E-med: Infections nosocomiales en France
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Infections nosocomiales : halte aux fantasmes !,
par Jean Carlet
LE MONDE | 02.01.04 � EDITION DU 03.01.04
L'ann�e 2003 a �t� riche en �pisodes m�diatiques ou m�diatis�s concernant
les infections nosocomiales : dossier du Canard encha�n�, �missions de
Marc-Olivier Fogiel sur France 3, de Thierry Ardisson sur France 2 "Faut-il
faire confiance � l'h�pital", �pid�mies de bact�ries r�sistantes, dites
"tueuses", dans le nord de la France et plus r�cemment � l'h�pital
Henri-Mondor (Cr�teil), mise en examen r�cente de plusieurs m�decins �
l'h�pital de la Piti�-Salp�tri�re et � l'h�pital Cochin (Paris)...
Les m�dias se sont empar�s de ce th�me de fa�on r�currente mais, aussi,
outranci�re, caricaturale, � la limite de l'obsc�ne pour certains d'entre
eux, sans, le plus souvent, la moindre tentative de comprendre les causes de
ces infections ni leur caract�re �vitable ou non.
L'histoire tragique de Guillaume Depardieu est "utilis�e" sans aucun effort
pour comprendre les tentatives d�sesp�r�es pour sauver sa jambe initialement
et sans informer sur le risque d'infection consid�rablement augment�, dans
son cas, par l'importance des d�g�ts initiaux et le caract�re r�p�t� des
interventions. On est m�me all� jusqu'� affirmer, sans aucun argument
s�rieux, que le d�c�s de Jean-Luc Lagard�re �tait li� � une infection
nosocomiale.
On est dans un d�lire m�diatique absolu et bien au-del� des limites
acceptables de l'�thique professionnelle. On laisse croire que les
infections nosocomiales sont une "honte" r�cente, alors qu'elles sont
apparues en m�me temps que la m�decine et que leur fr�quence est en
diminution constante au fil des d�cennies (baisse qui a persist� au cours
des derni�res ann�es).
Les efforts consid�rables r�alis�s dans notre pays pour r�duire le risque
infectieux � l'h�pital, les comparaisons que l'on peut faire avec d'autres
pays consid�r�s classiquement comme plus d�velopp�s et plus "propres" que
nous (Hollande, Suisse, Scandinavie...), ne sont pas pris en compte. Ces
comparaisons sont tr�s loin d'�tre en notre d�faveur, bien au contraire,
mais la presse n'aime que les scandales ou les �checs !
Apr�s des ann�es de travail sur ce th�me, j'ai vraiment du mal � accepter
tout cela ! Le monde m�dical, que l'on d�crie souvent, a mis en place depuis
longtemps d�j� des r�gles �thiques pour � la fois soigner les malades et
diffuser les donn�es scientifiques. Il a d�velopp� la m�decine dite
"factuelle" qui devrait permettre d'�viter que l'on ne puisse "balancer" des
contrev�rit�s impun�ment.
En toute humilit�, il me semble que certains journalistes ou certains de
ceux qui les courtisent devraient faire �galement ce type d'effort. Le
risque pris par ceux qui caricaturent le monde hospitalier en jouant aux
apprentis sorciers est consid�rable. Les usagers risquent de perdre
confiance dans leur syst�me hospitalier, pourtant (encore) excellent. Les
soignants risquent de perdre leur d�vouement � l'h�pital qui est toujours
vivace. Surtout, le risque le plus grand, me semble-t-il, est de transformer
les citoyens en individus passifs, assist�s, convaincus que l'on peut tout
obtenir et tout exiger sans aucune contrepartie, que l'on peut repousser les
limites de la m�decine � l'infini, sans aucun risque. Comment se fait-il que
les autoroutes soient bloqu�es par la neige pendant plusieurs heures,
hurlaient certains il y a quelques mois ? Incroyable que l'on ne puisse pas
pr�voir (donc pr�venir) les intemp�ries ! Que font l'Etat, la police, la
m�t�o... tous des rigolos ! Une sorte d'ingratitude g�n�rale est en train de
s'installer, dans un monde id�alis� o� tout devrait pouvoir �tre possible et
facile. Cela me fait tr�s peur.
Il faut que les usagers sachent que les infections hospitali�res ne
dispara�tront pas, en tout cas pas compl�tement, parce que nous vivons en
permanence avec des milliards de bact�ries sur la peau, dans le tube
digestif, dans diff�rents organes, en particulier ceux que l'on va op�rer.
Il y a plus de bact�ries en nous, ou avec nous, que nous n'avons de
cellules. Les bact�ries r�sistantes aux antibiotiques ne vivent pas que dans
l'h�pital. Elles sont simplement "s�lectionn�es" dans l'immense monde
microbien de l'homme ou de son environnement, en particulier par les
antibiotiques (la classe de m�dicaments qui a sauv� et continue de sauver le
plus de vies humaines).
Les fameux Acinetobacter, bact�ries en fait peu agressives, ne s'attaquent
qu'aux malades graves, en r�animation, dont la plupart seraient morts il y a
encore dix ans et dont certains ne survivent que gr�ce aux prouesses de la
m�decine moderne. La mortalit� des patients colonis�s par cette bact�rie est
d'ailleurs comparable � la mortalit� moyenne en r�animation.
C'est d�j� un miracle que cette cohabitation avec les microbes soit en
g�n�ral si pacifique quand on a des d�fenses contre l'infection correctes !
Vingt � trente pour cent des individus parfaitement sains portent des
staphylocoques en grand nombre sur la peau et dans le nez. La plupart des
infections apr�s chirurgie sont li�es � nos "propres" microbes. Est-ce si
extravagant, �tonnant ou honteux que parfois, rarement heureusement, et pour
des raisons que l'on ne conna�t que tr�s partiellement, quelques-uns de ces
staphylocoques puissent se retrouver dans le site op�r� et parfois y
prolif�rer ?
Il faut tout faire pour �viter cela, bien s�r, et par tous les moyens, en y
mettant toute notre �nergie, mais pas en prenant l'h�pital comme bouc
�missaire ni en essayant de dresser les usagers contre ceux qui font le plus
souvent le maximum pour soigner. Il faut mener cette lutte ensemble, le
patient �tant partenaire - pas un partenaire aveugl�, leurr� par une
information caricaturale, mais un partenaire inform� et donc exigeant,
lucide et responsable.
Il faut �tre cr�atif, ouvrir, comme le disait Guillaume Depardieu dans
l'�mission de Fogiel avec une maladresse li�e � sa r�volte, de nouvelles
voies de recherche et de r�flexion, aller vers une pr�vention "� la carte",
personnalis�e, o� les antibiotiques seraient utilis�s en prophylaxie
(pr�vention) � bon escient et surtout en fonction du risque individuel mieux
�valu� (en particulier par une sorte de cartographie des microbes port�s par
le malade avant une op�ration)...
Pour l'instant c'est encore difficile � r�aliser, mais cela sera sans doute
facilit� par les techniques modernes de d�tection rapide des bact�ries.
Cependant cela ne surviendra pas si l'on prend les usagers pour des idiots
et des assist�s, et si on leur fait croire que la science a tous les
pouvoirs, qu'ils peuvent vivre dans un monde st�rile, prot�g� et sans
risque, et avoir � la fois le beurre, l'argent du beurre et l'ingratitude.
Le docteur Jean Carlet est chef du service r�animation polyvalente � la
Fondation h�pital Saint-Joseph (Paris), pr�sident du Comit� technique
national des infections nosocomiales.
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