[e-med] Les droits de propriété intellectuelle sont en danger ?

[Sur la propriété intellectuelle, vous pouvez également consulter sur le site de l'OMS les études reçues par la Commission sur les droits de propriété intellectuelle, l'innovation et la santé publique <http://www.who.int/intellectualproperty/fr/index.html&gt; à l'adresse suivante : <http://www.who.int/intellectualproperty/studies/en/&gt; ]

Les droits de propriété intellectuelle sont en danger
http://www.framasoft.net/article3860.html
Hervé Le Crosnier, 9 mai 2005

Le texte suivant est la transcription d’un audition publique organisée
par l’ADBS - Association des Documentalistes et Bibliothécaires
Spécialisés - le 15 mars 2005.

Par une série d’auditions, cette association cherche à mieux définir sa
position dans le cadre du mouvement mondial sur la propriété
intellectuelle initié par la "Déclaration de Genève". Je remercie
l’ADBS de m’avoir invité à exprimer ma position. Hervé Le Crosnier

La situation actuelle voit poindre des menaces de plus en plus
importantes contre les droits de propriété intellectuelle (DPI) dans le
monde entier. A l’origine de ces menaces un groupe de juriste et les
grandes entreprises de communication et de la pharmacie. On peut
appeler ce groupe "les intégristes de la propriété intellectuelle" ou
encore "copyright extremists" (Free Culture, Larry Lessig, Penguin
Book, 2004).

1 - L’équilibre juridique de la propriété intellectuelle

Depuis le premier "Statut d’Anne", en 1710
(http://www.copyrighthistory.com/ann…), le droit d’auteur est conçu
comme un droit d’équilibre entre les intérêts de la société
("encourager les hommes éclairés à composer et écrire des livres
utiles" disait le Statut d’Anne) et ceux des auteurs. Ces derniers
disposent du monopole d’exploitation de leurs oeuvres, qui ne peuvent
être éditées ou représentées sans leur consentement. Un consentement en
général échangé contre rémunération, mais ce n’est pas toujours le cas
comme le montrent certains mouvements comme celui actuel des "logiciels
libres". Cette logique de l’équilibre se traduit dans toute une série
de mesures permettant d’assurer la lecture socialisée : existence d’un
"domaine public" dans lequel les oeuvres sont placées quelques dizaines
d’années après le décès de l’auteur pour garantir leur libre
reproduction, constituant ainsi un patrimoine global ; existence d’un
droit lié au premier achat, qui permet le prêt ou le don de livres et
l’existence des bibliothèques ; droit de citation, de caricature ; et
enfin droit de la copie privée.

De même, en ce qui concerne les brevets et les inventions, le droit de
propriété industrielle vise aussi à l’instauration d’un équilibre pour
la société : échanger la publication de l’innovation (et donc la
capacité à échanger le savoir-faire) contre un monopole limité. De
surcroît, la propriété industrielle concerne les processus et non les
produits, et reste, jusqu’à aujourd’hui, limitée en ce qui concerne le
vivant et les logiciels. Enfin le brevet est délivré suivant trois
critères d’équilibre : la nouveauté, l’inventivité, le caractère
industrialisable.

Dans les deux cas, auteurs et inventeurs, ce qui est couvert par le
droit de propriété intellectuelle est distinct des idées qui sont
intégrées dans l’oeuvre ou l’invention. Le Droit d’Auteur concerne la
"forme" (littéraire et artistique) qui est donnée à l’idée, et non les
concepts eux-mêmes. Et dans la propriété industrielle, ce sont les
"revendications", qui doivent ête proportionnées à la description
nouvelle et inventive et se rapporter aux méthodes d’industrialisation
qui peuvent être revendiquées, et non les idées ou les connaissances.

Toutes ces conditions, et notamment l’existence d’un domaine public
fort auquel les oeuvres et les inventions accèdent dans des délais
raisonnables, définissent un droit d’équilibre entre la nécessaire
rémunération de l’invention et de la création (pour les auteurs, les
inventeurs, mais aussi pour les intermédiaires qui ont participé à la
réalisation) et les intérêts globaux de la société.

