[e-med] « L'Impact minime d'une grande étude dans l'hypertension »

« L’Impact minime d’une grande étude dans l’hypertension » - The New York
Times – Par Andrew Pollack
Titre original : “The Minimal Impact of a Big Hypertension Study” - Edition
papier du 28/11/2008

Traduit de l’anglais par François PESTY http://puppem.com pour le Formindep
http://www.formindep.org
Lien vers l’article original :
http://www.nytimes.com/2008/11/28/business/28govtest.html?th&emc=th

En décembre 2002, la surprenante nouvelle avait fait la une de l’actualité.
De vulgaires pilules de génériques utilisées dans l’hypertension artérielle
depuis les années 1950 et qui ne coûtaient que quelques centimes par jour,
marchaient mieux que des médicaments nouveaux jusqu’à vingt fois plus chers.

Les résultats obtenus dans l’un des plus grands essais cliniques organisés
par le gouvernement fédéral des Etats-Unis d’Amérique, promettaient de faire
économiser des milliards de dollars en traitant plusieurs dizaines de
millions d’américains hypertendus – Même si ses conclusions semblaient à
même de menacer les géants pharmaceutiques comme Pfizer qui gagnaient
beaucoup d’argent avec leurs antihypertenseurs vedettes.

Malgré tout, six années plus tard, l’utilisation de ces pilules bon marché,
appelées « diurétiques », est de très loin inférieure à ce que les
organisateurs de l’étude avaient espéré.
« Cela aurait dû plus que doubler », dit le Dr Curt D. Furberg, professeur
de santé publique à l’université de Wake Forest, qui fût le premier
président du comité de suivi de cet essai, connu sous l’acronyme « ALLHAT ».
« L’impact a été décevant ».

Selon certaines études, le pourcentage de patients hypertendus recevant un
diurétique était monté à 40 % un an après l’annonce des résultats d’ALLHAT,
en hausse sur les 30 à 35% qui prévalaient avant. Mais l’utilisation des
diurétiques est resté stable depuis. Et surtout, depuis 2002, l’utilisation
des nouveaux antihypertenseurs a crû beaucoup plus vite que celle des
diurétiques, selon un administrateur de MEDCO (tiers payant pour les
médicaments aux USA).

Il est utile de tirer de nouveau les leçons de l’essai ALLHAT, alors que
certains conseillers politiques et officiels du gouvernement appellent à
davantage d’études comparant directement entre eux les médicaments ou autres
types de traitements, dans le but de contenir la fuite en avant des dépenses
médicales et d’améliorer la qualité des soins.

Le peu d’impact de l’essai démontre à quel point il est difficile de
modifier la pratique médicale, même après un essai ayant coûté 130 millions
de dollars, mené par les pouvoirs publics, et qui a fourni ce qu’il convient
d’appeler des preuves robustes.

Plusieurs facteurs ont contribué à émousser l’impact de l’étude ALLHAT.

Une première difficulté avait été tout simplement de convaincre les médecins
de changer leurs habitudes.

Une autre a concerné une discorde scientifique puisque de nombreux experts
hospitalo-universitaires ont critiqué la conception de l’étude et
l’interprétation des résultats qu’en faisait le gouvernement.

De surcroît, les firmes pharmaceutiques ont riposté en intensifiant l’effort
promotionnel sur leurs antihypertenseurs coûteux. « Les industriels du
médicament se sont tous ligués et ont attaqué en discréditant les résultats
» selon le Dr Curt D. Furberg, Professeur de santé publique à l’université
de Wake Forest et ancien président du comité de suivi de l’essai.
« Nous avions le sentiment que la dimension politico-économique était au
moins aussi importante que la dimension scientifique » déclare le Dr Michael
Weber, Professeur de médecine au Health Science Center de Brooklyn et
investigateur de l’étude ALLHAT.
Dans certains cas, elles ont été jusqu’à payer des conférenciers pour
intervenir en public et commenter les résultats de l’essai ALLHAT dans un
sens plus favorable à leurs produits.
« Les industriels du médicament se sont tous ligués et ont attaqué en
discréditant les résultats » déclarait le Dr Furberg.
Au bout du compte, il a démissionné par frustration de son poste de
président du comité de suivi de l’essai, un groupe d’expert qui continue de
superviser l’analyse des données produites par l’étude.
L’un des membres de ce comité à reçu de Pfizer 200 000 US dollars,
essentiellement en honoraires de conférences l’année suivant la publication
des résultats d’ALLHAT.

