[e-med] Grippe A H1N1, Envisager tous les scénarios, et surtout les pires

Grippe A H1N1. Envisager tous les scénarios, et surtout les pires

Même si le nouveau virus se révèle jusqu’à présent peu mortel, les épidémiologistes se préparent à tous les scénarios, tant son évolution est imprévisible. Reste que certains ont peut-être tendance à en faire un peu trop.

05.05.2009 | Javier Sampedro | El País
http://www.courrierinternational.com/article/2009/05/05/envisager-tous-les-scenarios-et-surtout-les-pires

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L'article original
    d'El Pais.

Un épidémiologiste examine un échantillon prélevé sur un patient infecté par le virus de la grippe A H1N1, Mexico, 30 avril 2009

Un épidémiologiste examine un échantillon prélevé sur un patient infecté par le virus de la grippe A H1N1, Mexico, 30 avril 2009
Tout indique que le virus de la grippe A H1N1 n’est guère mortel chez l’homme. Son génome ne présente aucun des marqueurs les plus dangereux, et il n’a causé que très peu de morts en dehors du Mexique. La forte létalité à l’intérieur de ce pays est sans doute un mirage statistique : elle est liée au fait que le Mexique n’a analysé pour l’instant que les cas hospitalisés, qui sont les plus graves. Le nombre de Mexicains infectés, atteints de grippes légères ou asymptomatiques, est sans doute très élevé et le taux de mortalité très faible.

Dans un scénario optimiste, le virus resterait tel qu’il est. Mais les épidémiologistes travaillent non pas sur les meilleurs scénarios possibles, mais sur tous les autres, y compris les pires. Les plans de préparation antipandémique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se fondent donc sur les prédictions les plus sombres. Il en va de même pour les calculs et les spéculations des scientifiques qui connaissent le mieux le virus de la grippe, l’agent infectieux le plus imprévisible auquel la médecine ait été confrontée. Passons en revue les trois scénarios les plus pessimistes.

Le plus terrible d’entre eux serait que le virus mute ou se recombine en une forme plus létale. Cela pourrait arriver une fois qu’il se sera propagé en Asie, continent d’où part chaque année l’épidémie de grippe saisonnière et grand réservoir du virus aviaire H5N1, très létal. Le deuxième scénario serait un effondrement économique. Les estimations de chute du PIB mondial liée à une pandémie de grippe varient entre 0,8 % et 12 %. Troisième scénario, enfin : le grand danger de l’irrationalité humaine. Les fermetures d’aéroports et de frontières, notamment, aggravent davantage la crise économique que ne le fait le virus lui-même. Ou bien certains sont tentés de manipuler l’information, sous prétexte d’apaiser les esprits ; l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a ainsi diffusé des communiqués tendancieux afin de protéger le marché du porc.

Pour le premier scénario, du point de vue génétique, on n’est pas en présence d’un virus à haut risque. Il ne comporte pas de mutation du gène PB1, qui, comme l’a affirmé Peter Palese, chef du service de microbiologie à l’hôpital Mount Sinai de New York, a rendu plus létaux les virus des trois pandémies de grippe du XXe siècle (1918, 1957 et 1968). Tous les virologues savent que mutations et recombinaisons sont le grand risque – et qu’elles sont imprévisibles, pouvant aussi bien améliorer la situation que l’aggraver. Mais, en l’occurrence, ils sont particulièrement attentifs à deux risques concrets : que le H1N1 se recombine en Asie avec d’autres virus ou qu’il mute dans les mois qui viennent en profitant de l’hiver austral.

Pour le deuxième scénario, les alertes déclenchées lors de la propagation de la grippe aviaire H5N1 depuis 2003 ou du SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère], qui s’est répandu depuis Hong Kong la même année, ont permis d’élaborer des modèles prédictifs concernant les effets économiques d’une future pandémie. Dans une étude de 2006, l’Institut Lowy de politique internationale, établi à Sydney, a calculé que le PIB mondial pourrait baisser de 0,8 % en cas de pandémie légère et jusqu’à 12 % dans le pire des scénarios imaginables. Pour choisir un point dans une fourchette aussi large, le principal facteur est non pas économique mais biologique : quelle mortalité attribue-t-on au futur virus pandémique dans tel ou tel modèle prédictif ? La Banque mondiale a fait un essai en 2008, en lui attribuant la mortalité de la “grippe espagnole” de 1918, soit 2,5 % de la population, un chiffre modéré du point de vue de la virulence, et elle a prévu une chute de 4,8 % du PIB mondial. Les répercussions économiques dépendront aussi pour une large part du degré d’irrationalité dans la réaction des pays et des individus. Pour en observer les premiers signes, inutile de se projeter dans l’avenir : il suffit de voir ce qui s’est passé depuis que la grippe fait la une des journaux.

