[voir aussi l'émission "Complément d'enquête" sur le sujet
http://www.dailymotion.com/video/x44aad_zyprexa-danger_tech CB]
Le Zyprexa°(Olanzapine) devrait être retiré du marché
lundi 18 avril 2011
par Sylvie Simon
http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article16462
En décembre 2010, L'Express avait répertorié 10 médicaments à retirer d'urgence
du marché, dont le Zyprexa®. Ce psychotrope, commercialisé en France depuis
1999, est utilisé contre la schizophrénie et la dépression. Son principe
actif est l'olanzapine. Déjà prescrit à 20 millions de malades, ce
médicament qui est, de loin, le plus rentable du laboratoire Eli Lilly, est
toujours en vente et remboursé à 65 %, alors que la boite de 28 comprimés de
10 mg coûte 116,94 euros.
Pendant plusieurs années, Eli Lilly a fourni aux médecins des informations
sur son médicament vedette qui ne correspondaient guère aux résultats
internes mis à jour par la firme lorsqu'elle procéda aux premiers essais
cliniques du produit. Mais, le 21 décembre 2006, le New York Times a publié
des informations concernant les agissements du laboratoire Eli Lilly,
révélant les manigances de l'industrie pharmaceutique. Les documents publiés
par ce journal lui ont été fournis par James B. Gottstein, un avocat
canadien représentant les familles de plusieurs malades mentaux qui
attaquaient l'État de l'Alaska pour avoir forcé ces patients à prendre des
médicaments psychiatriques contre leur gré. L'avocat tenait ces documents d'une
personne impliquée dans le procès et il n'était pas soumis à la règle de
confidentialité qui couvre les poursuites judiciaires. D'après ces dossiers
internes de la firme, les dirigeants du laboratoire ont caché aux médecins d'importantes
informations concernant 30 % des patients traités par ce médicament qui ont
très rapidement pris du poids dès la première année. Cette augmentation a
été de 11 kg en moyenne, mais, chez certains malades, elle a atteint jusqu'à
50 kg. Il faut savoir que la plupart des psychotropes actuellement sur le
marché engendrent ce type d'effet indésirable, et l'Afssaps (Agence
française de sécurité sanitaire des produits de santé) considère ce gain de
poids comme « très commun et supérieur à 10 % ». Cependant, cette
augmentation est accompagnée de risques de diabète que la firme
pharmaceutique a toujours essayé d'occulter, persistant à nier tout lien de
causalité entre la prise de Zyprexa® et la survenue d'un diabète.
Dès 1996, nombre de critiques, particulièrement celles de L'Association
américaine des diabétiques, ont signalé que ce médicament était plus apte à
provoquer le diabète que les autres drogues conseillées pour la
schizophrénie. En 2000, un groupe de médecins sélectionnés par la firme l'avait
prévenue que la situation « pourrait devenir plus sérieuse que nous le
pensons ». Mais, malgré l'évidence, Eli Lilly a toujours contesté ces faits,
sous le fallacieux prétexte que les documents ont été retirés de leur
contexte, alors qu'ils démontrent indéniablement que, depuis 1999, le
laboratoire s'inquiète de ces effets secondaires, non par rapport aux
malades mais aux ventes qui pourraient se réduire. Comme le Dr Alan Breier,
directeur médical de la firme, l'écrivait en novembre 1999 dans un courrier
Internet à deux douzaines d'employés de la maison : « Le gain de poids et l'hyperglycémie
associés à l'olanzapine sont des menaces majeures au succès à long terme de
cette molécule d'une importance capitale. » Il est évident que « l'importance
» de cette molécule ne concernait que les finances « à long terme » de la
firme pharmaceutique. Et, d'après le document, en 2001, les services
commerciaux du laboratoire ont avoué que les psychiatres ne cessaient de
répéter que la plupart de leurs patients qui prenaient du Zyprexa®
courraient plus de risques d'avoir du diabète que ceux qui utilisaient d'autres
médicaments antipsychotiques.