Un autre facteur a joué : Les thérapeutiques évoluent. Même avant que
l’étude ALLHAT ne soit terminée, et évidemment après, sont apparus de
nouveaux médicaments. Dans le même temps les génériques d’autres médicaments
sont devenus disponibles, réduisant l’avantage économique des diurétiques.
Et beaucoup de médecins se sont orientés vers la prescription de deux ou
plusieurs médicaments, aidés par les firmes pharmaceutiques qui offraient
des associations fixes incluant deux principes actifs dans une même
présentation.

Tant et si bien que la principale question posée par ALLHAT, à savoir - quel
médicament prescrire en première intention ? – « n’était plus d’actualité et
n’avait pas beaucoup d’importance pour la pratique clinique », comme l’a
déclaré le Dr John M. Flack, doyen de la faculté de médecine à la Wayne
State University (Détroit, Michigan), qui n’avait pas participé à l’étude,
mais a conseillé des laboratoires pharmaceutiques.

Le Dr Sean Tunis, ancien directeur médical de MEDICARE, reste un adepte des
études comparatives sur l’efficacité des médicaments. Mais, comme l’a bien
montré ALLHAT, « Elles sont difficiles à mener, coûteuses à mettre en place
et provoquent un tas de réactions politiques », déclare le Dr Tunis, qui
dirige à présent une organisation non lucrative dont la vocation est de
bâtir ce type d’essais ; « Ne croyez-pas qu’il ne s’agisse que de science et
qu’il n’y ait pas de politique là-dessous », rappelle-t-il.

Des médicaments coûteux
En promettant de mieux traiter l’hypertension artérielle, les firmes
pharmaceutiques ont introduit dans les années 1980 plusieurs classes de
médicaments, parmi elles celles connues sous le nom d’inhibiteurs calciques
et d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC).
Bien qu’il n’y avait aucune preuve de la supériorité de ces nouveaux
médicaments, les diurétiques ont vu leur part dans les prescriptions chuter
de 56% en 1982 à 27% en 1992. L’utilisation de traitements plus chers a
augmenté de 3,1 milliards de dollars les dépenses médicales sur la période.
Évolution des ventes d’antihypertenseurs après ALLHAT

En 2002 les résultats de l’étude ALLHAT ont été communiqués. L’étude avait
conclu que les diurétiques étaient moins chers, plus sûrs, et aussi
efficaces dans l’hypertension, que d’autres médicaments alors sur le marché.
Mais après un sursaut en 2003, leur part de prescription stagne et baisse
légèrement en 2007.
De telle sorte que l’Institut National du Coeur, des Poumons et du Sang, qui
fait partie de l’Institut National de la Santé (NIH), décida de comparer la
capacité des différents médicaments à prévenir les crises cardiaques, les
accidents vasculaires cérébraux et autres problèmes cardiovasculaires. «
C’était une affaire de gros sous » a expliqué le Dr Jeffrey Cutler,
directeur de projet pour cette étude à l’Institut. ALLHAT, un acronyme pour
« étude de prévention des crises cardiaques par traitements
antihypertenseurs et hypolipémiants », débuta en 1994 par l’inclusion de
patients hypertendus, d’âge supérieur ou égale à 55 ans, avec plus de 42 000
participants prévus.

Les patients étaient tirés au sort pour recevoir l’un des quatre traitements
suivants : Un diurétique appelé chlortalidone ; un IEC, le lisinopril,
commercialisé sous le nom de marque de Zestril® par AstraZeneca ; un
inhibiteur calcique, l’amlodipine, vendue par Pfizer sous le nom de Norvasc®
(Amlor® en France) ; et un alpha-bloquant, la doxazosine commercialisée par
Pfizer sous le nom de Cardura® (Zoxan® en France).
Cardura® n’avait été rajouté à l’étude qu’après que Pfizer qui contribuait
déjà au financement de l’étude pour un montant de 20 millions de dollars,
ait accepté d’augmenter sa participation à 40 millions, dit le Dr Cutler.

Des troubles précoces
Pfizer avait misé sur Cardura®, mais ce fut une grosse erreur. Tandis que
les premières données de l’étude ALLHAT étaient compilées, les patients qui
avaient pris du Cardura® étaient près de deux fois plus souvent hospitalisés
pour défaillance cardiaque que ceux sous diurétique, une situation dans
laquelle le coeur ne peut plus pomper efficacement le sang. Préoccupé,
l’Institut du Coeur annonça en mars 2000 qu’il avait arrêté d’inclure des
patients dans le groupe recevant Cardura®.