Les Etats ne s’y sont pas trompés, qui permettent la pré-emption sur
des travaux innovants ayant un impact sur les activités de défense.
L’Union européenne non plus, qui admet de nombreuses exceptions
possibles dans sa Directive sur les droits d’auteurs de 2001 (Directive
EUCD du 22 mai 2001 http://eucd.info/directive-2001-29-…).

Ajoutons que cet équilibre est nécessaire parce que les biens
immatériels ont pour caractéristique particulière d’avoir des coût
marginaux de reproduction bien inférieurs aux coûts de création et de
réalisation. C’est la raison du "monopole" de l’inventeur ou du
créateur, et de la capacité pour celui-ci de "licencier" ses oeuvres
auprès d’un industriel (fabricant ou éditeur) qui va se charger de
recouvrer les coûts de mise en oeuvre et de verser sa cote-part au
bénéfice de l’auteur ou de l’inventeur. Et d’y ajouter, par droit de
monopole, une marge complémentaire pour inciter les auteurs et
inventeurs à “prendre part librement à la vie culturelle de la
communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique
et aux bienfaits qui en résultent” (Déclaration Universelle des Droits
de l’Homme, article 27 - http://www.un.org/french/aboutun/du…)

2 - Un exemple de cet équilibre dans l’architecture de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme

Article 27

1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie
culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au
progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent.
2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels
découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique
dont il est l’auteur.

Article 29

1. L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le
libre et plein développement de sa personnalité est possible.
2. Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés,
chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi
exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des
droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences
de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une
société démocratique.
3. Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer
contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies.

Dans cette architecture juridique, les droits de propriété
intellectuelle qui sont accordés aux auteurs et inventeurs sont une
composante spécifique d’un accord global sur les droits humains, et non
d’un "droit naturel". Ils sont un moyen de la liberté, et doivent en
permanence être rapportés aux "devoirs" afin d’atteindre globalement
les buts et principes des Nations-Unies.

Remarquons que les buts et principes des Nations-Unies pour lesquels
nous devons nous référer concernant l’analyse des menaces qui sont
actuellement portées sur les droits de propriété intellectuelle sont
complétées depuis l’an 2000 par la Déclaration du Millénaire, et ses
objectifs : Réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation
primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation
des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé
maternelle, combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies,
assurer un environnement durable, mettre en place un partenariat
mondial pour le développement... Ce dernier point comprend : "En
coopération avec l’industrie pharmaceutique, rendre les médicaments
essentiels disponibles et abordables dans les pays en développement" et
"En coopération avec le secteur privé, mettre les avantages des
nouvelles technologies, en particulier des technologies de
l’information et de la communication, à la portée de tous".

Dès lors, nous devons évaluer les tentatives des intégristes du droit
d’auteur à la lueur de ces textes internationaux. Est-ce que la
transformation des droits de propriété intellectuelle qu’ils mettent en
avant permet la réalisation de ces objectifs ? Est-ce que faire passser
la propriété intellectuelle d’un droit d’équilibre librement consenti
entre auteurs, inventeurs et la société vers un "droit naturel" de
propriété uniquement au service de l’auteur ou de l’inventeur ne met
pas en danger les Objectifs du Millénaire ?

Nous pouvons aussi les évaluer en regard de la morale publique, comme
nous y incite Victor Hugo :

« Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il
appartient - le mot n’est pas trop vaste - au genre humain. Toutes les
intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de
l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce
serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre
préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant
nous. »

Victor Hugo, 1878 - Discours d’ouverture du congrès littéraire
international. (http://www.freescape.eu.org/biblio/…)

3 - La rupture de l’équilibre organisée par les intégristes du droit
d’auteur

Un courant issu des juristes des pays développés, souvent au service
des grandes entreprises de la communicaiton ou de la pharmacie, a
cherché à imposer depuis une petite vingtaine d’années, une nouvelle
acception du droit de la propriété intellectuelle. Foin d’un droit
d’équilibre, celui-ci deviendrait : "Toute harmonisation du droit
d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de
protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création
intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au
développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des
interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la
culture, des entreprises et du public en général. La propriété
intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de
la propriété" (considérants relatifs à la Directive EUCD du 22 mai 2001
http://eucd.info/directive-2001-29-…).

