[e-med] Le Sud riposte contre les excès dans l’application des droits de propriété intellectuelle

Intellectual Property Watch

22 September 2008
Le Sud riposte contre les excès dans l’application des droits de propriété
intellectuelle
http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=1237
Posted by Catherine Saez @ 12:58 pm

Catherine Saez, William New et Kaitlin Mara
Pour les pays en développement les plus avancés et notamment la Chine, les
efforts déployés par les pays développés pour intensifier la mise en
application des droits de propriété intellectuelle (DPI) sont excessifs et
devraient être freinés et centralisés par l’Organisation mondiale de la
propriété intellectuelle (OMPI). Cette remarque s’applique
particulièrement à une négociation secrète menée par les États-Unis,
l’Europe et le Japon en vue de mettre au point un Accord commercial
anti-contrefaçon (ACAC), ont-ils précisé.

« La négociation de l’ACAC nous inquiète », a déclaré Yusong Chen de la
mission chinoise, ajoutant que « cet accord pourrait bien être
l’instrument international le plus étrange et le plus dangereux » en
matière de DPI. Certaines associations internationales de consommateurs
s’insurgent également contre l’ACAC.

Selon Viviana Muñoz Tellez du Centre Sud, les inquiétudes concernant cette
initiative démesurée en faveur de la mise en application des DPI sont
notamment liées à l’absence d’harmonisation des définitions et de données
solides et fiables, et au fait que des solutions soient recherchées avant
d’avoir totalement cerné le problème. Ses propos ont été repris par de
nombreux participants lors du colloque du 16 septembre organisé par le
Centre Sud.

Concernant la tendance au « forum shopping », qui suscite de nombreuses
craintes, Mme Muñoz Tellez a souligné qu’il serait plus juste de parler de
« détournement » car il s’agit bien de s’approprier le programme d’action
d’une organisation ou d’un autre forum de discussion.

Henrique Choer Moraes, de la mission brésilienne à Bruxelles, a précisé
que le « forum shopping » n’avait rien de nouveau. En revanche, ce qui est
nouveau et qui pose problème, c’est que celui-ci se fait auprès
d’organismes dont la mission est purement technique et qui ne regroupent
pas de négociateurs expérimentés et éclairés sur les questions de
politiques de propriété intellectuelle.

Mme Muñoz Tellez a remarqué certaines limites concernant la mise en
application des DPI, notamment dans le cadre de l’Accord de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC). Par
exemple, les DPI relèvent du droit privé, ce qui fait que leur mise en
application est du ressort des titulaires de droits, pas de leur
gouvernement. D’autre part, l’Accord sur les ADPIC prévoit l’épuisement
des DPI après la vente, accorde une certaine flexibilité aux pays qui
mettent en place des « actions efficaces » contre les infractions aux DPI
et exige que leur mise en application ne crée pas de barrière commerciale
et s’accompagne d’un mécanisme de protection contre les abus.

Or, M. Chen et d’autres intervenants ont laissé entendre que l’ACAC
pourrait être à l’origine de barrières commerciales et nuire aux
consommateurs, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des pays
signataires. Les négociations de l’ACAC se tiennent dans le secret et
l’accord n’est ni vraiment démocratique ni équilibré car il repose de
manière excessive sur les groupes industriels et les titulaires de droits
alors que les consommateurs ne sont pas du tout représentés, a expliqué M.
Chen. D’autres l’ont rejoint pour déclarer qu’avec l’intensification de la
mise en application, les droits individuels pourraient bien être réduits.

Les intervenants du colloque ont passé en revue les différents forums dans
lesquels les pays développés font pression pour obtenir la mise en place
de mesures coercitives plus exigeantes que l’Accord sur les ADPIC, même si
les pays les moins avancés ne sont pas tenus d’appliquer cet accord avant
2013, et où quelques grands pays en développement ont signalé que la mise
en application avait nui à leur économie.

Des mesures coercitives plus exigeantes ont été proposées dans les
tribunes suivantes : le Conseil des ADPIC de l’OMC, l’OMPI, l’ACTA,
l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale des
douanes (OMD), Interpol, l’Union postale universelle (UPU), les accords
bilatéraux de libre échange, etc.

