Les visiteurs médicaux épinglés par l'Igas
JEAN-MICHEL BADER.
Publié le 06 novembre 2007
Actualisé le 06 novembre 2007 : 07h42
La visite médicale n'est considérée comme primordiale ou importante que par
55% des médecins.
http://www.lefigaro.fr/sciences/20071106.FIG000000013_les_visiteurs_medicaux
_epingles_par_l_igas.html
L'Inspection générale des affaires sociales estime que les informations
délivrées aux médecins sur les médicaments au cours des visites médicales
sont trop souvent biaisées.
LE MINISTÈRE de la Santé, après quelques tergiversations, a fini par rendre
public le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur
l'information des médecins généralistes sur le médicament. C'est surtout la
visite médicale qui est le « coeur de cible » de ce rapport.
Quelques chiffres donnent la mesure du poids stratégique de ce secteur :
l'industrie dépense chaque année 25 000 euros par médecin généraliste, soit
l'équivalent de 39 % du revenu libéral moyen net d'un généraliste (64 000
euros) « pour apporter des informations » aux médecins. Un petit calcul des
quatre inspecteurs de l'Igas montre que sur la base d'une consultation à 22
euros et de quatre consultations par heure, les sommes consacrées à la
visite médicale sont l'équivalent pour le médecin de 285 heures d'activité !
Or, ce « mode d'information médicale fait obstacle au développement de
démarches plus exigeantes de recherche d'information par les médecins ».
Autrement dit, ces sommes seraient mieux dépensées autrement ! Et nos
confrères de la revue Prescrire, qui ont établi en 1991 un réseau
d'observation de la visite médicale, savent bien (nos éditions du 15 mars
1999) que les visiteurs minimisent les risques des médicaments, dérapent sur
les indications, ne présentent pas toujours le résumé des caractéristiques
du produit (le passeport du médicament) et presque jamais l'avis de la
commission de transparence sur l'amélioration du service médical rendu par
le produit.
Depuis, la visite médicale a connu une forte progression dans l'Hexagone, de
17 500 personnes en 1998, elle est passée à 23 250 employés en 2005. Une
étude Cegedim de 2007 sur 60 000 médecins montre que 20 % d'entre eux ont
reçu plus de 40 visiteurs médicaux dans le mois, 45 % ont reçu de 11 à 40
visiteurs, et 32 % de 1 à 10 visites. Mais la productivité et la qualité
baissent, malgré l'obligation depuis 1993 de passer un diplôme national, et
malgré la signature en 2004 d'une charte déontologique par les laboratoires.
Pour l'Igas, l'information qui permet au médecin de choisir sa prescription
tire sa légitimité de son caractère scientifique. Mais « de nombreux biais »
peuvent l'affecter : sans être exhaustif, citons les études cliniques
négatives non publiées ou peu diffusées, l'origine du financement de l'étude
qui influence les résultats ou l'interprétation des résultats qui en est
donnée (avec la complicité de médecins leaders d'opinion), la difficulté à
analyser la rigueur méthodologique de l'étude (ou son absence), le choix des
critères d'évaluation, etc.
«Promotion commerciale»
Surtout les médecins sont loin d'être satisfaits par l'information médicale
délivrée par les visiteurs médicaux : entre 35 et 42 % des médecins disent
ressentir un manque d'information pour ce qui concerne les études
comparatives (entre plusieurs médicaments d'une même classe), les niveaux de
service médical rendu (SMR) et d'amélioration du SMR, ou les effets
secondaires et les interactions médicamenteuses. Dans la hiérarchie de la «
crédibilité » des sources d'information sur le médicament, l'étude la plus
récente auprès des généralistes français montre que le dictionnaire Vidal,
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, la formation
médicale continue et la Haute Autorité de santé sont des sources
primordiales ou importantes pour 70 % des médecins. A contrario, la visite
médicale n'est considérée comme primordiale ou importante que par 55 % des
médecins.
Mais la visite médicale est gratuite, ce que ne sont ni l'évaluation des
pratiques professionnelles, ni l'inscription à la FMC, ni les sites Internet
spécialisés, ou les logiciels d'aide à la prescription. Si la loi de 2004 a
donné formellement à la Haute Autorité de santé (HAS) un rôle central dans
l'élaboration et la diffusion de l'information sur le médicament, il faut,
selon les auteurs du rapport, passer à la vitesse supérieure.
Première recommandation de l'Igas, « faire de la HAS l'émetteur unique
d'information sur le bon usage du médicament » car « aujourd'hui, la
faiblesse de l'information publique laisse libre cours à la promotion
commerciale ». Seconde recommandation : « confier à l'HAS la définition et
la mise en oeuvre d'une stratégie de promotion publique des bonnes pratiques
de prescription », car « la recommandation de bonne pratique intègre les
critères de la supériorité clinique d'une nouvelle molécule et son insertion
dans les stratégies thérapeutiques ». L'Igas recommande aussi de mettre en
place un observatoire de la prescription pour repérer les problèmes
rencontrés par les médecins avec les visiteurs médicaux. Les entreprises du
médicament, dans un communiqué, ont nié toute légitimité aux inspecteurs de
l'Igas et réclamé la tenue de négociations publiques.