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L’Inde et la Chine, « Far West » du médicament générique
LE MONDE ECONOMIE | 27.07.2015 à 06h39 • Mis à jour le 27.07.2015 à 07h37
Par Chloé Hecketsweiler
Le 21 août 2015 pourrait bien marquer un tournant dans l’histoire du médicament. A cette date, 700 génériques seront retirés du marché en Europe, sur décision de l’Agence européenne du médicament. Il s’agit de molécules courantes, comme l’ibuprofène (antidouleur), l’escitalopram (antidépresseur), la desloratadine (antihistaminique), ou encore l’esoméprazole (pansement gastrique). Bien connues des patients, elles sont commercialisées par des grands noms de la pharmacie dont l’israélien Teva, le leader mondial des génériques, le suisse Sandoz, et l’américain Mylan. Et pourtant, toutes ont reçu l’autorisation d’être commercialisées sur la base d’essais cliniques dont la qualité est aujourd’hui remise en cause.
Le lièvre a été levé il y a un an par les inspecteurs de l’Agence française du médicament (ANSM) lors d’une tournée de routine à Hyderabad, en Inde. En épluchant les registres de GVK, une société qui réalise des essais cliniques pour le compte de nombreux laboratoires, ils ont découvert que les électrocardiogrammes inclus dans les études conduites entre 2008 et 2014 avaient été manipulés. Pour les patients qui ont consommé les médicaments concernés, cela n’a pas changé grand-chose – selon les autorités, rien n’indique qu’ils présentent un risque pour la santé – mais l’affaire n’en est pas moins grave, car elle révèle l’ampleur de ce qui nous échappe.Dépendance inquiétanteDans l’univers du générique, seul le prix compte et pour économiser quelques centimes sur le prix d’une boîte, les Indiens et les Chinois sont imbattables. En quelques décennies, leurs sous-traitants sont devenus les petites mains indispensables des grands noms de la pharmacie mondiale. Ils ont l’obligation de les contrôler, mais qu’en est-il vraiment ?
GVK n’est pas un cas isolé : au début du mois, l’Organisation mondiale de la santé a mis en cause une autre société indienne, Quest Life Sciences, qui avait truqué les deux tiers des électrocardiogrammes inclus dans ses essais cliniques. Dans les usines, la situation n’est guère plus rassurante. Au cours des deux années passées, la Direction européenne de la qualité du médicament, a épinglé quarante fabricants de médicaments dont les usines ne correspondaient pas aux normes : douze se situent en Inde et treize en Chine.En s’aventurant dans ce « Far West » du médicament les laboratoires ont permis aux systèmes de santé de réaliser des milliards d’économies. Mais ils nous ont aussi condamnés à une dépendance inquiétante. En France, l’arbitrage de l’Agence européenne du médicament ne se traduira pas par des pénuries dans les pharmacies mais dans d’autres pays où les génériques concernés sont davantage consommés, cela risque de poser problème.
Alors que 80 % des poudres chimiques utilisées pour formuler les médicaments les plus courants viennent de Chine et d’Inde, l’Europe n’a pas de plan B : c’est ça ou rien. Au-delà des questions de qualité, cette dépendance pourrait se payer très cher en cas de pénurie mondiale. Le dernier site de fabrication européen de paracétamol, situé en France, a été fermé en 2008 par Rhodia.