"Il s’agit d’un progrès décisif dans ce qui représente un dossier d’une
importance vitale", s’est félicité en 2001 le Commissaire chargé du
Marché intérieur, Frits Bolkestein.

Ces références européennes mettent en lumière l’évolution sensible de
ces dernières années, durant lesquelles on passe d’un droit
d’équilibre, soumis aux impératifs de développement et à l’intérêt
général, vers un droit de propriété soumis aux impératifs du commerce.

En ce qui concerne les brevets, on pourrait repérer la même démarche,
qui est au coeur de l’Accord sur les ADPIC (Aspects des Droits de
Propriété intellectuelle touchant au Commerce) signés en 1994 au sein
de l’OMC. (http://www.wto.org/french/docs_f/le…)

Il s’agit, pour les intégristes de la propriété intellectuelle, de
repenser le droit d’auteur et le droit des brevets uniquement en
fonction de l’organisation commerciale du monde.

Ce que les pays en développement n’hésitent pas à considérer comme une
reproduction de la domination à l’heure de la "société de
l’information". 97% des brevets sont déposés par les pays développés,
or l’Accord sur les ADPIC prévoit que tous les pays du monde doivent
harmoniser dès 2005 leurs législations nationales concernant les
brevets sur la base de celles des pays développés.

Considérer la propriété intellectuelle comme une loi naturelle, qui
n’aurait comme seul objectif de promouvoir une économie de la vente de
biens incorporant du travail intellectuel est une transformation
récente. Elle est au coeur du travail de "public-relation" des
intégristes. Suivant leur discours radical, chaque auteur ou inventeur
disposant d’un droit de propriété intellectuelle pourrait à ce titre
avoir la main sur les usages ultérieurs sur son travail. Un peu comme
chacun a le droit d’utiliser les ressources de ses terres ou le
bénéfice de ses usines. Or même dans ces droits de propriété
matérielle, l’évolution sociale permet d’opposer d’autres droits
garantissant l’intérêt général (par exemple le droit du travail ou le
droit de l’environnement). On peut aussi s’interroger sur la façon dont
les intégristes présentent la création ou l’invention. Dans leur
discours, les oeuvres viendraient sur terre grâce au travail
intellectuel de telle ou telle personne ou entité repérable. Or chaque
création ou innovation puise avant tout dans le savoir commun, et
ré-inscrit la connaissance dans une autre création ou invention.
Comment avec une logique de propriété absolue permettre ce chaudron
social, culturel et innovatif ? Est-ce que le semencier qui ajoute un
gène à une plante peut se prévaloir d’un droit supérieur sur la plante
en ignorant le travail multi-millénaire des paysans pour la
sélectionner ? Est-ce que la nécessité de "négocier" en permanence des
droits, souvent rencontrés par hasard dans un chemin créatif ou
d’innovation, est un "encouragement à créer des oeuvres utiles" ? Ou
bien une contrainte malthusienne qui, a terme, va limiter l’expansion
de la connaissance et de la culture ?

C’est Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie qui affirme : "La
propriété intellectuelle n’est pas une loi naturelle, c’est une loi
faite par les hommes pour promouvoir des objectifs sociaux. J’ai
toujours été en faveur d’un régime équilibré de propriété
intellectuelle, or nous avons perdu cet équilibre" (cité par Florent
Latrive, Du bon usage de la piraterie, Ed de l’Eclat, p.20).

En obtenant l’intégration de l’Accord sur les ADPIC au sein de l’OMC,
les intégristes ont réussi un tour de passe-passe prodigieux : les
règles de propriété intellectuelle, destinées à un équilibre pour
l’utilisation des oeuvres de création ou d’innovation, deviennent de ce
fait des éléments pour l’extension du commerce à toute la planète et
sur tous les domaines. Dès lors, les pratiques qui peuvent y devenir
afférentes ne sont plus directement soumises aux règles globales des
Nations-Unies (sur la biodiversité, sur le droit à l’éducation, sur les
objectifs du millénaire, ...) comme y incite la Déclaration Universelle
des Droits de l’Homme, mais deviennent spécifiquement des règles
commerciales. Considérer les droits de propriété intellectuelle comme
des attributs du commerce les soustrait au débat éthique, humaniste et
démocratique mondial.

