[e-med] Retour à l’école pour les experts français ?

Retour à l’école pour les experts français ?
Recherche : formateur en méthodologie et pensée critique
http://www.formindep.org/Retour-a-l-ecole-pour-les-experts.html

L’enregistrement des débats des « Assises du médicament » nous aura permis
d’entrevoir in vivo ce que l’on nous cachait depuis longtemps : la
compétence réelle de certains institutionnels ! Loin d’être acquise aux
dernières données de la science, elle révèle un niveau si faible qu’on a
envie de renvoyer nos chers experts sur les bancs de l’école. Celle du
Formindep ?

La séance du 27 Avril 2011 du groupe 3 des Assises du médicament «
Encadrer les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) »
est riche d’enseignement. L’exemple des statines, médicaments devenus en
quelques années des pilules miracles dans le traitement des
hypercholestérolémies, a retenu notre attention.

En septembre 2010, François PESTY avait mis en lumière la gestion
particulièrement hasardeuse des conflits d’intérêts par la HAS sur son
évaluation médico-économique des statines.

Le filon est tellement merveilleux que les fabricants y ont tous été de
leur recette. Mais si toutes ces potions véhiculent la même croyance
magique d’une vie meilleure et plus longue, elles n’ont pas forcément fait
leurs preuves. Pourtant, le président de ce groupe, le Professeur Hubert
ALLEMAND, médecin conseil national de l’assurance maladie du régime
général, le dit sans ambages : pour les médecins prescripteurs, elles se
valent toutes. Même si, faute d’études, elles n’ont pas la même AMM, même
si elles ne sont pas toutes identiques. Garant de son armée d’experts, le
représentant de la HAS n’a pas peur d’affirmer que, quelque soit le
remède, c’est la baisse du LDL cholestérol qui prime et qui entraîne une
réduction de la mortalité [1]. Même si le représentant de la revue
Prescrire est en désaccord avec cette affirmation et rappelle le scandale
de la cérivastatine, statine autant puissante que mortelle, retirée du
commerce en Août 2001 [2].

Des statines dans la prévention primaire cardio-vasculaire : comment y
croire ? Quelle crédibilité accorder à ces affirmations ?

Afin d’y répondre, nous avons effectué une synthèse des données
scientifiques publiées depuis ces 12 derniers mois sur le thème des
statines en prévention primaire. La prévention primaire, c’est
l’intervention médicale auprès d’un groupe le plus large possible de gens
a priori non malades, indemnes par exemples de maladies cardiovasculaires.
Cette prévention constitue donc un enjeu commercial considérable.

Depuis l’étude épidémiologique dite de Framingham, des sous-groupes de
patients à plus fort risque de développer des maladies cardiovasculaires
ont été identifiés. Des outils d’évaluation de ces risques ont été mis en
œuvre avec pour objectif de prédire une très forte probabilité de faire
une maladie. Ce calcul est présenté sous forme d’un score qui donne le
pourcentage de faire un accident cardiovasculaire dans les 10 ans et
permet d’affirmer que toutes les populations n’ont pas le même risque de
mourir d’un problème cardiovasculaire.

Ainsi, dans l’étude la plus récente publiée en 2009 dans la revue
Circulation [3], on apprend que la mortalité cardiovasculaire des femmes
est deux à trois fois moindre que celle des hommes et, tant chez les
hommes que chez les femmes ; ce sont les Français qui décèdent le moins.
On apprend que la mortalité cardiovasculaire des hommes français est deux
fois moindre que celle des américains, des anglais, des grecs ou des
belges, dix fois moins que celle des russes, et que la mortalité
cardiovasculaire des Françaises est trois fois moindre que celle des
Américaines.

Sur ce constat, les calculs du risque cardiovasculaire de la population
américaine ne peuvent pas s’appliquer à la population française. Comme il
n’existe pas de scores valides pour prédire ce risque en France, on
préfère ne pas s’en rappeler et présenter les Français comme des patients
à risque comme les autres, qui doivent absolument faire doser leur
cholestérol. Et tout le monde ou presque, convaincu de cette nécessité,
voit dans le cholestérol un tueur silencieux dont quelques médicaments
devraient nous protéger.

