L'action tardive contre le VIH/SIDA a aggravé la menace (RCA)
Inter Press Service (Johannesburg)
10 Octobre 2005
Publié sur le web le 11 Octobre 2005
Jean-Louis Gondamoyen
Bangui
Les deux-tiers des lits dans les formations sanitaires de la République
centrafricaine (RCA) étaient occupés par des malades du SIDA, révèle une
étude du Programme conjoint des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA)
réalisée en 2004.
Selon le directeur du Centre national de dépistage (CND), Dr Pierre Longo,
le taux de prévalence de l'infection à VIH/SIDA varie entre 14 à 16 pour
cent en zone urbaine, mais il atteint 18 pour cent en zone rurale.
Mais le taux moyen de prévalence se situe autour de 16,5 pour cent, selon
les dernières données de la représentation du Fonds mondial pour la lutte
contre le SIDA et la tuberculose en Centrafrique. Avec ce taux de
prévalence, la RCA occupe le 10ème rang mondial et le premier en Afrique
centrale des pays les plus touchés par le VIH/SIDA.
Dans certains arrondissements de Bangui, la capitale, ce taux avoisine les
21 pour cent, selon l'étude de l'ONUSIDA qui portait notamment sur les
femmes enceintes.
Interrogé par IPS, Dr Abdoulaye Sépou, professeur de médecine à l'Université
de Bangui, a déclaré que le nombre de décès dus au SIDA à l'heure actuelle
est supérieur à 25.000 par an depuis cinq ans tandis que le nombre des
orphelins est estimé à 150.000.
"Nous notons une réduction de l'espérance de vie à cause de l'augmentation
vertigineuse de l'infection à VIH/SIDA qui est passé de 2,6 pour cent en
1985 pour atteindre 13,84 pour cent en 1999 et même 16,35 pour cent en
2005", a ajouté Dr Sépou.
Dr Modeste Hosa, médecin-chef du Centre de santé scolaire et universitaire
de Bangui, a indiqué à IPS que 85,71 pour cent des décès des enseignants de
cause connue sont dus au VIH/SIDA.
L'ambassadeur de France en RCA, Jean Pierre Destrouesse, déclarait, le 14
juillet à propos du SIDA : "Rien qu'une traversée du cimetière de Ndres (le
plus grand cimetière de Bangui), permet de s'apercevoir que de nombreux
Centrafricains quittent la vie, non pas très jeunes, mais en pleine force de
l'âge, à peine 30 ans. On a là, sous les hautes herbes du cimetière, les
résultats du ravage du SIDA", a-t-il affirmé.
Interrogé par IPS, Dr Longo du CND a indiqué que plus de 30.000 personnes
vivent actuellement avec le VIH/SIDA en RCA. Les femmes sont plus touchées
et elles sont généralement infectées plus jeunes que les hommes de la même
tranche d'âge. Les filles de 15 à 24 ans sont cinq fois plus infectées que
les garçons de la même tranche d'âge, a-t-il dit.
La population de la RCA est de 2,8 millions habitants après le recensement
de 2004, selon le ministère du Plan.
Des spécialistes s'accordent à dire que la pandémie a beaucoup sévi, malgré
les stratégies mises en oeuvre pour combattre le fléau depuis la déclaration
des premiers cas de SIDA en 1984.
Emilie Debato, professeur de sociologie à l'Université de Bangui et
présidente de l'organisation non gouvernementale (ONG) Femmes contre le
SIDA, a déclaré à IPS que la politique du gouvernement dans la lutte contre
la pandémie du VIH a échoué à cause d'une "inadaptation totale des
stratégies mises en place".
"Certains de nos compatriotes, notamment ceux de la santé, ont cru devoir
faire du SIDA une source d'enrichissement alors que nos frères et soeurs
sont contaminés et meurent tous les jours. Les fonds destinés à la
sensibilisation de la population sont systématiquement détournés à d'autres
fins", affirme Debato.
Elle a ajouté que la débauche, le tourisme sexuel, la prostitution,
notamment chez les jeunes filles, sont bien loin d'infléchir la courbe de
l'infection à VIH/SIDA.
Interrogé par IPS, le directeur général du ministère de la Santé, Dr Marcel
Goana, a expliqué que le retard pris pour reconnaître l'existence de la
maladie (1984-1987) et pour engager une lutte contre sa propagation, a
sérieusement favorisé l'avancée de la pandémie.
"Après un temps d'hésitation, le gouvernement avait alors choisi de
centraliser toutes les activités au niveau du ministère de la Santé. Mais au
fil des ans, il s'est rendu compte de l'inefficacité de cette politique de
centralisation de lutte contre le SIDA, qui n'a pas permis de réduire la
progression de la maladie et ses méfaits", a reconnu Goana.
Depuis janvier 2001, a-t-il indiqué, le gouvernement a opté pour la
décentralisation de la lutte contre le VIH. Il a créé le Comité national de
lutte contre le SIDA (CNLS) doté d'un secrétariat technique qui a pour
mission principale de promouvoir des approches impliquant les ONG, les
associations, les communautés les confessions religieuses et les médias.
Selon le coordonnateur du CNLS, Jean Willybiro Sacko, l'institution a choisi
de baser son action sur une planification plus rigoureuse. Avec le concours
de l'ONUSIDA, le CNLS s'est investi dans un grand programme de planification
stratégique qui s'est traduit par une analyse de la situation et de la
réponse, pour déboucher sur un Plan cadre stratégique national, a-t-il
expliqué à IPS.
Ce plan a été validé en 2004, mais le CNLS souhaite réorienter son action et
dynamiser les activités qu'il mène en partenariat avec les ONG et les
associations. Le plan prévoit notamment la formation des membres des ONG qui
participent à la lutte contre le VIH/SIDA, ainsi qu'un financement et un
appui technique du CNLS à leurs projets d'activités.
Le plan envisage également la prise en charge du traitement des malades par
des anti-rétroviraux (ARV). Selon Dr Paul Gbaté, expert au Fonds mondial
pour la lutte contre le SIDA, environ 500 malades bénéficient des ARV depuis
décembre 2004, année de démarrage officiel de ce traitement.
Avant cette date, les malades qui avaient des moyens achetaient les ARV dans
les pharmacies privées, et le coût du traitement mensuel se chiffrait à
quelque 300 dollars. Ce coût est d'environ quatre dollars depuis décembre
2004, uniquement pour les malades qui ont été dépistés dans un centre du
Fonds mondial. Le CNLS bénéficie d'un financement de la Banque mondiale, qui
s'élève à 20 millions de dollars pour cinq ans (2004-2009). Le chef de
l'Etat, François Bozizé, avait déclaré, dans son premier discours après sa
prise de pouvoir, en 2003, que le "SIDA et ses conséquences sur la
population centrafricaine constituent un véritable enjeu national qui
justifie son maintien, par le gouvernement, dans les toutes premières
priorités du pays".
Selon Sacko, le sombre tableau, que présente la situation du SIDA en
Centrafrique, a suscité une grande mobilisation en quatre ans, qui aurait pu
favoriser une régression du taux de l'infection à VIH, si elle l'avait été
plus tôt, pendant les deux précédentes décennies.
Néanmoins, a affirmé à IPS, le coordonnateur du CNLS, "des espoirs sont
permis, car on note un début de changement de comportement dans la société,
la baisse de la stigmatisation et de la discrimination, ce qui permet
aujourd'hui la création de nombreuses associations de personnes vivant avec
le VIH tant à Bangui qu'en provinces, ainsi qu'un début organisé de prise en
charge médicale, nutritionnelle et sociale".