C’est aussi une raison majeure pour laquelle le "Sommet mondial sur la
Société de l’Information" a choisi de ne pas traiter de la propriété
intellectuelle, laissant ce soin à l’OMC et à l’OMPI. Alors que les
références aux Droits de l’Homme et aux Objectifs du Millénaire
figurent en bonne place, en préambule de la Déclaration de Genève du
SMSI, les questions de DPI sont écartées (de même que celles de la
concentration des médias), renvoyées aux structures multilatérales de
régulation du commerce.

Car dès que la question porte sur les échanges commerciaux, on fait
disparaître les exemptions, exceptions et règles particulières qui sont
le propre des droits de propriété intellectuelle, et qui truffent
toutes les lois les concernant. Le délai de grâce accordé aux pays en
développement pour l’application de l’Accord sur les ADPIC s’est ainsi
clos le 1 janvier 2005. Ce qui soulève une nouvelle vague de
protestation mondiale, notamment en regard de l’Objectif du Millénaire
de l’éradication du virus du SIDA. Le mouvement insiste notamment sur
les contradictions qui apparaissent entre la Déclaration de Doha (2001)
et celle de Cancun (2003) au sein de l’OMC concernant les médicaments
génériques et le droit des pays d’établir des "licences légales
obligatoires" en raison de l’urgence sanitaire et de décider de leurs
modalités d’application.

On trouve de nombreux points contraires aux objectifs du millénaire
dans l’Accord sur les ADPIC

* l’Accord sur les ADPIC, en étendant les régimes de brevets des pays
développés, permettent de breveter des produits, alors que de nombreux
pays, notamment l’Inde, en référence à l’histoire traditionnelle des
brevets, n’autorisaient que des brevets de processus. Ainsi, on pouvait
dans ce pays, obtenir une "molécule" décrite dans un document publié
comme apport de connaissance partout dans le monde (une publication
scientifique ou un brevet). La molécule n’était pas protégée, et il
suffisait à une entreprise indienne d’inventer un processus de
fabrication original. Cette approche a longtemps été celle des pays
développés, et elle n’est tombée en désuétude que très récemment, dans
les années 80, sous l’impulsion conjointe des trusts pharmaceutiques et
agro-chimiques et de la fraction lobbyiste des spécialistes des brevets
(conseils, avocats, gestionnaires de bases de données, membres des
offices de brevets... et même fonctionnaires internationaux de l’OMPI,
dont plus de 70% des revenus proviennent du dépôt des PCT - brevets
mondiaux- ).

* En autorisant le brevetage du vivant, l’Accord sur les ADPIC est
contraire à l’objectif de développement durable, mais aussi de
l’objectif de la Convention sur la Diversité Biologique signée à Rio en
1992 (http://www.un.org/french/ecosocdev/…). De surcroît, les règles
pour caractériser un élément vivant "d’invention" sont très largement
mises en question (il faudrait prouver qu’un agencement spécifique de
nucléotides n’existe pas dans le règne vivant, car dans un tel cas,
nous serions en présence d’une "découverte").

* L’extension permanente des droits sur les variétés végétales
(notamment par l’extension des règles de l’UPOV) transforment le paysan
en un intermédaire qui doit chaque année utiliser de nouvelles
semences, pour lesquelles il doit se fournir auprès des grands trusts
agro-chimiques. Ces règles enlèvent entre autres la capacité des femmes
à assurer les cultures vivrières, avec des effets néfastes sur leur
statut dans les sociétés paysannes, et à terme des conséquences
catastrophiques sur les enfants.

En compléments des quelques points cités ici, on trouvera d’autres
exemples dans le livre "Pouvoir Savoir : le développement face aux
biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle",
(Ouvrage collectif, C&F éditions, 1 avril 2005 -
http://cfeditions.com/pidev).

