[e-med] L'Equateur défie l'industrie pharmaceutique

L'Equateur défie l'industrie pharmaceutique
LE MONDE | 29.10.09 | 16h10 • Mis à jour le 29.10.09 | 17h54

http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/10/29/l-equateur-defie-l-industri
e-pharmaceutique_1260194_3244.html
Rio de Janeiro Correspondant régional

L'Equateur vient de décider de produire ou d'importer plus de deux mille
médicaments, en passant outre les brevets déposés par les multinationales
pharmaceutiques. En annonçant cette décision, confirmée par un décret entré
en vigueur le 23 octobre, le président équatorien, Rafael Correa, l'a
justifiée, au nom de la santé publique, par la nécessité d'élargir l'accès
de la population à des médicaments qui, du fait de cette mesure, seront bien
meilleur marché.

Près de la moitié des 14 millions d'Equatoriens vivent sous le seuil de
pauvreté. "Plus jamais de médicaments avec brevet, a promis le chef de
l'Etat dans son allocution hebdomadaire radiotélévisée. Chaque fois que nous
pourrons éliminer les brevets et mettre en place une licence obligatoire,
nous le ferons."

La licence obligatoire est une procédure par laquelle un Etat contraint, au
nom de l'intérêt public, les propriétaires des brevets à autoriser un tiers
à entrer en concurrence avec eux sur le marché, à armes égales. Pour
compenser la perte des bénéfices que rapporte la fabrication exclusive des
médicaments sous brevet, le pays devra verser aux entreprises lésées "une
rémunération adéquate", selon les termes de l'accord de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC) sur la propriété intellectuelle.

Cette attaque contre les brevets pharmaceutiques s'inscrit dans le processus
de radicalisation de la "révolution citoyenne et pacifique", accéléré par le
président Correa après sa réélection pour un deuxième mandat, en août 2009.
Partisan, à l'instar de son homologue vénézuélien Hugo Chavez, de
l'instauration dans son pays d'un "socialisme du XXIe siècle", M. Correa
affirme souvent vouloir renforcer "la souveraineté nationale" contre "la
voracité du capital".

Sur ce "nouveau champ de bataille", il dit vouloir obliger, par une
politique "pionnière", les multinationales à concéder à des entreprises
nationales "la production de certains médicaments", ajoutant : "Nous ne
croyons pas aux droits de propriété néolibéraux à s'approprier jusqu'à la
connaissance, qui est un bien public. Les multinationales font payer très
cher les brevets. Ainsi, les gens peuvent, faute d'argent pour se traiter,
mourir du cancer ou du sida. Les médicaments ne peuvent être considérés
comme une marchandise."

Quito assure que ce mécanisme de substitution des brevets par des licences,
loin d'être confiscatoire, est conforme au droit international et prévu en
toutes lettres par des dispositions de l'OMC, au bénéfice des pays en
situation d'urgence sanitaire.

Cette politique sera mise en oeuvre par l'Institut équatorien de la
propriété intellectuelle (IEPI). Son président, Andres Ycaza, a précisé que
le décret présidentiel s'appliquait à 2 241 brevets déposés par 177
laboratoires pharmaceutiques.

Selon un rapport du cabinet Etudes Intercontinental Marketing Services, cité
par le quotidien El Comercio, 243 entreprises pharmaceutiques opèrent en
Equateur, dont 177 étrangères, sur un marché qui représente 720 millions de
dollars annuels (485 millions d'euros).

Le chef de l'Etat annonce une "baisse drastique" des prix des médicaments.
Reste à savoir quand et comment ? Selon Renato Carlo, responsable de
l'Association des laboratoires pharmaceutiques équatoriens (ALFE), la baisse
pourrait commencer à se faire sentir "dans six à douze mois".

L'IEPI dit être prêt à concéder les licences une fois qu'il aura reçu la
liste des médicaments jugés prioritaires. Les brevets à convertir en
licences seraient environ au nombre de deux cents. Ils concerneraient
notamment le traitement du cancer, du sida, du diabète, de l'hypertension et
de plusieurs maladies moins graves et plus répandues.

Les professionnels prévoient une diminution des importations de médicaments
au profit de l'industrie nationale. "Nos ventes vont diminuer, estime Edwin
Lucero, administrateur de la société Farmacias Cruz Azul. Dans un premier
temps, il y aura une rupture d'approvisionnement car 5 % seulement de nos
stocks sont fabriqués dans les laboratoires nationaux."

L'industrie nationale produit à peine 13 % de la totalité des médicaments
consommés en Equateur. Le gouvernement se dit persuadé que celle-ci relèvera
le défi qui lui est lancé car elle ne tourne actuellement qu'à 40 % de ses
capacités. "Elle génère 3 000 emplois directs. Ce chiffre quintuplera,
lorsqu'elle fonctionnera à plein rendement", prédit M. Carlo.

Les professionnels du secteur sont plus sceptiques. Ils soulignent que la
plupart des laboratoires se cantonnent au conditionnement des médicaments et
ne disposent pas des formules chimiques. Antonio Quezada, gérant du groupe
Difare souligne : "L'industrie locale n'en est pas au stade de la
transformation chimique. Elle devra donc importer les principes actifs - les
molécules - de certains médicaments. Ce sera un long processus."
Jean-Pierre Langellier