[e-med] Hépatite C : bataille pour l’accès à un traitement révolutionnaire (Le Monde)

Hépatite C : bataille pour l’accès à un traitement révolutionnaire
LE MONDE | 22.01.2015 à 17h39• Mis à jour le22.01.2015 à 20h09
Par Chloé Hecketsweiler et Paul Benkimoun
http://lemonde.fr/planete/article/2015/01/22/hepatite-c-bataille-pour-l-acces-a-un-traitement-revolutionnaire_4561824_3244.html

C’est un médicament miracle contre l’hépatite C, et vendu au prix fort. Au
point que ses concepteurs redoutent un trafic et ont imaginé un plan de
surveillance des malades totalement inédit.

Médecins sans frontières (MSF) a donné l’alerte la semaine dernière : les
dispositions prévues par le laboratoire américain Gilead, unique fabricant
de la molécule sofosbuvir, pour éviter des reventes risquent de
compromettre la santé des malades. Commercialisé sous le nom de Sovaldi,
ce médicament change la donne dans le traitement de l’hépatite C, avec une
efficacité supérieure et une durée deux fois plus courte que les autres
traitements. Il est disponible à un tarif moins cher dans des pays en
développement. Gilead veut éviter qu’il ne soit revendu pour être exporté
vers des pays où les prix sont plus élevés.

En France, comme le précise l’arrêté du 18 novembre 2014 pris par le
ministère de la santé, le comité économique des produits de santé (CEPS) a
fixé le prix du Sovaldi à 13 667 euros hors taxes la boîte de 28 comprimés
(soit 488,10 € le comprimé). Cela porte le coût du traitement de trois
mois à 41 000 € hors taxes, avec un remboursement à 100 % par l’assurance
maladie. Aux Etats-Unis, le coût total du traitement dépasse 70 000 euros.

Les mesures anti-détournement mises en place par Gilead pourraient
s’étendre aux neuf producteurs de médicaments génériques indiens avec
lesquels l’entreprise a signé un accord de licence volontaire en septembre
2014 permettant la fabrication du sofosbuvir pour 91 pays en
développement. MSF en a eu connaissance au cours de discussions avec le
fabricant en vue d’acquérir ce médicament pour ses programmes contre
l’hépatite C. Le plan prévoit des dispositions qui bafouent la
confidentialité et les droits de l’homme, selon MSF.

QR code sur les flacons

En effet, il prévoit que l’accès d’un patient au médicament à partir d’un
distributeur agréé par Gilead ou auprès d’un professionnel de santé se
fait sur une base nominative, avec des preuves de l’identité, de la
citoyenneté et du lieu de résidence. Des dispositions problématiques pour
des individus marginalisés (usagers de drogues, personnes sans domicile
fixe…). Chaque flacon de comprimés sera porteur d’un QR code comprenant
les informations nominatives du patient ainsi que son adresse. Les
représentants de Gilead pourront ainsi contrôler avec un simple smartphone
les informations relatives au patient. Il est prévu que Gilead et ses
représentants pourront à tout moment accéder à ces informations auprès du
prescripteur.

Le traitement sera délivré pour un mois – et non pour la totalité des
trois mois requis – et le patient devra s’engager par écrit à retourner,
en personne ou par courrier, le flacon vide avant de pouvoir obtenir le
suivant. Selon MSF, au Pakistan, qui ne dispose pas d’un réseau de
distribution des médicaments dans toutes les provinces, la dispensation
comme le retour devront être effectués par courrier.

MSF s’inquiète de voir des informations sensibles sur le patient être
diffusées à un laboratoire qui n’est pas directement partie prenante dans
les soins. Dans son communiqué, l’organisation humanitaire s’alarme du
risque d’atteinte à la confidentialité : « Gilead pourrait avoir accès aux
ordonnances et à d’autres documents médicaux, qui pourraient inclure un
diagnostic sur la santé mentale, le statut à l’égard du VIH, des
antécédents d’usage de drogues et autres informations sensibles »,
s’alarme MSF dans son communiqué.

Influence sur la conduite du traitement

L’interférence dans la relation médecin-patient pose problème. Un
représentant du laboratoire, que Gilead désigne sous le nom de patient
support executive (« cadre de soutien au patient ») pourrait ainsi influer
sur la conduite du traitement, son éventuelle extension ou son
interruption dans le cas où un flacon n’aurait pas été retourné ou se
serait égaré dans le courrier.

