[e-med] Les pens�es d�rangeantes dun pharmacien indien

E-MED: Les pens�es d�rangeantes d�un pharmacien indien
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Les pens�es d�rangeantes d�un pharmacien communautaire indien sur l��thique
professionnelle
Par Raj Vaidya M., Pharmacien

  Je suis un pharmacien communautaire et debout derri�re mon comptoir, je
suis souvent confront� � de s�rieux dilemmes et � des obstacles alors que je
d�livre des m�dicaments, avec ou sans ordonnance. Ces m�mes pens�es me
poursuivent le soir lorsque je m�allonge sur mon lit. Je suis li� par une
certaine �thique dict�e par l�association pharmaceutique � laquelle j�
appartiens et par le dipl�me de pharmacien que j�ai accroch� fi�rement dans
mon officine lorsque j�ai commenc� � pratiquer.

  Je me sens �galement li� par mon sens de la morale : parfois j�y souscris,
parfois non. Ma conscience me " rattrape " chaque fois que je choisis de m�
en �carter. Lorsque les deux ne font pas bon m�nage, je suis pris en
tenaille.

Des nombreuses publicit�s vantent les qualit�s des m�dicaments dits
ayurvediques � du genre antistress, traitement du diab�te, m�dicaments
�nergisants,amaigrissants, produits pour augmenter la masse musculaire, etc.
  Alors, dois-je �tre honn�te avec le patient et lui dire que ce ne sont que
des attrape-nigauds (des poudres de perlimpinpin) plut�t que des produits de
sant� ? Que ces publicit�s visent plus la rentabilit� des industriels que sa
sant� ? Si je ne lui dis pas, il ach�te le m�dicament et cela me rapporte
sur le plan �conomique. Moralement, je ne suis pas satisfait. Mon devoir,
li� � mon dipl�me de pharmacien a failli.
  L��thique en prend un coup parmi les belles promesses faites par les
publicistes qui envo�tent le public au point d�acheter des produits dont il
n�a pas besoin !

Des tentatives r�centes pour permettre la vente libre de certains
m�dicaments (OTC).

� les vitamines � On me demande souvent quelles vitamines sont les plus
efficaces. Moi, je r�ponds qu�une bonne nourriture saine et �quilibr�e est
plus efficace et qu�aucune r�f�rence m�dicale ne recommande les pr�parations
de multivitamines. Le patient a du mal � croire cela. Il est conditionn� par
les publicit�s vantant les qualit�s des vitamines. Le pharmacien a encore
�chou�.

� Les sirops pour la toux � les sirops les plus r�pandus contiennent � la
fois un antitussif et un expectorant, combinaison irrationnelle. Mon
honn�tet� me dit que je ne devrais pas recommander cela � un patient. Mais
au lieu de le retirer du march�, on projette de le mettre en vente libre. La
population est malheureusement tr�s influenc�e par la publicit� et les gens
sont pr�ts � acheter des produits m�me � l�encontre de mes conseils.
Pourquoi ? Il semble que ce qui appara�t dans la publicit� devient une
r�f�rence pour tous (m�me si le produit est irrationnel ou inutile) et doit
forc�ment �tre bon! Bonjour l��thique dans le marketing.

Des multiprescriptions irrationnelles

Qu�est-ce que je fais lorsque on m�apporte une ordonnance contenant 10
m�dicaments ? L��thique veut que je ne dise rien au patient, surtout pas que
l�ordonnance est irrationnelle, car je doit respecter la d�cision du
m�decin. � S�il a prescrit tous ces m�dicaments, c�est qu�il pense que son
patient en a besoin�.

  Mais, je sais que l�ordonnance est irrationnelle et que moralement, je
devrais dire au patient qu�il n�a pas besoin de la majorit� de ces
m�dicaments. Ils ne figurent ni sur la liste de m�dicaments essentiels
publi�e par l�OMS, ni sur notre liste nationale de m�dicaments essentiels
(celle-ci existe, mais personne ne s�y r�f�re). Moi, je connais les
principes de l�utilisation rationnelle de m�dicaments, mais que faire ? Que
choisir ? Qui peut me r�pondre ?

  Je sais que le m�decin doit avoir ses raisons de prescrire ces 10
m�dicaments et je fais plusieurs hypoth�ses :
a) Il pense vraiment que c�est pour le bien du patient qui a besoin de tous
ces m�dicaments,
b) Il veut donner l�impression au patient qu�il est un bon docteur en lui
prescrivant beaucoup de m�dicaments,
c) Il doit soutenir les firmes pharmaceutiques puisqu�elles lui ont offert
cadeaux et �chantillons, sponsoris� ses voyages professionnels et de
vacances, etc.