Dans le domaine de la culture, on retrouve une démarche similaire dans
l’actuelle renégociation de la Convention sur la Diversité Culturelle
(CDC) à l’UNESCO. Ainsi que le considère l’IFLA par la voix de Miriam
Nisbet : "A major continuing concern, however, is the language in many
places in the current draft that shifts the Convention’s focus away
from nurturing cultural expression and towards an emphasis on stricter
enforcement of intellectual property laws. We believe that this tilt is
particularly misplaced in a treaty that derives from a Declaration
calling out for balanced intellectual property laws"
(http://www.mediatrademonitor.org/no…)

Le débat au sein de l’UNESCO porte par exemple sur la proposition B de
l’article 19 : "Nothing in this Convention shall affect the rights and
obligations of the States Parties under any other existing
international instruments.", ce qui voudrait dire que les règles de
protection de la diversité culturelle, qui pourraient être prises par
les Etats ou intégrées dans le texte de la CDC devraient avant tout
chose se conformer aux plus extrêmistes des règles du commerce de la
propriété intellectuelle.

4 - L’Agenda pour le développement

C’est en étudiant les projets des intégristes de la propriété
intellectuelle, qui se manifestent principalement dans des règles
commerciales, à la lueur de la question du développement que nous
obtenons une vision plus éclairante des dangers pour tous de la
politique actuelle.

Leur discours proclamme qu’en acceptant des règles contraignantes dans
leurs rapports aux créations et innovations des pays développés, les
pays en dévelopement pourraient dans le même mouvement "protéger" leurs
propres créations et s’intégrer dans le marché mondial des biens
immatériels. Belles paroles, mais complètement contraires aux faits.
C’est tout l’honneur de John Barton et de son équipe d’avoir été
financés par le Gouvernement britannique pour rendre un rapport
supportant une telle argumentation, et après avoir examiné avec
indépendance la situation réelle, d’avoir conclu que ce n’était pas la
réalité. Ce rapport est un merveilleux outil pour démasquer les
discours faciles en les rapportant aux faits. Et comme dit un proverbe
anglais : "les faits sont têtus". (http://www.iprcommission.org)

Le Brésil et l’Argentine, soutenus par quinze pays en développement,
ont obtenu de l’assemblée pleinière de l’OMPI d’octobre 2004 que soit
ouvert un cycle de négociation portant sur l’impact de la propriété
intellectuelle sur le développement (Proposition de l’Argentine et du
Brésil en vue de l’établissement d’un plan d’action de l’OMPI pour le
développement. 26 août 2004 - http://www.wipo.int/documents/fr/do…).
Une première réunion dite Inter-Sessional Intergovernmental Meeting
(IIM) on a Development Agenda for WIPO s’est tenue du 11 au 13 avril
2005, avec une forte tension entre les divers pays. Pour les pays en
développement, il n’est pas question de céder leur liberté à écrire
leurs propres lois sur la propriété intellectuelle dans le seul but de
satisfaire les intérêts des possédants des entreprises du Nord. Il
s’agit au contraire d’élaborer des lois adaptées à leur situation de
développement, notamment dans les biotechnologies, le logiciel, les
programmes audiovisuels et cinématographiques, ou à la liberté de
favoriser les langues locales dans la création et la diffusion.

Mais à peine cette volonté connue, les offices des brevets des pays les
plus développés tenaient à Washington une conférence destinée à mettre
en place la menace d’une sortie fracassante de l’OMPI.(Wealthy Nations
Move Ahead With Patent Harmonisation, William New, 12 février 2005
http://www.ip-watch.org/weblog/inde…). Loin d’être une menace isolée,
ces mêmes pays ont récidivé à Marrakech en février pour organiser leur
réponse. Dans les deux cas, les revendications des pays en
développement sont marginalisées et l’idéologie des intégristes de la
Propriété intellectuelle reste aux postes de commande. Il n’est pas
jusqu’à la proposition des Etats-Unis de ré-interpréter la demande des
pays du Sud en parlant du développement de la propriété intellectuelle,
et de proposer pour cela la constitution d’une banque de données des
"meilleures pratiques" en la matière (Proposal by the United States of
America for the establishment of a partnership program in WIPO,
http://www.wipo.int/edocs/mdocs/mdo…)

Or l’OMPI est un organisme dépendant des Nations-Unies depuis 1974. A
ce titre, elle doit répondre de la réalisation de la Charte des
Nations-Unies, et des Pactes associés, ainsi que des Objectifs du
Millénaire.