D’après M. Moraes, l’OMD est « une zone protégée pour les dispositions
ADPIC-plus », car les efforts en faveur de la mise en application des DPI
pourraient aboutir à un « excès d’autorité des douanes au détriment » des
autres institutions. Cet excès de pouvoir s’illustre par un exemple
particulièrement frappant : celui d’un projet de norme du groupe de
travail SECURE (chargé de rédiger une réglementation relative à la
propriété intellectuelle à destination des douanes) qui vise à autoriser
les titulaires de droits à s’adresser directement aux douanes, sans passer
par un juge ou une autre autorité compétente.

Un grand nombre des propositions présentées dans le cadre de l’OMD
seraient « inacceptables » dans des forums plus politiques, a expliqué M.
Moraes, comme celles qui affirment que seules des mesures plus sévères que
l’Accord sur les ADPIC pourraient permettre une mise en application
appropriée des DPI aux frontières, ou que la manipulation de la gestion
numérique des droits constitue une violation de la propriété
intellectuelle. L’isolement relatif de l’OMD par rapport aux forums
politiques et le fait que l’organisation applique des mesures de
protection du droit d’auteur sans précédent à ses rapports et projets de
normes et qu’elle protège tous ses rapports par un mot de passe expliquent
qu’il a été difficile de s’opposer à tous ces mécanismes de mise en
application.

En août, lors du Congrès postal universel, l’UPU a adopté une résolution
(numéro 40) visant à encourager ses membres à identifier les contrefaçons
et les produits piratés dans le réseau postal et à coopérer avec les
autorités nationales et internationales compétentes pour lancer des
campagnes de sensibilisation contre le commerce des contrefaçons, a
signalé le réseau d’organisations indépendant Third World Network.
Cependant, un certain nombre de pays craignaient que l’UPU ne soit pas
apte à faire appliquer une telle résolution ou ne dispose pas des
compétences juridiques nécessaires ou autres, comme la faculté de
déterminer si un produit a été contrefait ou s’il enfreint le droit de la
propriété intellectuelle. Cette résolution a fait l’objet d’un appel.
L’UPU n’a pas souhaité s’exprimer sur cette question.

L’OMPI au centre

Les pays en développement semblent d’accord pour dire que tous les efforts
d’intensification de la mise en application des DPI doivent être
centralisés par l’OMPI, principal forum des Nations Unies chargé des
questions de propriété intellectuelle. Néanmoins, les pays développés
pourraient s’opposer à cette centralisation étant donné que, jusqu’à
présent, les pays en développement se sont acharnés à réduire le débat sur
la mise en application des DPI à un comité consultatif dépourvu de
compétences politiques. Les pays à l’origine des négociations de l’ACAC
ont également cherché à gagner du terrain par le biais du Conseil des
ADPIC et se sont vu opposer la même résistance.

Cependant, les pays en développement continuent d’affirmer que la question
peut être débattue à l’OMPI. « Il est important que l’OMPI soit mise en
avant pour que l’on puisse tirer profit des principes consacrés par son
Plan d’action pour le développement », a expliqué Cristiano Berbert de la
mission brésilienne. « À chaque fois que la question de la mise en
application des DPI est abordée à l’extérieur de l’OMPI, la balance penche
en notre défaveur ». L’une des dispositions du Plan d’action pour le
développement requiert que la mise en application des DPI soit conforme
aux exigences des accords internationaux, a-t-il ajouté. Par ailleurs,
l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC exige que la mise en application et
la protection des DPI ne constituent pas un frein à l’innovation et au
transfert de technologie, et soient des vecteurs de prospérité sociale et
économique et d’équilibre entre les droits et les obligations.

Selon ce que le porte-parole d’un pays développé a confié à Intellectual
Property Watch, contrairement à ce qui était initialement prévu, il y a
peu de chances que l’ACAC soit finalisé cette année. Ce dernier a ajouté
que les pays participant à son élaboration souhaitent que la version
finale de l’accord ne les oblige pas à procéder à d’importants changements
dans leur législation nationale.