Si l’hypothèse de la théorie du cholestérol est vraie, on devrait
constater dans les études scientifiques sur les médicaments qui font
baisser le cholestérol que la mortalité des personnes traitées serait
diminuée. Trois équipes de chercheurs Ray [4], Wright [5], Taylor [6] se
sont penchés sur ces études en 2010 et 2011. Wright et Taylor font partie
du réseau de Collaboration Cochrane [7].

Ces auteurs ont identifié des défauts majeurs dans les différentes études
présentées.

Leurs conclusions sont similaires et complémentaires sur plusieurs points.
Ils ont d’abord remis en cause l’efficacité réelle des statines parce que
la mortalité totale n’est pas diminuée. Ils ont ensuite constaté que ces
essais présentent de nombreux biais, comme des résultats sélectifs ou
comme l’inclusion de patients déjà malades (quittant alors le cadre de la
prévention primaire pour entrer dans celui de la prévention secondaire).
Il existe des différences entres les conclusions de ces auteurs : pour
Wright, qui s’appuie sur les données les plus dures, les statines n’ont
aucune efficacité, pour Taylor, leur efficacité est possible pour les
patients à haut risque cardiovasculaire.

Ces analyses apportent aussi d’autres informations qui permettent de
comprendre pourquoi il peut exister des scandales sanitaires comme celui
que nous vivons actuellement. Wright et Taylor rappellent que, pour être
sûr d’avoir un résultat solide dans l’étude d’un médicament contre
l’hypercholestérolémie, il faut comptabiliser les événements coronariens
contre lesquels prétend agir le médicament mais aussi les événements
indésirables qu’il peut provoquer. Cela permet de calculer la balance
bénéfice-risque, résultat du rapport entre la baisse des accidents
coronariens et les effets indésirable du médicament. Or, comme le souligne
Taylor, dans 8 des 14 essais, aucun effet indésirable n’a été signalé, ce
qui est un résultat aberrant. Ce qui est encore plus aberrant, comme
l’explique Heneghan [8], c’est que le réseau Cochrane n’ait pas pu obtenir
des auteurs de ces essais les résultats réels de ces études. Malgré leur
demande, l’accès aux données sources leur a été refusé.

Pas d’accès aux bases de données : quelque chose à cacher ?
Si les commanditaires sont maintenant tenus d’obtenir l’autorisation de
déclarer leurs études, ils ne sont pas obligés de publier leurs
recherches. C’est en fouillant dans différents registres parfois tenus
secrets par les industriels que l’on a une idée de ce qui est publié ou
non. Ce qui n’est pas publié est un biais de publication. Ainsi, le
British Medical Journal a publié en janvier 2011 deux études qui étayent
solidement l’ampleur du biais de publication. Jefferson [9] anime le
réseau Cochrane en charge des infections respiratoires aigües et des
vaccinations. En 2009, à la suite du signalement d’un pédiatre japonais,
il mène une enquête et découvre que la firme Roche n’a pas publié la
majorité des essais de phase III [10] de l’oseltamivir (Tamiflu®). Il en
arrive à la conclusion qu’en 2006 la méta-analyse de Kaiser qui avait
permis de conclure favorablement et de manière erronée à l’effet positif
de ce médicament n’aurait jamais dû être retenue. Pour Jefferson, la mise
en œuvre d’une politique sérieuse pour s’assurer que les médicaments sont
sûrs et efficaces est un enjeu majeur.

Smyth [11],lui, a étudié la non publication des résultats sur le critère
principal de jugement déclaré lors de l’enregistrement de l’essai. Le
critère principal de jugement permet de mesurer l’effet d’une
thérapeutique. Ces critères sont plus ou moins objectifs. Le plus solide
d’entre eux est la mortalité totale, car il est facilement vérifiable.
Entre août 2007 et juillet 2008, 268 essais ont été identifiés, et leurs
auteurs contactés. 130 (48 %) ont accepté de répondre aux membres du
réseau Cochrane, et seulement 59 ont accepté de fournir une copie du
protocole d’étude. Parmi ces 59, 16 n’avaient pas publié les résultats du
critère de jugement. Les auteurs avaient parfois modifié les critères de
jugement en fonction des résultats qu’ils observaient. Mais la conclusion
essentielle est que les chercheurs n’ont pas conscience des implications
que ces défauts de publications ont en l’absence d’un consensus fort sur
le choix des critères de jugement qui doivent permettre de mesurer l’effet
des thérapeutiques.

