[e-med] L’inquiétant succès de l’OxyContin, puissant antalgique opiacé

L’inquiétant succès de l’OxyContin, puissant antalgique opiacé
Premier accusé dans la crise américaine, celui qui a longtemps fait figure de traitement miracle, a connu une croissance impressionnante en France.
LE MONDE | 15.10.2018 à 18h27 |Par Pascale Santi et Nathaniel Herzberg
https://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/15/l-inquietant-succes-de-l-oxycontin-puissant-antalgique-opiace_5369758_1650684.html

Aux Etats-Unis, l’OxyContin° a longtemps fait figure de traitement miracle. Lancé en 1995 à grand renfort de publicité, ce puissant antalgique opiacé présentait deux qualités, assurait son fabricant, le laboratoire Purdue : il soulageait la douleur en continu – d’où son nom – et ne présentait que peu d’effets secondaires. C’était avant l’épidémie d’overdoses d’opioïdes qui, depuis près de quinze ans, frappe les Etats-Unis avec une vigueur toujours croissante.

Aujourd’hui, le laboratoire concentre, plus qu’aucun autre, les foudres de l’administration américaine. Chaque mois ou presque une nouvelle plainte est déposée contre lui. En septembre, le Colorado a rejoint la vingtaine d’Etats et de grandes villes américaines qui poursuivent l’entreprise américaine pour avoir omis d’indiquer aux patients les risques d’addiction à ce médicament. En 2007, déjà, trois de ses responsables avaient plaidé coupable de désinformation devant une cour fédérale. L’entreprise dut régler 600 millions de dollars d’amendes et de dommages, un quasi-record dans ce type d’affaires. Des plaintes déposées par le Kentucky et la Virginie-Occidentale se sont soldées par des arrangements de 24 millions et 10 millions de dollars. Ce qui n’a pas empêché le laboratoire de poursuivre ses activités et d’attaquer les marchés mondiaux avec des méthodes marketing particulièrement agressives.

Une enquête est ainsi en cours en Italie. En mai 2017, dix-sept personnes, parmi lesquels des responsables de Mundipharma, la branche européenne de Purdue, mais aussi du laboratoire concurrent Grünenthal (qui commercialise le Tramadol) ont été interpellées. Depuis, 70 personnes ont été mises en examen dans cette affaire de corruption. La justice les soupçonne d’avoir monté un système d’influence afin de favoriser leur laboratoire dans les décisions de mise à disposition, par les autorités publiques, des antalgiques.

Technique du salamiArrivé en France en 2000, Mundipharma a commencé par racheter le petit laboratoire Belamont, spécialisé dans l’anesthésie-réanimation. Puis l’entreprise a lancé OxyContin en ciblant d’abord le milieu hospitalier. Lors d’une conférence de presse, en 2001, son directeur général, André Abric, expose sa stratégie : « Si nous sentons au bout de quelques mois que le produit est bien en main chez les spécialistes de la douleur cancéreuse, nous nous dirigerons vers les spécialistes de la médecine générale. (…)Nous avons l’intention de nous appuyer sur les spécialistes de la douleur. » Il vise alors 15 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les cinq ans. Pari gagné. Le laboratoire affichait en 2017 un chiffre d’affaires de 57 millions d’euros avec la dizaine de déclinaisons de son produit. « C’est la technique du salami, commente Jean-Michel Delile, président de la Fédération addiction. C’est chaque fois l’occasion d’une nouvelle campagne de pub auprès des médecins. »

Il faut dire que les indications n’ont cessé de s’étendre. Réservé d’abord aux douleurs cancéreuses, le produit a vu, en 2010, son autorisation de mise sur le marché élargie à diverses douleurs aiguës. Mais devait-on aussi étendre les remboursements ? En 2012, la Haute Autorité de la santé (HAS) souligne, dans son avis, que les douleurs neuropathiques (liées à une lésion du système somato-sensoriel) « réagissent de façon imprévisible à un traitement opioïde ». « Il existe des alternatives thérapeutiques », écrit-elle encore. Quant aux douleurs aiguës sévères, seules les situations post-opératoires sont examinées. Pourtant, dans les deux cas la HAS rend un avis favorable.

Insuffisant pour le laboratoire et la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) qui souhaitaient alors inclure dans les indications certaines douleurs chroniques. Deux ans plus tard, nouvel examen de la HAS. La commission juge à nouveau le rapport efficacité/effets indésirable « modeste » dans les douleurs « intenses ou rebelles » rencontrées dans l’arthrose du genou ou de la hanche ou dans la lombalgie chronique. Mais tout en insistant sur les risques encourus et les précautions à prendre, la HAS donne son feu vert comme « traitement de dernier recours » dans ces trois situations.

Depuis 2004, les différentes spécialités d’oxycodone du laboratoire Mundipharma ont connu une augmentation de 1 950 % en France. La part de ces produits parmi les utilisateurs d’opioïdes forts est passée de 3 % à 34 %. Pour l’addictologue Nicolas Authier, président de la commission stupéfiant de l’Anses, cette explosion, au vu de l’expérience américaine, constitue « sans doute le signe le plus inquiétant dans le tableau actuel ».

Lire aussi : L’addiction aux opiacés, première cause de mort par overdose en France
https://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/15/mort-par-overdoses-d-opioides-la-france-aussi_5369749_1650684.html