Mardi dernier, plus de 100 organismes internationaux d’intérêt public se
sont unis pour appeler les représentants des pays négociateurs de l’ACAC à
publier immédiatement le projet de texte de l’accord. (Les pays
négociateurs comptent également l’Australie, le Canada, la Corée du Sud,
le Mexique et la Nouvelle-Zélande). « Le secret qui entoure les débats sur
l’accord a alimenté la crainte que ses dispositions ne nuisent aux
intérêts premiers des consommateurs », ont expliqué les organismes
d’intérêt public. Le traité pourrait par exemple exiger que les
fournisseurs de services Internet contrôlent toute la communication sur le
Web, mais aussi entraver l’usage légal d’œuvres protégées, rendre illégal
le partage de fichiers en réseau ou encore empêcher l’accès aux
médicaments génériques à bas coût.

Les intervenants du colloque ont proposé quelques actions positives comme
mettre l’accent sur le Plan d’action de l’OMPI pour le développement,
intensifier les négociations relatives au renforcement de la protection de
la diversité biologique et des savoirs traditionnels au sein de l’OMC,
améliorer le transfert de technologie ou encore se concentrer sur l’impact
des normes et des DPI. « À moins qu’un système international de propriété
intellectuelle plus équitable ne soit mis en place, la question de la mise
en application ne sera pas une priorité pour les pays en développement »,
a indiqué M. Chen.

D’après Carlos Correa, de l’Université de Buenos Aires, les règles de mise
en application des DPI doivent être souples et adaptées à certains pays.
Étant donné que ces droits relèvent du droit privé, la responsabilité de
la mise en application doit être en partie endossée par les bénéficiaires.
Il faudrait instaurer un système de mesures coercitives qui prenne en
compte les conditions particulières des pays en développement.

Christoph Spennemann, de la Conférence des Nations unies sur le commerce
et le développement (CNUCED), a indiqué que la contribution des
entreprises du secteur privé en faveur de la mise en application des DPI
devra être calculée en fonction de leurs bénéfices afin de ne pas
défavoriser les entreprises plus petites.

Les malheurs du commerce

De son côté, Hong Xue de l’Université de Honk Kong a expliqué que les
attaques américaines à l’encontre de la Chine auprès de l’OMC n’étaient
pas fondées puisque chaque membre de l’OMC est libre de mettre en
application l’accord sur les ADPIC seulement si nécessaire. Répondant à la
plainte des États-Unis qui ont affirmé que les auteurs étrangers se
voyaient refuser tout droit d’auteur avant la publication ou la
distribution de leur œuvre sur le marché chinois, Hong Xue a fait
référence à l’article 17 de la Convention de Berne, qui donne à ses
membres la « possibilité de surveiller la circulation, la représentation
et l’exposition d’œuvres », avant d’ajouter que cette disposition devrait
être incluse à l’accord sur les ADPIC.

Le Rapport spécial 301 a lui aussi fait l’objet de critiques. Ce rapport
est édité chaque année par le bureau du Représentant américain au commerce
et dresse la liste des partenaires commerciaux considérés comme laxistes
en termes de protection des DPI américains. Selon Sean Flynn, du programme
PIJIP de l’Université américaine (American University law school Program
on Information Justice and Intellectual Property), le fonctionnement de ce
rapport pourrait aller à l’encontre des règles dictées par l’OMC car il
établit que les membres de l’OMC sont passibles de sanctions lorsque ces
derniers ne sont pas en conformité avec les dispositions ADPIC-plus, même
si par ailleurs ils ne violent aucun des traités de l’Organisation.

M. Flynn poursuit en expliquant que la conception du Rapport spécial 301
constitue un jugement non officiel car les nations y sont répertoriées
avant tout selon les intérêts commerciaux des États-Unis, dont les données
devraient être remises en question. Il a proposé de protester contre les
décisions arbitraires validées par la loi et le système politique
américains et de remettre en cause l’OMC. L’aspect discriminatoire et
arbitraire de l’application unilatérale des États-Unis pourrait être
débattu et les décisions américaines prises en fonction du Rapport spécial
301 pourraient être attaquées devant l’OMC.

Pendant ce temps, l’économiste Carsten Fink a avancé que des preuves
supplémentaires devaient être présentées avant de confirmer les
accusations de participation du crime organisé aux activités liées à la
contrefaçon, car celle-ci reste difficile à prouver. L’étude menée en 2007
par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)
qui chiffrait le commerce mondial des biens contrefaits et piratés à 200
milliards de dollars en 2005 n’était selon lui qu’une « déduction logique
».