Un large mouvement cherche aujourd’hui à rendre l’OMPI plus proche de
ces objectifs. Ce mouvement est composite. Il comporte des ONG
(notamment l’IFLA, International Federation of Library Associations,
Fédération Internationale des Associations de Bibliothèques
http://www.ifla.org ou CpTech : Consumer Project on Technology -
http://cptech.org), des individus (notamment des universitaires comme
James Boyle, des chercheurs comme Peter Suber, ou Tim Hubbard,
responsable du projet de décryptage du génome humain) et des pays en
développement (Brésil, Chili, Inde en tête). Bien qu’elle recoive la
majeure partie de son financement par les dépôts de brevets, l’OMPI ne
peut continuer à se comporter comme le bras diplomatique d’une seule
partie minoritaire de l’humanité. La "Déclaration de Genève" adoptée
par les acteurs de ce mouvement les 13-14 septembre 2004 rappelle
(Geneva Declaration on the Future of WIPO -
http://www.cptech.org/ip/wipo/genevadeclaration.html ) :

« Une convention de 1967 a cherché à encourager l’activité créative en
mettant en place l’OMPI pour promouvoir la protection de la propriété
intellectuelle. Cette mission fut étendue en1974, quand l’OMPI fut
rattachée aux Nations-Unies, à travers un accord qui demandait à l’OMPI
"de prendre des mesures appropriées pour promouvoir l’activité
créatrice intellectuelle et de faciliter le transfert aux pays en voie
de développement" des techniques "en vue d’accélérer le développement
économique, social et culturel". »

« En tant qu’organisation intergouvernementale, l’OMPI a cependant
épousé une culture qui conduit à la mise en place et à l’expansion des
privilèges de monopoles, souvent sans considération pour leurs
conséquences. L’expansion continuelle de ces privilèges et de leurs
mécanismes coercitifs a entraîné de graves coûts sociaux et
économiques, et a entravé et menacé d’autres systèmes de créativité et
d’innovation. L’OMPI doit permettre à ses membres de prendre la mesure
des véritables conséquences économiques et sociales de l’expansion de
la propriété intellectuelle, et de l’importance d’une approche
rééquilibrée entre domaine public et propriété privée. »

5 - Droits de propriété intellectuelle et Droits de l’Homme.

Un récent texte émanant du WGIG (Working Group on Internet Governance,
un groupe de travail dépendant directement du Secrétariat de l’ONU et
invité à réfléchir en parallèle au SMSI sur la gouvernance de
l’internet et d’élaborer des propositions) montre une nouvelle avancée
des intégristes de la propriété intellectuelle. "The term intellectual
property describes the set of different regulatory concepts that
control the production and usage of intellectual objects."
(http://wgig.org/docs/WP-IPR.pdf) Ecrite d’un point de vue de
techniciens des échanges sur le réseau, cette déclaration annonce avec
naïveté l’objectif : contrôler les usages... ce qui évidemmment ne
figure dans aucune loi sur la propriété intellectuelle.

Comment arriver à contrôler les usages : par le biais de MTP (mesures
techniques de protection), véritables contrats privés insérés dans les
documents numériques (notamment par le biais de DRM, Digital Rights
Management systems) ou dans les produits biologiques “modifiés” (avec
la mise au point de GURTs Genetic Use Restriction Technologies
(Agricultural Biodiversity : Genetic Use Restriction Technologies
(GURTs) 21 décembre 2004 http://www.biodiv.org/programmes/ar…).