« Si l’on ne s’y oppose pas, les mesures anti-détournement de Gilead
restreindront l’accès et retarderont le passage à grande échelle du
traitement dans les pays lourdement affectés par le virus de l’hépatite C
(VHC), affirme MSF. Gilead doit apporter une plus grande transparence et
des informations sur ce programme controversé. MSF a demandé à Gilead
d’éliminer ce programme là où il a été mis en place, de mettre un terme
aux négociations en cours avec les autres gouvernements pour introduire de
tels programmes et d’amender tous les accords de licence volontaire de
manière à ce que les entreprises de génériques n’aient pas à mettre en
œuvre des mesures anti-détournement. »
Sollicité par Le Monde, Gilead n’a pas apporté d’éclaircissement sur les
mesures prises par le laboratoire pour éviter le détournement des
médicaments commercialisés dans les pays en développement. Pour le moment,
elles ne s’appliquent qu’en Egypte, où Gilead commercialise en propre son
médicament.

« Nous pensons que la description de ce programme est trompeuse et
inexacte. Protéger la vie privée du patient est de la plus haute
importance et aucune information sur le patient n’est recueillie. Pour
bénéficier de soins médicaux dans le cadre du programme national sur les
maladies du foie du ministère égyptien de la santé, les patients doivent
présenter un document d’identité. C’est indispensable d’y satisfaire pour
obtenir tout médicament. Les patients inclus dans le programme sont
régulièrement suivis dans leur centre de traitement pour évaluer son
efficacité et les décisions thérapeutiques sont prises exclusivement entre
patients et médecins », explique Clifford Samuel, vice-président du
programme d’accès aux médicaments de Gilead.

« Il faudra du temps avant que les prix chutent »

Plus classiquement, le groupe impose aux “génériqueurs” de fabriquer des
comprimés de forme et de couleur différentes du Sovaldi « original ».
Cette mesure permet de repérer très vite les copies réexportées
illégalement. « Dans le cas des antirétroviraux, les médicaments pour
lesquels nous avons le plus de recul, nous constatons que c’est un
phénomène exceptionnel, indique Michel Joly, qui dirige la filiale
française de Gilead. Malgré la différence de prix, les comprimés ne se
baladent pas d’un pays à l’autre ». Gilead commercialise notamment le
Truvada, une association d’antirétroviraux. Vendu plus de 500 euros la
boîte en France, il est disponible pour 22 euros par mois dans les pays à
plus faible revenu pour un peu moins de 40 euros dans les pays à revenu
intermédiaire.

La sofosbuvir est cependant loin d’être aussi abordable. En Egypte, où 14
% de la population est infectée par le VHC, le traitement est
commercialisé 300 dollars la boîte, soit 900 dollars pour un traitement
complet de douze semaines. C’est 1 % du prix facturé aux Etats-Unis, mais
pour traiter les seules personnes à un stade avancé de la maladie, le
gouvernement égyptien devrait consacrer sept fois le montant du budget
total de la santé, selon l’étude sur les inégalités dans l’accès aux
traitements contre l’hépatite C réalisée à la demande de Médecins de monde
(MDM) par la consultante Pauline Londeix (Act-Up Bâle).

Traiter 55 % des quelque 232 000 patients atteints d’une hépatite C
chronique en France équivaudrait au budget 2014 de l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris. « Il faudra du temps, pour que les prix
chutent sous l’effet de la concurrence entre les “génériqueurs” avec qui
nous avons passé des accords, estime Michel Joly. C’est ce qui s’est passé
dans le domaine du VIH sur une durée de cinq à dix ans. »
Revers en Inde pour Gilead

En attendant, une éventuelle chute des prix, Gilead vient de subir un
revers en Inde avec le rejet par les autorités de l’un des brevets
couvrant le Sovaldi. Dans ce pays où 12 millions de personnes sont
infectées par le VHC, le coût du traitement a été abaissé à 900 dollars
(778 euros), mais ce montant demeure hors de portée de la population,
estiment les ONG indiennes. Gilead a annoncé qu’il faisait appel de la
décision de l’Office indien des brevets.