[un intéressant livre qui vient de paraître en anglais, lire les 2 articles
ci-dessous dont un publié par le Figaro aujourd'hui.CB]
MÉDICAMENTS L'ex-rédactrice en chef d'une revue médicale internationale sort
un brûlot contre les grands laboratoires
Les dessous de l'industrie pharmaceutique
http://www.lefigaro.fr/sciences/20041103.FIG0360.html
Vioxx, Cholstat, Redux, Ponderal... : la liste des médicaments retirés du
marché en raison de leurs effets secondaires ne cesse de s'allonger. Marcia
Angell, ancienne rédactrice en chef du NewEngland Journal of Medicine
(NEJM), dénonce dans un ouvrage qui vient de sortir aux Etats-Unis
l'évolution récente de l'industrie pharmaceutique. Selon l'auteur de cette
enquête sans concession, l'industrie pharmaceutique qui influence le pouvoir
politique et tient la plume du législateur et des prescripteurs, aurait
réussi à mettre dans sa poche la quasi-totalité des experts.
Jean-Michel Bader
[03 novembre 2004]
«Il était une fois une industrie qui présentait des médicaments pour soigner
les maladies. Aujourd'hui, elle fait la promotion de maladies censées être
la cible de ses molécules.» C'est ainsi que le Dr Marcia Angell commence son
ouvrage retentissant sur les excès de l'industrie pharmaceutique (1). Tout a
commencé dans les années 1980 après l'élection de Ronald Reagan,
estime-t-elle. Le «méga-colosse» Big Pharma est assis sur un gâteau de 400
milliards de dollars annuels de vente de médicaments sur ordonnance (dont
200 milliards pour le seul marché américain). Le sénateur démocrate Birch
Bay (Indiana) et le républicain Robert Dole (Kansas) font adopter une loi
qui permet aux universités et aux firmes privées de breveter les découvertes
faites aux instituts nationaux de santé (avec les dollars des contribuables
!) et accorde des licences d'exclusivité aux firmes pharmaceutiques pour les
exploiter. Les investissements de recherche et de développement des futurs
médicaments ne sont donc plus à la charge des industriels, mais du
contribuable. Du coup, les profits de cette industrie explosent : le retour
net sur les ventes grimpe à 18,5% ! Par comparaison, la banque n'obtient que
13,5%...
Combien l'industrie dépense-t-elle vraiment en recherche et développement ?
«Toute la recherche préclinique est faite par des chercheurs
institutionnels», estime le Dr Angell. Exemple : l'AZT, premier médicament
de lutte contre le sida, a été synthétisé en 1964 par la Michigan Cancer
Foundation. Acheté en 1974 par Burrough Wellcome et «oublié», testé en 1983
par le National Cancer Institute et la Duke University comme agent
antiviral, il a été vendu par Wellcome à 100 000 dollars par an et par
malade comme anti-VIH. «La compagnie n'a jamais participé aux premiers
essais cliniques, ni fait les essais de pharmacologie clinique, les tests
immunologiques, les études virologiques». Mais elle a bel et bien touché le
pactole.
En novembre 2001, un groupe d'économistes conduit par Joseph Dimasi (Tufts
Center for the Study of Drug Development) annonce en fanfare que l'industrie
pharmaceutique a dépensé 802 millions de dollars en R&D pour chaque nouvelle
molécule mise sur le marché. Mais il est difficile de savoir si c'est vrai :
chaque compagnie doit déclarer à la Securities and Exchange Commission (SEC)
ses dépenses mais ne donne que rarement des détails. L'information est dite
«propriétaire», autrement dit elle dort dans une boîte noire inaccessible au
public. «Vous pouvez à la louche calculer le coût réel par médicament en
divisant le chiffre global des dépenses en R&D par le nombre de nouveaux
médicaments. Ainsi en 2000, les industriels auraient dépensé 26 milliards de
dollars en R&D, et 96 médicaments ont été mis sur le marché. Le chiffre par
molécule n'est alors que de 265 millions de dollars. Pas 802 millions !» ,
explique le Dr Angell. Pour 2001, selon le même calcul avec 30 milliards
d'investissements et seulement 66 médicaments nouveaux, le coût par molécule
grimpe à 455 millions.
«Public Citizen», un association de consommateurs américains, a regroupé
tous les médicaments nouveaux entre 1994 et 2000, et additionné les dépenses
industrielles de R&D pour les mêmes années. Leur calcul fait tomber le coût
de la recherche à moins de 100 millions par molécule nouvelle. Le tour de
passe-passe n'a été révélé qu'un an et demi après l'annonce de Dimasi : en
fait ce n'est que sur un échantillon de 68 médicaments développés par dix
firmes sur dix ans, qu'a été fait le calcul officiel. De plus le coût
officiel par médicament n'était que de 403 millions, mais le chiffre de 802
millions vient d'une habitude comptable prise par nombre d'entreprises, ce
que l'on appelle le coût capitalisé. La somme dépensée pour la recherche
aurait pu être placée en Bourse et rapporter une somme supérieure. «Comme si
Big Pharma avait d'autre choix que de financer la recherche pour découvrir
de nouveaux médicaments !», s'exclame Marcia Angell.
Le Dr Angell explore également les sources réelles de l'innovation
pharmaceutique : la Food and Drug Administration qui distribue les
autorisations de vente et les exclusivités, fait le tri entre les pures
copies de médicaments existants et les molécules réellement innovantes.
De 1998 à 2002, 415 médicaments ont été autorisés, soit 83 par an en
moyenne. Seulement 133 (32%) sont des médicaments nouveaux, et dans ce
groupe seuls 58 ont été considérés suffisamment importants pour justifier
une procédure accélérée de mise sur le marché. En 2001 et 2002, seulement 7
médicaments innovants, contre 19 en 1999.
Désormais, l'industrie pilote en direct tous les essais des médicaments :
elle paie les experts, elle leur tient la plume, elle censure les mauvaises
nouvelles. Exemple : en 1996, une firme de biotechnologie, Immune Response
Corporation, charge par contrat le Dr James Kahn (université de Californie,
San Francisco) et le Dr Stephen Lagakos (Harvard School of Public Health) de
mener un essai multi centrique de son médicament Remune, censé ralentir la
progression du sida, sur 2 500 séropositifs dans 77 hôpitaux. Au bout de
trois ans, il était clair que Remune était inefficace. Mais la firme refusa
aux deux promoteurs le droit de dire ou d'écrire que leur vaccin était
inefficace. Elle réclama même qu'ils incluent les données d'un sous-groupe
avec des effets positifs. Ce que refusèrent les chercheurs. Immune Response
menaça alors de ne pas donner toutes les données finales à ses contractuels,
et voulu avaliser le manuscrit avant publication. Elle porta même plainte
contre l'université de Kahn pour dommage industriel ! Le patron d'Immune
Response a dit à un journaliste : «J'ai dépensé 30 millions de dollars sur
cet essai. J'estime avoir certains droits.» Tous les droits ?
(1) The Truth About Drug Companies, Random House, 305 pages.