Or ces contrats privés automatiques ne sont pas sans poser de graves
problèmes pour l’application de la DUDH, et des autres conventions
internationales :

* les règles de la lecture socialisée (bibliothèques, écoles,...) sont
outrepassées par l’application de contrats automatiques. Les
institutions ne peuvent plus faire lire comme bon leur semble les
documents qu’elle achètent. La conservation et la relecture ultérieure
ne sont plus garantie... ;

* des associations de consommateurs portent d’ailleurs aujourd’hui
plainte pour “vente forcée” contre des entreprises qui utilisent de
tels contrats dans le domaine de la musique en France (Musique en
ligne : l’UFC poursuit Apple et Sony, Estelle Dumout, 14 février 2005,
http://www.zdnet.fr/actualites/inte…) ;

* les droits des individus à ne pas rendre compte des usages privés
qu’ils font des documents qu’il ont régulièrement acquis sont remis en
cause par le développement des MTP ;

* les capacités de tels contrats à outrepasser les règles d’anonymat,
d’identification et de protection contre le traçage se posent
également. Une récente publication du Groupe de Travail "article 29"
sur la protection des données, groupe dépendant de la Commission
européenne, intitulée "Document de travail sur les questions de
protection des données liées aux droits de propriété intellectuelle"
conclut ainsi : "Le groupe de travail est préoccupé par le fait que
l’utilisation légitime de technologies en vue de protéger les oeuvres
pourrait se faire au détriment de la protection des données à caractère
personnel des individus. Pour ce qui est de l’application des principes
de protection des données à la gestion des droits numériques, il a
observé un écart croissant dans les mondes en-ligne et hors-ligne,
surtout lorsqu’on considère le traçage et profilage généralisé des
individus". (http://europa.eu.int/comm/justice_h…)

On ne peut pas contrôler les usages sans finir par contrôler les
utilisateurs !

6 - La naissance d’un nouveau mouvement mondial

La société civile en liaison avec certains pays en développement
commence à construire un véritable mouvement mondial sur les questions
de propriété intellectuelle. Ce débat sort maintenant des cercles
spécialisés, souvent monopolisés par les juristes, afin de devenir un
réel débat politique de société dans lequel les citoyens peuvent
apporter leur point de vue. "Les traités et conventions, flanqués de
leurs sigles, se multiplient - ADPIC, IT, CDB... - laissant le citoyen
face à un mur d’opacité. Il y a 6 ans, des associations militantes,
dénonçant les ravages dont le projet d’Accord multilatéral sur
l’Investissement (AMI) était porteur, réussissaient à faire sortir la
finance et l’économie internationale de leur confidentialité et de leur
soi-disant difficulté technique pour les restituer aux citoyens non
experts. Aujourd’hui c’est un travail équivalent qui est devant nous :
les droits de propriété intellectuelle, comme tout appareil juridique,
ne sont que la traduction d’une certaine vision du « vivre ensemble »
et des règles nécessaires au bon fonctionnement de ce dernier. Il ne
s’agit pas de transformer chaque citoyen en juriste spécialisé en
propriété intellectuelle, mais de donner les éléments de compréhension
essentiels du projet politique qui se construit derrière l’appareil
juridique." (Valérie Peugeot -Information, connaissance et pouvoir -
http://www.vecam.org/article.php3 ?...)

Ce mouvement mondial qui se développe porte son drapeau bien haut dans
l’intitulé même du projet qui réunit de nombreuses associations :
"a2k : access to knowledge - Le libre-accès à la connaissance".

Il s’agit pour ce mouvement, qui est déjà à l’origine de la Déclaration
de Genève de septembre 2004, de ré-introduire l’équilibre dans les
droits de propriété intellectuelle, et de promouvoir les intérêts de la
société humaine mondiale pour l’accès à la connaissance.

Ce mouvement est vivant de son large spectre, de ses moyens divers, de
ses partenariats souples. Au coeur des rencontres on trouve à la fois
des associations de consommateurs (CPTech, Consumer Project on
Technology), des bibliothécaires (IFLA - International Federation of
Library Associations) ou des mouvements de réflexion émanant du Sud
(Thirld World Network ou South Center). Autour d’elles, ces trois
froces motrices ont su regrouper de nombreuses associations, ONG et
personnalités.