Nous en arrivons au troisième scénario : alors même que la pandémie n’est pas déclarée, les gouvernants ne mettent pas en application leurs propres préparatifs officiels de lutte antipandémique ! “Limiter les voyages et imposer des restrictions aux vols ne freinerait guère la progression du virus, mais aurait de très graves conséquences à l’échelle planétaire, rappelait l’OMS vendredi dernier. La présence du virus H1N1 est déjà confirmée dans de nombreux pays du monde, et l’essentiel maintenant n’est plus d’arrêter sa propagation, mais de l’identifier rapidement et d’en minimiser l’impact.”

Les experts n’ont jamais pensé pouvoir enrayer la propagation d’un virus de la grippe dès lors qu’il se transmet efficacement entre les humains, comme c’est le cas du H1N1. L’OMS avait déjà annoncé en 2004 que les contrôles frontaliers n’éviteraient pas une pandémie. Le virus Ebola est très létal, mais il ne se transmet d’un individu à l’autre qu’après des contacts très directs et prolongés. Le sida et l’hépatite C ne se transmettent que par le sang et les rapports sexuels non protégés. En revanche, une personne atteinte de la grippe peut la transmettre à la moitié d’une rame de métro avec un seul éternuement.

Michael Osterholm, épidémiologiste à l’université du Minnesota, disait déjà en 2005 : “Chaque Etat essaiera d’empêcher le virus d’entrer sur son territoire en limitant ou en supprimant les voyages et le commerce extérieur. Ces mesures sont vouées à l’échec, étant donné la grande virulence du virus de la grippe et les trafics qui ont lieu à toutes les frontières.” John Brownstein et ses collaborateurs du Children’s Hospital de Boston ont démontré, dans un article publié en 2006 dans la revue PloS Medicine, que la forte baisse du trafic aérien international consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 a entraîné effectivement un retard dans la propagation de la grippe saisonnière aux Etats-Unis. Mais ce retard n’a été que de deux semaines, et le nombre de morts causés par cette maladie au niveau national a tout de même été d’environ 39 000, comme tous les ans.
Retarder l’arrivée d’un virus serait utile si l’on gagnait ainsi du temps pour la fabrication d’un vaccin, mais deux semaines sont négligeables lorsqu’on sait qu’il faudra quatre à six mois pour le mettre au point. En outre, “il est dangereux de fermer les frontières, parce que beaucoup des biens nécessaires en cas de pandémie proviennent d’autres pays”, rappelle Osterholm. Exemple : l’acide shikimique, matière première du Tamiflu, est produit principalement en Chine. La prévention passe davantage par l’information et la responsabilisation individuelles que par les douanes et les contrôles policiers. “Les individus qui se sentent malades doivent remettre à plus tard leurs projets de voyage”, souligne ainsi l’OMS.

Certains scientifiques craignent aussi, paradoxalement, que le virus ne se révèle inoffensif. Ainsi, Masato Tashiro, chef de l’Institut national des maladies infectieuses du Japon et membre du comité d’urgence de l’OMS, redoute que les pays n’utilisent trop de Tamiflu lors de ce début d’épidémie et ne se retrouvent à court de médicaments lorsque la vraie pandémie surviendra. Les virologues restent très vigilants face au virus de la grippe aviaire H5N1 – et surtout face à une variante qui touche les poulets égyptiens et sur laquelle, il y a quelques semaines, 21 vaccins différents ont échoué. Quoi qu’il en soit, tous les virologues s’accordent à dire que la simple utilisation de Tamiflu pour les cas de H1N1 créera très certainement des souches résistantes.