Eli Lilly a demandé qu'on lui rende ces documents, tout en déclarant qu'il
lui était impossible de les commenter. Cette affaire rappelle ce qui s'est
passé avec le Vioxx®, dont Merck a arrêté les ventes en 2004 après la
publication d'études montrant que ce produit engendrait des problèmes
cardiaques. Ces deux produits étaient considérés comme moins dangereux que
les médicaments plus anciens et meilleur marché, tous deux sont devenus les
best-sellers des laboratoires, mais tous deux ont généré des effets très
sérieux. Sous la pression des médecins et prescripteurs, Merck a conduit ses
propres essais sur les risques du Vioxx®, alors que Eli Lilly n'a jamais
procédé à ce genre d'étude pour déterminer les risques de diabète avec le
Zyprexa®. Mais les scientifiques estiment qu'un tel travail serait difficile
car le diabète met plusieurs années avant de se manifester, et il serait
pénible d'enrôler des patients psychiquement fragiles dans des essais trop
longs. Toutefois, nombre de médecins ont témoigné des accidents constatés à
cause de ce produit. Ainsi, un médecin californien a rapporté que sur ses 35
patients soumis à cette drogue, 8 d'entre eux ont vu le taux de sucre monter
dans leur sang et 2 ont dû être hospitalisés.
Des milliers de procédures en cours
En 2005, Eli Lilly a accepté de payer 750 millions de dollars de
dédommagements à 8 000 malades plaignants, mais des milliers d'autres
procédures sont en cours. Le 18 décembre, Eli Lilly répétait que le Zyprexa®
reste un médicament majeur dans le traitement de la schizophrénie et
déplorait « la diffusion illicite de documents confidentiels ». Malgré cette
« illégalité », le laboratoire ne souhaitait pas poursuivre le journaliste
ou le directeur de la publication du New York Times. On le comprend car sa
position n'aurait pu qu'en être aggravée. Il affirmait alors avoir fourni à
la FDA (Food and Drug Administration) toutes ses études sur les essais
cliniques et les rapports d'effets adverses du médicament. Mais il
persistait à affirmer qu'il n'existe aucune évidence scientifique que le
Zyprexa® puisse causer le diabète et que ces documents n'auraient pas dû
être publiés car cela pourrait effrayer les patients qui risqueraient alors
de ne plus prendre leur médicament, comme ce fut le cas pour le Vioxx® Les
documents publiés par le journal américain comprennent les e-mails, le
matériel publicitaire, les perspectives de ventes et les rapports
scientifiques, mais ils montrent également le souci constant du laboratoire
que « les interrogations sur le diabète et l'obésité ne fassent souffrir les
ventes de Zyprexa® ». Basé à Indianapolis, le laboratoire Eli Lilly est le
sixième grand fabricant américain de médicaments. L'an dernier, son revenu
était de 14 milliards de dollars. Les ventes sont devenues plus difficiles
lorsque les médecins se sont aperçus des réactions pernicieuses. Aussi, en
2002, Eli Lilly rejeta le projet d'informer les psychiatres au sujet du
diabète afin de ne pas ternir la réputation du Zyprexa®. Le laboratoire
étendit alors son marché auprès des généralistes, moins avertis des effets
secondaires du produit. Il encouragea ses représentants à décrire ce
médicament comme un psychotrope « sûr, doux, parfait pour ceux qui ont des
maladies mentales sans gravité ».