Ce qui se produisit par la suite montrait déjà à quel point la démonstration
apportée par ALLHAT n’allait pas être acceptée de tous. Plutôt que d’alerter
les médecins sur l'inadéquation de Cardura® au traitement de l’hypertension,
Pfizer fit circuler un mémo au sein de son réseau de visiteurs médicaux,
proposant des réponses toutes prêtes pour rassurer les médecins sur la
sécurité d’emploi de Cardura®, selon des documents diffusés au cours d’un
procès de patients contre la firme. Dans un courriel révélé lors de cette
même affaire judiciaire, des responsables des ventes se vantèrent auprès de
leurs collègues que des employés de l’entreprise avaient empêché des
médecins européens venus assister à un congrès américain de cardiologie,
d’assister à la conférence portant sur ALLHAT et le Cardura®. « La bonne
nouvelle » disait le message électronique, « c’était qu’ils ont été
excellents en emmenant leurs médecins- leaders d’opinion faire du tourisme
plutôt que d’écouter Curt Furberg descendre une nouvelle fois Pfizer ».

Pfizer a refusé de faire le moindre commentaire à propos de ces messages.
La Food and Drug Administration (FDA, agence américaine du médicament et de
l’alimentation), attendit un an avant de réunir des experts externes pour
discuter de la tolérance de Cardura®. A cette occasion, certains experts ont
vigoureusement contesté les conclusions des investigateurs de ALLHAT. Ils
ont soutenu que les cas de défaillance cardiaque correspondaient à des
erreurs d’interprétation et que les doses de Cardura® utilisées dans l’essai
étaient inadaptées.
A la fin de cette réunion qui avait duré toute une journée, le Dr Robert J.
Temple, responsable expérimenté de la FDA, était absolument exaspéré des
commentaires mouvants des experts sur une étude clinique supposée faire
autorité.
« C’est le plus grand et le meilleur essai pour comparer le bénéfice
clinique, et nous ne sommes pas
prêts d’en voir un autre », s’exclama-t-il. « Et vous doutez même qu’il ait
pu montrer quelque chose !».

Le comité décida qu’il n’était pas nécessaire d’émettre une alerte sanitaire
en direction des médecins et des patients au sujet de Cardura®. Les ventes
de Cardura® culminèrent en 2000. Mais l’année suivante son chiffre
d’affaires mondial chuta de 795 à 552 millions de dollars. Selon une étude,
la prescription de l’ensemble des alphabloquants diminua de 22 % entre 1999
et 2002, après avoir augmenté auparavant. La décision de Pfizer de cesser
toute promotion du Cardura® fin 2000, après la perte de son brevet,
contribua à son déclin. Mais il est clair qu’ALLHAT aussi.

L’analyse coût/bénéfice
Les principaux résultats de l’étude ALLHAT furent annoncés en décembre 2002
lors d’une conférence de presse à Washington et publiés dans le JAMA
(Journal of American Medical Association).

Sur le critère principal de l’essai – la prévention des accidents cardiaques
– les trois médicaments restant se sont montrés équivalents. Cependant, chez
les patients ayant reçu Amlor® (Norvasc® aux USA), l’inhibiteur calcique de
Pfizer, l’incidence de l’insuffisance cardiaque a été de 38 % supérieure à
celle observée chez ceux traités par diurétique. Et ceux ayant reçu l’IEC
d’AstraZeneca, Zestril°, ont vu leur risque de faire un accident vasculaire
cérébral augmenter de 15 %, et de 19 % celui de développer une défaillance
cardiaque.

De plus, le coût de traitement annuel est de 25 dollars avec le diurétique,
à comparer aux 250 dollars d’un IEC et aux 500 dollars d’un inhibiteur
calcique. De sorte que le diurétique fut déclaré vainqueur.

Mais des leaders d’opinion, spécialistes de l’hypertension, ont accusé le
gouvernement d’exagérer les faits s’agissant du diurétique, dans le seul but
de réduire les dépenses de santé.
« Nous avions le sentiment que la dimension politico-économique était au
moins aussi importante que la dimension scientifique » a déclaré le Dr
Michael Weber, Professeur de médecine au Health Science Center de Brooklyn,
Université de New York, qui avait été l’un des investigateurs de l’étude
ALLHAT, avant de devenir par la suite l’un de ses plus grands détracteurs. «
Ils ont été bien au-delà de ce que les données leur permettaient de dire ».