* Les bibliothèques, au travers de l’IFLA, y jouent un rôle
prépondérant. Elles demandent l’élargissement du domaine public, et la
capacité des bibliothèques à réaliser dans le nouvel environnement
numérique leur mission d’offrir le libre accès au savoir en dehors des
règles du marché et de l’emprise idéologique (religieuse, politique) en
respectant toutes les populations (notamment les femmes et les enfants
et les groupes marginalisés ou handicapés) ;

* Les associations de consommateurs, qui s’inquiètent de la main-mise
sur les usages privés (autour de CpTech, on trouve aussi le TACD
TransAtlantic Consumer Dialogue) ;

* Les chercheurs défendant le libre-accès tant aux publications
(Déclarations de Budapest et de Berlin) qu’aux données scientifiques
elles-mêmes (décryptage génétique, données expérimentales, transparence
des essais médicaux,...) en sont largement partie prenante ;

* Les auteurs qui veulent promouvoir du "domaine public consenti" au
travers des licences de type Creative commons ou Art Libre ;

* Les défenseurs de la vie privée, qui veulent éviter le traçage des
lectures des individus, par les DRM ou le "Broadcast flag" ;

* Les pays en développement qui souhaitent disposer d’une marge de
manoeuvre pour réaliser un décollage industriel en s’appuyant sur la
connaissance et le savoir-faire déjà inscrit dans les modes industriels
et universitaires des pays développés ;

* Les mouvements paysans contre le brevetage du vivant, qui dénoncent
notamment la main-mise économique sur leurs activités que représente
l’agro-industrie et les OGM. Un point très sensible dans les pays où
les surfaces réduites, la production familiale et vivrière sont la
règle, comme en Inde ;

* Les artisans du logiciel libre, de plus en plus rejoins par les pays
en développement. Le Brésil est aujourd’hui un acteur majeur de la
promotion des logiciels libres et de leur usage pour l’éducation et
l’extension des accès numériques pour les plus démunis.

Ce mouvement, fort de sa diversité et de sa capacité à couvrir
l’ensemble des domaines liés à la propriété intellectuelle, cherche
actuellement à écrire collectivement un "Traité pour le libre-accès à
la connaissance", afin de le soumettre à l’OMPI et à ses Etats membres.
L’objectif de ce traité est indiqué dans son l’article 1 : "The
Objectives of this treaty are to protect and enhance [expand] access to
knowledge, and to facilitate the transfer of technology to developing
countries" (formulation provisoire, une rencontre ayant lieu
prochainement à Londres pour peaufiner la rédaction. On peut suivre les
débats et participer à l’élaboration de cette proposition de Traité à :
http://lists.essential.org/mailman/…)

C’est à ce mouvement naissant que je vous invite à participer.

En plaçant "l’accès à la connaissance" en tête des préoccupations
d’égalité dans le monde des biens immatériels, ce mouvement nous permet
de disposer d’une grille d’analyse et de proposition qui devrait nous
permettre de défendre la conception sociale d’origine des Droits de
Propriété intellectuelle en recréant de l’équilibre et en
ré-introduisant la dimension humainste et culturelle de cet appareil
juridique.

C’est parce que nous visons à l’extension de la connaissance, de la
culture, de l’échange et du respect mutuel, et dans ce cadre à
l’extension de la citoyenneté et de la démocratie, que nous protégerons
les auteurs, les inventeurs, et les professions qui font vivre la
culture et la connaissance, en leur permettant d’utiliser l’ensemble
des connaissances disponibles sur toute la planète, pour participer à
leur tour à l’élaboration d’une culture de Paix et d’Egalité, et d’y
trouver une juste récompense par un accord mutuel concernant l’ensemble
de la société afin que soit encouragée "la création d’oeuvres utiles".

Hervé Le Crosnier

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Déclaration de Genève sur le futur de l'Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle

Traduction française de l'original anglais

L'humanité fait face à une crise mondiale de la gouvernance du savoir,
des technologies et de la culture. Cette crise se manifeste de
plusieurs façons :

[A la suite de ce message, vous trouverez l'appel d'offre en question diffisué sur e-med e 5 avril 2005.]

La coordination du projet ECC IMA /PMURR annonce par la présente que la date limite du dépôt des offres de l'avis d'appel que nous avons publier par le reseau présent est repoussée au 06 juin prochain. Les soumissions accompagnées des frais y afférents seront les seules à être prises en compte.

Gaby BUKASA KALEKA
gabybukasakaleka@yahoo.com
Pharmacist
Master in Public Health
S/C ECC - IMA/PMURR
75, av. de la justice
Knshasa/Gombe
DRC
tél. +243 97312502