Selon certains psychiatres le Zyprexa® devrait continuer à être utilisé
malgré ses effets nocifs car il est plus efficace que ses concurrents chez
les patients gravement atteints, alors que pour d'autres confrères, le
produit n'est pas plus efficace que les médicaments courants. Il serait
intéressant de connaître les liens entre certains psychiatres et le
laboratoire. En 2003, après avoir passé en revue les travaux interne de la
firme, le FDA a déclaré que ces effets secondaires n'étaient pas spécifiques
du Zyprexa®, et qu'on n'avait pas de preuve que ce médicament était
responsable du diabète. Eli Lilly a également été accusé d'avoir
illégalement étendu l'usage du médicament depuis l'automne 2000. En effet,
une campagne bien organisée, baptisée « Viva Zyprexa », intimait aux
représentants médicaux d'influencer les médecins pour prescrire le Zyprexa®
aux patients âgés ayant des symptômes de démence. Il fallait bien rattraper
le manque à gagner ! Or la Food and Drug Administration n'a jamais autorisé
le Zyprexa® dans les cas de démence et a même averti les médecins « qu'il
accroît le risque de décès chez les patients » en question. Le 5 janvier
2007, Eli Lilly a accepté de payer plus de 500 millions pour arrêter 18 000
procès en cours, sans compter les indemnités déjà octroyées à des dizaines
de milliers de victimes, mais cet arrangement ne met pas fin aux poursuites
des avocats et procureurs fédéraux. Parmi les autres effets secondaires, on
trouve des cas de vertige, somnolence, dyspepsie, constipation, asthénie,
tremblement, hypotension posturale et même des cas, rares tout de même, de
priapisme et de leucopénie. D'après la compagnie, 1 200 procès sont encore
en attente. Tarra Ryker, porte-parole de Eli Lilly a signalé que ces
affaires n'ont pas encore été réglées pour « diverses raisons ». Les actions
de Eli Lilly qui étaient tombées après l'annonce de ces règlements sont
remontées très rapidement à 52,36 dollars.
Dominique Amory, qui dirige la filiale française, affirme avec superbe que
« jamais Eli Lilly ne s'est engagé dans une promotion hors autorisation ».
Doit-on en déduire que ce laboratoire est au-dessus de tout soupçon ?
Sûrement pas lorsqu'on connaît le nombre d'experts de la FDA qui ont de très
importants intérêts financiers dans la compagnie, les milliers de procès qui
lui sont intentés par les victimes du Prozac®, médicament fabriqué par ce
laboratoire, et la protection dont il jouit grâce à la famille Bush qui
entretient des liens étroits avec lui. En mars 2007, lorsque j'avais publié
dans le journal Votre Santé un article intitulé « Le Zyprexa® sera-t-il mis
en examen ? », ce dernier m'avait valu une réponse personnelle de Dominique
Amory, qui dirige la filiale française du laboratoire Eli Lilly. Pour lui,
la première valeur de Eli Lilly est « le respect des autres ». Dans sa
lettre adressée à Votre Santé, il répondait à mes accusations en affirmant
que son groupe avait toujours respecté les règles de transparence vis-à-vis
du monde médical, et il me reprochait mon « récit biaisé des faits » et les
suspicions dont je faisais état, qui « pouvaient susciter la crainte des
patients voire conduire certains d'entre eux à interrompre voire à
abandonner leur traitement avec tous les risques pourtant bien établis que
cela implique. » En fin de lettre, il disait espérer que je tiendrais compte
de ces éléments à l'occasion d'une prochaine analyse.
À l'époque, j'ai préféré ignorer une telle lettre car j'estimais que ce
monsieur connaissait, aussi bien que moi-même, les graves suspicions qui
entouraient ce produit, puisque, depuis 2005, Eli Lilly avait déjà accepté
de payer plus d'un milliard et deux cents millions de dollars à quelque 28
500 personnes, victimes de diabète ou diverses pathologies après la prise de
ce médicament, et que des milliers d'autres procédures sont en cours. Il
savait également qu'en 2002, la firme avait rejeté le projet d'informer les
psychiatres au sujet du diabète afin de ne pas ternir la réputation du
Zyprexa® et qu'elle était accusée d'avoir illégalement étendu l'usage du
médicament auprès des généralistes, encourageant ses représentants à décrire
ce médicament comme un psychotrope « sûr, doux, parfait pour ceux qui ont
des maladies mentales sans gravité ». Il savait aussi que les visiteurs
médicaux avaient reçu l'ordre d'influencer les médecins pour prescrire le
Zyprexa® aux patients âgés ayant des symptômes de démence, alors que la Food
and Drug Administration n'a jamais autorisé le Zyprexa® dans les cas de
démence et a même averti les médecins « qu'il accroît le risque de décès
chez les patients » en question. Or, le directeur de la filiale française n'a
pas hésité à écrire : « l'ensemble de nos collaborateurs sont tenus de
respecter, à travers la charte de la visite médicale, les bonnes pratiques
de promotion favorisant le bon usage du médicament ». Est-ce que le fait d'influencer
les médecins pour prescrire le Zyprexa® à des patients chez lesquels il
accroît le risque de décès et sans l'autorisation de la FDA, pourtant
laxiste sur le sujet, relève des « bonnes pratiques » et du « respect
scrupuleux d'une éthique médicale dans ses relations avec les professionnels
de la santé », dont se targue l'auteur de cette lettre ?