Les critiques prétendaient que la méthodologie de l’étude avait favorisé le
diurétique. Si le premier médicament ne permettait pas d’abaisser
suffisamment la pression artérielle, ce qui survenait dans 60% des cas, un
second médicament pouvait être associé. Mais ce second principe actif
appartenait le plus couramment à une classe donnant de meilleurs résultats
avec les diurétiques qu’avec les IEC.

Egalement, davantage de nouveaux cas de diabète avaient été observés parmi
les patients qui prenaient des diurétiques. Bien que les experts ne soient
pas tombés d’accord sur le sens à donner à cette observation.

Pour alimenter le débat, une étude australienne divulguée deux mois après
ALLHAT avait conclu à la supériorité d’un IEC sur un diurétique. Selon
certains critiques, la principale leçon à tirer d’ALLHAT était que
l’important était la baisse de la pression artérielle plus que le médicament
utilisé. Pour ces raisons et d’autres, les experts européens de
l’hypertension firent peu de cas d’ALLHAT.
Les partisans de l’étude ALLHAT ne tinrent pas compte de l’étude
australienne, la jugeant moins solide, et rejetèrent les autres critiques.

Tous ces arguments contribuèrent à tout embrouiller, selon le Dr Randall S.
Stafford de Stanford, qui a étudié les effets de l’étude ALLHAT sur les
prescriptions. « Le message, dit-il, a cessé d’être clair pour les médecins
».

La science avance

Alors que les résultats d’ALLHAT étaient révélés, le lisinopril,
l’inhibiteur de l’enzyme de conversion, fut génériqué. Cela signifiait
qu’AstraZeneca et Merck, qui commercialisait une version du même principe
actif sous le nom de Prinivil®, avaient moins d’intérêt à défendre leurs
médicaments.

Ce qui n’était pas du tout le cas de Pfizer. Amlor® était le traitement de
l’hypertension le plus vendu au monde, avec un chiffre d’affaires de 3,8
milliards de dollars en 2002, et second médicament de Pfizer derrière
l’anticholestérol Tahor® (Lipitor® aux USA).

La firme s’arrangea pour mettre l’accent sur les aspects positifs. Dans un
communiqué de presse, juste après l’annonce des résultats d’ALLHAT, elle
déclara qu’Amlor® avait obtenu des résultats « comparables au diurétique
pour les décès par maladie coronaire, par infarctus du myocarde et par
accident vasculaire cérébral ». Et dans une annonce publicitaire publiée
dans une revue médicale, elle proclama « Chapeau bas devant Amlor® » (NdT :
en anglais, un jeu de mot avec le nom de l’étude : « ALL HATs off », qui
signifie : retirez tous vos chapeaux).

Toutefois, ni le communiqué de presse, ni l’annonce publicitaire ne
faisaient état de l’augmentation de 38% du risque d’insuffisance cardiaque
avec Amlor® dans l’étude ALLHAT.

Hank McKinnell, Président de Pfizer, ne mentionna pas non plus les problèmes
d’insuffisance cardiaque, lorsqu’il fit les louanges des résultats
(d’ALLHAT) à l’occasion de sa conférence avec les analystes financiers pour
commenter les bénéfices trimestriels quelques semaines après la publication
d’ALLHAT. « Contrairement à ce que vous avez pu lire dans la presse,
déclara-t-il, ALLHAT est extrêmement favorable à Amlor®, notre tâche va être
d’expliquer cela à la communauté scientifique ».

Le Dr Paul K. Whelton, Président du Loyola University Health System (un
groupe hospitalier et de services médicaux de premier recours), et actuel
président du comité de suivi d’ALLHAT, a dit que Pfizer et d’autres firmes
pharmaceutiques « ont pris ce qui servait le mieux leurs intérêts, ont fait
fonctionner leurs affaires avec ça, et ont omis opportunément de mentionner
les autres points ».

Pfizer défend ses actions. Le Dr Michael Berelowitz, à la tête de
l’organisation médicale de Pfizer au niveau mondial, a dit que, dans la
conception de l’essai, l’insuffisance cardiaque n’était que l’une des
composantes d’une évaluation plus large de diverses affections
cardiovasculaires. Et, en ce qui concerne cette large évaluation, il n’y
avait pas de différence entre Amlor® et le diurétique. Il ajouta que la
notice d’utilisation d’Amlor® mentionnait déjà la précaution d’emploi dans
l’insuffisance cardiaque. « Une démarche supplémentaire sur la donnée
insuffisance cardiaque n’a donc pas paru nécessaire » affirma-t-il en guise
de réponse.

