Médicaments : la qualité en question
Le Monde.fr | 19.12.2014 à 11h48 Mis à jour le 19.12.2014 à 11h51 | Par
Chloé Hecketsweiler
http://lemonde.fr/economie/article/2014/12/19/medicaments-la-qualite-en-question_4543766_3234.html
Il sagit de médicaments courants : antalgiques, antidépresseurs,
antihistaminiques, antihypertenseurs ou encore anti-inflammatoires. Au
total, 25 génériques de marques aussi connues que Doliprane, Aerius,
Seroplex ou Vastarel ont perdu, jeudi 18 décembre, leur autorisation de
mise sur le marché (AMM) en France.
Lors dune inspection de routine sur le site de la société GVK à
Hyderabad, en Inde, les inspecteurs de lAgence française du médicament
(ANSM) ont découvert des « irrégularités » dans les électrocardiogrammes
réalisés au cours dessais cliniques conduits entre 2008 et 2014. Ces
tests avaient pour objectif de démontrer la « bioéquivalence » des
médicaments aujourdhui retirés de la vente, cest-à-dire leur parfaite
similitude avec loriginal.
La décision de lANSM sonne comme un sérieux rappel à lordre pour les
géants du générique qui commercialisent ces molécules : lisraélien Teva,
numéro un mondial, les américains Abbott et Mylan, ou encore Arrow qui
appartient à un groupe pharmaceutique indien. Tous doivent conduire des
audits chez leurs sous-traitants, et pourtant ils ny ont vu que du feu.
Avant dêtre retirés du marché, ces 25 médicaments ciblés par lagence ont
été consommés par les patients européens. Avec quelles conséquences ? « La
question sest posée, mais aucun élément na conduit à établir un risque
avéré pour la santé humaine de ces médicaments », estime Gaëtan Rudant,
directeur de linspection à lANSM. La décision dinterdire la
commercialisation dun médicament est dautant plus délicate, quelle peut
très vite se traduire par des ruptures de stocks en labsence
dalternative. « Nous devons peser les risques et les bénéfices. Les 25
génériques visés sont peu consommés en France, et il y a des alternatives.
En Allemagne, où ils ont aussi été interdits, la situation est plus
compliquée, car le risque de rupture est réel. »
Lillusion de la traçabilité
Laffaire illustre toute la difficulté de contrôler la qualité des
médicaments. « On ne sait plus très bien qui fait quoi », souligne Alain
Astier, chef du service pharmaceutique du groupe hospitalier Henri-Mondor.
« Le laboratoire qui commercialise sous sa marque un médicament nest pas
forcément celui qui le fabrique. Celui-ci recourt souvent à une cascade de
sous-traitants. Et au bout de la chaîne, on trouve un nombre limité
dusines, souvent asiatiques, qui fournissent tout le monde en principes
actifs », poursuit-il. Selon lui, la traçabilité est devenue une illusion
dans ce maquis. Dautant que les agences de santé nont pas les moyens
davoir lil sur tout.
En Europe, elles ont uni leur force, sous la houlette de la Direction
européenne de la qualité du médicament (DEQM). Cette organisation, qui
dépend du Conseil de lEurope, délivre à chaque médicament commercialisé
en Europe un certificat, conditionné au respect de « bonnes pratiques ».
Depuis 1999, elle est dotée dune petite équipe de quatre inspecteurs qui
contrôlent une cinquantaine de sites chaque année, en plus de ceux
inspectés par les agences nationales (lANSM compte une cellule de 8
inspecteurs dévolus aux sites hors dEurope) et selon un planning décidé
en commun.
« Environ 20 % des sites que nous jugeons à risque et que nous contrôlons
savèrent non conformes », estime le docteur Susanne Keitel, directrice de
la DEQM. Exemple : ce fabricant asiatique de pénicillines dont les lignes
de production nétaient pas bien séparées, avec un risque important que
les différentes substances se mélangent.
Depuis 2011, lorganisation a ainsi dû retirer leur certificat à deux
fabricants chinois de diclofénac (lanti-inflammatoire le plus consommé en
France) à un compatriote spécialisé dans le paracétamol, à un producteur
indien de metformine (lantidiabétique le plus courant), et à un fabricant
damoxicilline (un antibiotique très prescrit) situé à Bombay. La liste
exhaustive comprend une bonne partie des « stars » des armoires à
pharmacie françaises.
Des usines mal entretenues
Derrière ces décisions se cachent différents problèmes : usines mal
entretenues, contrôles qualité insuffisants, falsification des données,
dosages aléatoires. « On peut trouver des écarts de 10 % à 20 % par
rapport au dosage standard, quand le maximum autorisé est de 5 % »,
témoigne un inspecteur qui préfère rester anonyme. « On tombe aussi
régulièrement sur des données maquillées, ajoute-t-il. Pas toujours par
malveillance, mais parce que nos exigences ne sont pas toujours bien
comprises et quune erreur dans un registre, cela fait tache. La gommer,
cest un moyen de sauver la face. »
« Indéniablement, la délocalisation de la production sest faite au prix
de la qualité », poursuit cet inspecteur. Au point que les industriels
eux-mêmes commenceraient à avoir quelques regrets. « Les laboratoires
réfléchissent à la façon de rapatrier certaines productions en Europe »,
assure Susanne Keitel. Sébastien Aguettant, qui dirige Delpharm, un
sous-traitant français, se bat lui pour la création dun label « made in
Europe », afin de mieux informer les patients et de valoriser le
savoir-faire des fabricants.
Au-delà de la qualité, cest pour lui une question de souveraineté.
Aujourdhui, 80 % des poudres chimiques utilisées pour formuler les
médicaments les plus courants viennent de Chine et dInde. Une dépendance
qui peut poser problème. « Lorsque le virus de la grippe H1N1 est arrivé
en France, le gouvernement nous a demandé si nous pouvions produire
davantage de paracétamol. Nous navions pas assez de stocks, et il ny a
plus que deux usines dans le monde qui fabriquent du paracétamol, lune en
Chine et lautre aux Etats-Unis, indique le chef dentreprise. Les
Américains ont tout fait pour garder une usine. » Le dernier site européen
de paracétamol, situé en France, a été fermé en 2008 par Rhodia.
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