Je n'ai donc pas répondu alors, mais le 31 janvier 2008, dans sa Newsletter,
FiercePharma, association américaine qui dénonce les scandales de la santé
publique, répondait pour moi en avertissant ses lecteurs : « Si les remords
sont proportionnels aux sommes que vous pouvez accepter de payer pour
absoudre vos fautes, alors Eli Lilly doit se sentir très coupable au sujet
de son produit le Zyprexa®. » Et à l'instar de FiercePharma, le New York
Times du même jour nous rappelait que la compagnie était accusée d'avoir
incité les médecins à prescrire ce médicament aux patients atteints de
démence ou seulement déprimés, alors qu'il n'était agréé que pour les cas de
schizophrénie et de troubles bipolaires graves. Les deux médias confirmaient
que le laboratoire et les parties civiles qui l'attaquent essaient de
trouver un accord pour arrêter les enquêtes gouvernementales et fédérales
sur la commercialisation de ce produit. Peu de temps après, tout le monde
pouvait voir une vidéo dans laquelle Shahram Ahari, un ancien visiteur
médical d'Eli Lilly, qui dévoilait le « cynisme absolu » et les « combines »
d'Eli Lilly pour influencer les médecins et ajoutait qu'il n'avait aucun mal
à reconnaître dans la rue des patients psychotiques traités par le Zyprexa®.
« Quant aux études médicales et aux fameuses statistiques censées fonder
scientifiquement la publicité des firmes, elles sont comme les prisonniers.
Il suffit de les torturer assez longtemps pour leur faire dire tout ce qu'on
veut qu'elles disent ». D'autres anciens visiteurs médicaux ont dévoilé les
techniques utilisées pour influencer et manipuler les médecins et pour créer
un terrain accueillant en les « intéressant » par des voyages, des repas,
des cadeaux, des échantillons et toutes sortes de gadgets que les visiteurs
médicaux tiennent à la disposition de « ces grands enfants innocents que
sont les médecins, émerveillés par ce qu'on leur offre et ne pouvant pas
résister à la tentation... » C'est alors que j'ai décidé d'envoyer une
lettre ouverte à Monsieur Amory par le biais du journal Votre Santé, et
cette fois, il n'a pas répondu. Enfin, le 17 juillet 2008, le juge
new-yorkais Jack Weinstein, en charge du recours collectif contre Eli Lilly
pour les effets indésirables du Zyprexa®, a violemment accusé les instances
publiques de régulation, les autorités sanitaires et particulièrement la
FDA, qui ont « laissé faire Eli Lilly et n'ont pas pris les mesures
nécessaires afin que les informations disponibles sur l'efficacité et les
dangers pharmacologiques du produit parviennent rapidement aux médecins
prescripteurs ».
Aurons-nous un jour en France un juge qui accusera le laxisme des autorités
françaises qui persistent à autoriser un médicament dont l'efficacité est
contestable, les effets secondaires indiscutables et le prix exorbitant, et
dont la renommée est basée sur des mensonges. Pour cela il faudra découvrir
les victimes françaises du Zyprexa® qui, selon nos bonnes habitudes, n'existent
même pas puisqu'elles ne connaissent pas leur prédateur et ne peuvent donc
obtenir justice. Si aucun intérêt financier n'est en jeu, il nous reste à
penser que nos autorités sanitaires ne lisent rien d'autre que Le Quotidien
du médecin, ignorent totalement ce qui se passe hors de l'hexagone, et ont
perdu tout sens critique. Cependant, tout s'explique lorsqu'on apprend que
le Zyprexa® est, de loin, le médicament le plus rentable du laboratoire. Ses
ventes, qui représentent 28 % de son chiffre d'affaires, s'élevaient à 5
milliards de dollars en 2010. On comprend pourquoi la firme s'acharne à
défendre son produit et se permet de payer de telles sommes pour le
blanchir.
Sylvie Simon