Pfizer n’était pas la seule firme à promouvoir ses médicaments. Par exemple,
Novartis, le géant suisse de la pharmacie, consacrait des fonds
considérables pour développer les ventes de Diovan® (Tareg® en France),
leader d’une classe d’antihypertenseurs appelée antagonistes de
l’angiotensine II, ou sartans, et qui étaient trop récents pour avoir été
inclus dans l’étude ALLHAT. Diovan®, dont les ventes ont dépassé 5 milliards
de dollars l’an passé, est vendu entre 1,88 et 3,20 USD le comprimé sur le
site drustore.com, fournisseur en ligne de produits pharmaceutiques, à
comparer aux 8 à 31 cents pour un diurétique.

En revanche, aucune firme ne dépensait d’argent pour promouvoir les
diurétiques génériques. Alors, l’Institut du Coeur embaucha les
investigateurs d’ALLHAT, les forma, et les envoya convertir leurs collègues
médecins. Au total, les 147 investigateurs ont donné près de 1 700
conférences, qui ont touché plus de 18 000 médecins et autres professionnels
de santé.

Mais c’était une opération de « café et petits gâteaux » en comparaison des
somptueux dîners auxquels les médecins sont habituellement conviés par
l’industrie pharmaceutique. Sans compter que le programme de visite médicale
concocté par le comité de suivi, n’a pas vu le jour avant trois bonnes
années après la publication des résultats de l’étude.
Le Dr Stafford de Stanford déclara que les visites avaient semblé entraîner
une légère augmentation de l’utilisation des diurétiques.

Les résultats des efforts de Pfizer sont, eux, faciles à quantifier. Les
ventes d’Amlor® poursuivirent leur croissance jusqu’à 4,9 milliards de
dollars en 2006, ne s’infléchissant que lorsque le médicament perdit son
brevet aux USA en 2007.

Embrouilles et querelles

Les tensions au sujet de l’influence de l’industrie ont même fini par
toucher le comité de suivi. Le Dr Furberg, son président, accusa carrément
des membres du comité d’être des agents de l’industrie.
L’un des membres, le Dr Richard H. Grimm Jr. de l’université du Minnesota,
avait reçu de Pfizer des dizaines de milliers de dollars chaque année au
moins depuis 1997, selon la déclaration que les entreprises pharmaceutiques
doivent remplir dans cet État.
En 2003, l’année qui a suivi la publication des résultats d’ALLHAT, les
versements de Pfizer au Dr Grimm se sont envolés pour atteindre 200 000
dollars – Une augmentation rapportée dans les colonnes du New York Times en
2007.
Le Dr Grimm a déclaré lors d’une interview récente que près de la moitié de
ses honoraires perçus en 2003 provenait d’une centaine de conférences faites
à des médecins et sponsorisées par Pfizer, pour leur parler d’ALLHAT. Le Dr
Grimm a dit qu’il faisait une présentation standard sur ALLHAT, mais qu’au
lieu de dire que les diurétiques étaient franchement meilleurs que les
autres médicaments, il disait qu’ils étaient aussi bons ou meilleurs.
Dans le même temps, le Dr Grimm avait essayé de provoquer le départ du Dr
Furberg de son poste, sous prétexte qu’il n’avait pas été impartial.
« Il menait une vendetta contre les inhibiteurs calciques » disait-il. Le Dr
Furberg s’était publiquement interrogé sur la tolérance de ces médicaments à
partir d’un certain nombre d’études qu’il avait lui-même menées dans les
années 1990. Les efforts faits pour éjecter le Dr Furberg échouèrent en
2001.

Mais en août 2004, le Dr Furberg démissionna, soutenant qu’il n’avait pas
été assez soutenu pour diffuser le message d’ALLHAT.
Le Dr Whelton, qui lui succéda en tant que président, déclara que le message
de l’étude n’avait jamais été altéré par des liens entre le comité de suivi
et l’industrie.
« Curt Furberg est un type formidable et un battant », a dit le Dr Whelton,
qui n’avait pas de lien avec l’industrie et n’avait pas participé à la
tentative d’éviction du Dr Furberg. « Il a certainement pris pas mal de gens
à rebrousse-poil, et même de bons amis ».

