui laissent les autres projets sur la paille. Je suis
présidente d'une association qui participe à un collectif d'ONG à
madagascar prenant en charge les hospitalisations de la population démuni
d'antananarivo, je suis aussi pharmacienne de cette association, toutes nos
demandes de fonds de ce dernier mois se voient rejeté car la priorité est en
asie... Les risques de retombées négatives sont donc nombreuses, les dérives
inévitables et le pire serait finalement de démobiliser les donateurs ,car
l'on ne manquera pas de médiatiser ces travers.

Cécile Mourlan
pharmacien hospitalier
Présidente de l'association Girard et Robic
Hôpital de SOAVINANDRIANA
ANTANANARIVO
MADAGASCAR

Je soutiens les propos de Cécile Mourlan qui résume bien les problèmes
soulevés par ce soudain "engouement humanitaire" pour la catastrophe d'Asie
du Sud-Est, qui risque de retomber comme une vague brisée au détriment de
nombreuses actions de fonds du type de celles qu'elle développe à
Madagascar, loin du battage médiatique.
Des associations de ce type, motivées par une authentique compassion
associée à une réelle recherche d'efficacité, il y en a sûrement d'autres,
mais elles semblent aujourd'hui être victimes de leur "trop" discrète
fraternité
sur le continent africain et ailleurs.

L'argument avancé par beaucoup en faveur du déferlement de générosité
suscité par le Tsunami, louable mais manquant de discernement, est celui
d'une catastrophe "100% naturelle". Comme s'il y avait les victimes d'une
catastrophe "bio" d'un côté, par opposition à celles condamnées par les
errements de la nature humaine. Cet argumentation ne résiste pas à l'analyse
et à la remise en perspective des évènements dans leur contexte
géographique, culturel, économique et politique.

En effet la construction massive de complexes pour tourisme de luxe en Asie
du Sud Est,
au bord de rivages à "risques naturels" avérés, négligeant tout
investissement dans les infrastructures de protection des populations y
travaillant, a également des origines politico-économique, notamment la
recherche de profit maximum par leurs promoteurs étrangers et partenaires
locaux. De même certains conflits meurtriers ou famines en africains sont
souvent pour partie la résultante d'une nature hostile et d'un environnement
déséquilibré, que des facteurs géopolitiques et socio-culturels contribuent
largement à aggraver.

Par ailleurs, après l'enthousiasme unanime du départ, on commence déjà à
voir poindre, comme d'habitude, les critiques souvent justifiées sur
l'utilisation des fonds et
l'organisation de l'aide dans les régions touchées par le Tsunami, mais
risquant de
de décourager les nouveaux donateurs de tout autre engagement humanitaire.

En résumé les choses ne sont pas aussi simplistes qu'on l'entend dans
beaucoup de médias ou de conversations, et beaucoup oublient souvent, comme
l'évoquait Gishlaine Soulier de PSF-CI, de faire passer
l'intêret à moyen terme de tous les pays bénéficiaires avant leur envie
d'agir à court terme avec des motivations pas toujours des plus claires.

Rémi J. VASSEUR