Cette étude a démontré que la majorité des biens contrefaits ou piratés se
trouvaient dans les domaines de la mode, de l’enregistrement audiovisuel
et des programmes informatiques, ce qui ne représente pas un réel dommage
pour les consommateurs. M. Fink a également remis en question la
méthodologie appliquée par l’industrie dans son analyse des pertes
financières liées à la contrefaçon. Il cite l’exemple de Business Software
Alliance qui suppose dans son rapport annuel que tous les utilisateurs de
programmes piratés pourraient opter pour une copie légale en payant le
prix actuel.

En conclusion, il a suggéré que l’absence de mise en application dans les
pays en développement devrait plutôt être mise sur le compte
d’insuffisances institutionnelles qui « ne peuvent pas être facilement
traitées par des accords internationaux et l’aide au développement ». Il a
insisté sur l’existence d’une importante corrélation entre le niveau des
activités liées à la contrefaçon et le niveau économique du pays, le
premier augmentant lorsque le second décroît.

Médicaments contrefaits

Valerio Reggi, Coordinateur d’IMPACT, le Groupe spécial international
anti-contrefaçon de produits médicaux dirigé par l’OMS, a déclaré ne pas
comprendre l’opposition de certains États membres, particulièrement de
l’Inde, à une résolution visant à renforcer l’action de l’OMS dans la
lutte contre les médicaments contrefaits, lors de l’Assemblée mondiale de
la santé qui s’est tenue en mai dernier. L’OMS continuera cependant sa
lutte cette année, comme cela a été confirmé peu après.

Certains des pays qui se sont opposés au cours de l’Assemblée ont déclaré
avoir besoin de plus de temps pour considérer la question et se sont
montrés froissés de constater que la résolution allait être adoptée sans
le soutien de tous les membres de l’OMS. Des critiques ont également été
adressées à l’encontre des titulaires de DPI qui utilisent la peur pour
déjouer le commerce de contrefaçons sur certains marchés.

Les médicaments contrefaits représentent un problème de santé publique et
non pas un problème de propriété intellectuelle, a rappelé Carlos Correa.
C’est pourquoi la lutte contre les médicaments contrefaits doit être
assurée par la législation, tout comme l’homologation des médicaments ou
le contrôle de la production.

Biotechnologie et violation de la propriété intellectuelle

M. Correa a suggéré la mise en place par les pays en développement de
bases de données et l’enregistrement par ces derniers des abus constatés
dans la lutte contre la contrefaçon et le piratage. En illustration de ses
propos, il a présenté le cas du soja Roundup Ready, qui avait vu Monsanto
s’opposer à l’Argentine. L’entreprise cherchait faire à obtenir des
dédommagements en contrepartie de la technologie qu’il avait développée,
même si en Argentine la technologie associée aux semences génétiquement
modifiées appartient au domaine public. Ce dédommagement n’étant pas
possible, Monsanto a tenté d’utiliser des brevets déposés en Europe dans
le but de mettre un terme aux exportations par l’Argentine de farine de
soja modifié vers l’Europe.

La farine de soja est un produit dérivé des graines de soja, et les
brevets correspondants portent sur des séquences génétiques présentes dans
un plant de soja vivant. Or l’article 9 de la directive européenne sur la
biotechnologie précise que « l’information génétique (…) exerce sa
fonction », ce qui est rendu impossible par le procédé de transformation
du plant de soja en farine. Cependant certains pays européens sont allés
dans le sens de la plainte de Monsanto en arrêtant les importations car
ils craignaient une violation de brevet. « Il est très difficile pour les
autorités douanières de prouver la violation de brevet », car ces
dernières ne sont pas expertes dans ce domaine, ajoute M. Correa. « C’est
pourquoi la suspicion de violation de brevet est si dangereuse ».

« Nous allons vers un monde fragmenté », qui ne peut plus répondre aux
défis mondiaux, conclut M. Spennemann. « La compréhension de la position
d’autrui est limitée » et il devient urgent qu’une collaboration soit mise
en place afin que chacun retrouve le sens de la propriété.

Traduit de l’anglais par Griselda Jung

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