Changer la pratique
Les experts tirent plusieurs enseignements de l’étude ALLHAT.
L’un est que « tous les essais cliniques ont des défauts » ce qui laisse
libre cours à l’interprétation des résultats, a dit le Dr Robert M. Califf,
cardiologue de Duke, qui a fait partie du comité de surveillance d’ALLHAT.
Un autre est que fournir une information aux médecins est une condition «
nécessaire, mais pas suffisante » pour les pousser à modifier leur pratique,
a déclaré le Dr Carolyn M. Clancy, directrice de l’agence fédérale pour la
recherche et la qualité en santé*, laquelle conduit des études comparatives
entre différents médicaments.

Et alors que les assureurs peuvent influencer la pratique à travers leur
politique de remboursement, ils ne semblent pas qu’ils aient fortement
encouragé la prescription des diurétiques après ALLHAT, en partie parce que
les autres médicaments étaient déjà génériqués.

Même le système de santé du département des Veterans Affairs, très
sensibilisé aux coûts, n’a pas exigé l’emploi des diurétiques, parce que
trop de médecins auraient demandé de faire des exceptions à la règle, a
affirmé le Dr William C. Cushman, directeur de la médecine préventive au
centre médical de Memphis.

Le Dr Cushman, membre du comité de suivi d’ALLHAT, disait que l’utilisation
des diurétiques par les Veterans Affairs était encore « très inférieure » à
ce qu’il pensait qu’elle aurait dû être.
Le Dr Clancy a déclaré qu’à présent l’agence utilisait principalement les
relevés des assureurs pour évaluer la performance des traitements. Si les
essais cliniques restent la référence a-t-elle précisé, ils n’en sont pas
moins coûteux et chronophages.
Et, ajouta-t-elle : « Vous pourriez être en train de répondre à une
question, qui compte tenu du temps nécessaire à la rechercher, ne serait
plus perçue comme totalement pertinente ».

(*) : L’AHRQ est aux USA, l’équivalent de notre Haute Autorité de Santé

IMPACTE MINIME D'UNE GRANDE ETUDE DANS L'HYPERTENSION ARTERIELLE

Cet article arrive à point pour attirer l’attention que la robustesse des preuves apportées par les essais cliniques bien conduits qui définissent des stratégies thérapeutiques dans certaines maladies chroniques voient leur impact sur la pratique médicale émoussée par des interventions intéressées et extrascientifiques. Pourtant les preuves scientifiques probantes ont toujours existées d’un meilleur rapport coût/efficacité des diurétiques qui sont des médicaments essentiels lors d’une utilisation en première intention dans l'HTA modérée. Malheureusement, ces preuves butent sur les habitudes de prescriptions qui ont été toujours déviées par l’effort promotionnel considérable des firmes pharmaceutiques qui poussent vers la consommation des IEC ou des inhibiteurs calciques entre autres. Les pressions financières et administratives voire politiques exercées par des groupes d’intérêts limitent donc la mémorisation et la transposition de la connaissance scientifique vers la pratique en médecine. Combien de malades nécessiteux sont passés à côté d’une occasion d’être soulagé et d’éviter d'avoir des complications grâce à un médicament ancien, donc disponible et accessible tout en étant efficace, parce que le prescripteur qui est martelé par la publicité sur les innovations a simplement oublié jusqu’à son existence ? Les essais cliniques sont nécessaires, mais pas toujours suffisants quand il s’agit de changer des habitudes de prescriptions à long terme, comme le montre l’impact de l’étude ALLHAT. Cependant, devrions nous accepter « l’absence de mémoire » de notre monde médical envers ce qui a déjà fait ses preuves dans le passé et qui peut encore sauver beaucoup de vie humaines ? La réponse à cette question est à voir du côté de la formation en thérapeutique dans nos facultés où les étudiants sont mal préparés aux grandes confrontations de l’heure entre la véracité des données scientifiques et les jeux d’intérêts commerciaux. Pourquoi alors, peu de facultés de médecine ont inscrit parmi leurs préoccupations majeures, l'apprentissage de l’analyse critique des essais cliniques aux étudiants ? Pensons nous toujours aux sous populations vulnérables économiquement lorsque l’on opère nos choix en thérapeutique ?

Abdelkader Helali
Centre National de Pharmacovigilance et de Matériovigilance
NIPA. Alger