La HAS vers un nouveau scandale ? Tous ces éléments publiés dans de grandes
revues internationales au cours des derniers mois n’ont pas été présentés
dans cette séance des Assises du médicament. Les experts seraient-ils
passés à côté de leur sujet ?

La HAS a mis en ligne un nouveau document non daté sur les statines [12].
La rédaction d’une partie de ce document « Statines dans le cadre de la
prévention des maladies cardiovasculaires » a été assurée par le
Professeur FERRIÈRES qui affiche sa volonté « d’apaiser le débat sur les
statines ». Pour autant sa déclaration publique d’intérêt n’est pas
disponible sur le site de la HAS au 23 Mai 2011, date de notre dernière
consultation. Sur le site de la Société Française de cardiologie, il
déclare des liens d’intérêts avec les firmes SERVIER à plusieurs reprises,
MSD et ASTRA-ZENECA : contrats de recherche, actions de communications et
de formations, prise en charge de frais de transports ou de congrès, etc.

Ces constats montrent que nos institutionnels se mettent une nouvelle fois
dans une situation bien délicate, comme si l’affaire du Mediator°
n’existait pas, comme si le Conseil d’État n’avait pas abrogé la
recommandation sur le diabète de type 2.

Décidément, tous ces experts, très occupés la journée à disserter aux
Assises des médicaments, devraient reprendre des cours du soir de
méthodologie pour :
- connaître toutes les ficelles qui permettent de faire dire ce qu’on veut
à une étude scientifique,
- réviser les principes et les limites du résultat d’un essai scientifique
appliqué à la population d’un cabinet de médecine générale,
- savoir identifier rapidement les conflits d’intérêts,
etc.

Alors, Messieurs les "experts", un peu de formation à la lecture et à la
pensée critiques ?... Chiche !...

[1] HAS - juillet 2010. Les statines jugées efficaces par la HAS, avec une
efficience inégale en fonction du profil des patients

[2] AFSSAPS 2001. Cérivastatine. Retrait des spécialités Staltor® et
Cholstat®

[3] Pages 23 et 24. Heart Disease and Stroke Statistics - 2009 Update. A
Report From the American Heart Association Statistics Committee and Stroke
Statistics Subcommittee. Circulation. 2009 ;119:e1-e161

[4] Ray K et al. Statins and All-Cause Mortality in High-Risk Primary
Prevention - A Meta-analysis of 11 Randomized Controlled Trials Involving
65 229 Participants. Arch Intern Med. 2010 ;170:1024-1031.

[5] Wright JM, Bernard M, Basset K L. Statines et prévention primaire du
risque cardio-vasculaire. Une méta-analyse des données disponibles en
2010. Médecine 2010. Novembre 2010 . 399-404.

[6] Taylor F, Ward K, Moore THM, Burke M, Davey Smith G, Casas JP, Ebrahim
S. Statins for the primary prevention of cardiovascular disease. Cochrane
Database of Systematic Reviews 2011, Issue 1. Art. No. : CD004816. DOI :
10.1002/14651858.CD004816.pub4.

[7] qui fédère, à travers le monde, depuis 1993, 14 centres d’analyses des
données scientifiques indépendantes à but non lucratif.
http://www.cochrane.org/about-us

[8] Heneghan C. Considerable uncertainty remains in the evidence for
primary prevention cardiovascular disease

[9] Jefferson T, Doshi P, Thompson M, Heneghan C. Ensuring safe and
effective drugs : who can do what it takes ? BMJ 2011 ; 342:c7258

[10] http://fr.wikipedia.org/wiki/Essai_

[11] SMYTH RMD. Frequency and reasons for outcome reporting bias in
clinical trials : interviews with trialists. BMJ 2011 ; 342:c7153

[12] HAS. Efficacité et efficience des hypolipémiants : une analyse
centrée sur les statines.