  Mettant les 10 m�dicaments ensemble, je trouve beaucoup de possibilit�s d�
interactions et d�effets ind�sirables. Devrais-je avertir le m�decin ? Le
patient pourrait craindre les effets ind�sirables et ne pas prendre les
m�dicaments, perdre confiance en son m�decin et celui-ci viendrait m�
�trangler pour avoir perturb� sa pratique et caus� des probl�mes. Est-ce que
cela l�inciterait � prescrire seulement deux ou trois m�dicaments � l�avenir
si je lui faisais remarquer les interactions entre m�dicaments ? Devrais-je
prendre cette position audacieuse et le lui signaler � chaque occasion ? Ou
devrais-je plut�t laisser cela aux organisations de m�decins et pharmaciens
(en esp�rant qu�il y ait un changement rapidement).

Quelles r�ponses donner aux patients ?

� Lorsque le m�decin prescrit serratio-peptidase ou trypsin-chymotrypsine,
et que le patient me demande �� quoi sert ce m�dicament�, que dois-je
r�pondre ? Faut-il dire que c�est pour r�duire l�inflammation ou faut-il
dire que son utilit� n�a jamais �t� prouv�e par des essais cliniques.

� Que r�pondre lorsque le patient me demande si un m�lange de Vitamine
B1+B6+B12 est bon pour les nerfs ? Dois-je dire oui ou non ?

� Quand les m�decins prescrivent norfloxacin�tinidazole et
ciprofloxacine�tinidazole ensemble comme antidiarrh�iques et que le patient
me demande � quoi servent ces m�dicaments� Devrais-je leur dire que des
infections diff�rentes se produisent rarement ensemble et que la plupart des
diarrh�es sont virales et gu�rissent g�n�ralement sans m�dicament ? Et si,
en posant des questions, j�apprends que les selles du patient ne contiennent
ni sang ni mucosit�, ai-je de quoi justifier de cette th�rapie � coup de
canon �, contenant des antibiotiques � large spectre et des antiamibiens �
sans analyse des selles ?

� Que dois-je faire lorsqu�un patient vient me voir avec une infection de la
gorge et une toux en insistant pour que je lui donne des antibiotiques. Il
ne veut pas aller voir un m�decin pour des raisons diverses (peut-�tre le
co�t �lev�). L'�thique professionnelle m�incite � lui dire de consulter un
m�decin, car je ne suis pas habilit� � donner un antibiotique sans une
ordonnance. Le patient ira ensuite voir le docteur d�� c�t�, payera cher. Il
recevra une ordonnance pour ciprofloxacine ou sparfloxacine ou cefdroxil,
sans analyse, ni test de sensibilit�, du dextrometorphane, un anti-oxydant
et peut-�tre un compos� multivitamin� ou un tonique. Il n�aura pas assez d�
argent pour le tout, alors il prendra le tonique et une partie des
antibiotiques et probablement ne reviendra pas pour le reste.

  Aurait-il fallu plut�t examiner moi-m�me la gorge du patient avec une lampe
et pour l�infection suspect�e lui donner de l�amoxicilline � prendre pendant
6 jours, avec des gargarismes d�eau ti�de sal�e, du repos, des inhalations,
lui recommander de boire beaucoup d�eau ti�de pour liqu�fier les glaires et
aider ainsi l�expectoration ? En cas de toux, je lui aurais dit de prendre
du jus de citron vert m�lang� � du gingembre et du miel. Sans honoraires.
Combien aurait-il �conomis� en termes d�argent (sans parler de la moindre
toxicit� potentielle et du moindre co�t des antibiotiques) ?

Ca c�est l�honn�tet� ! Mais, malheureusement, je dois suivre l��thique de la
profession et pas la morale.

  Imaginez la piti� qui me remplit le c�ur lorsque le m�decin prescrit
ceftibuen suspension (tr�s co�teux) pour un enfant, sans un test de
sensibilit� et sans essayer d�abord des antibiotiques de premi�re ligne,
simplement parce que le visiteur m�dical a demand� au docteur de l�aider �
liquider le stock avant la date d�expiration � la fin du mois ! Comment
puis-je en �tre complice ?

  C�est vraiment un dilemme. Je me demande si je peux �tre fier d��tre
pharmacien, quand tout ce que je vois autour de moi (et m�me ce que je fais
parfois�) consiste en la promotion de m�dicaments non-essentiels, nouvelles
mol�cules co�teuses (sans avantages particuliers), mis sur le march� et
promus par des campagnes de marketing extravagantes et des d�penses
d�mesur�es � sans surveillance apr�s lancement. Quand j�en parle aux chefs
de produits, ils n�ont qu�un mot � la bouche �vendre�, et la sant� des gens
arrive derri�re tout �a!

  Parfois je me dis que je serais mieux loti si j�ignorais tout cela, si j�
�tais un simple dipl�m� en pharmacie, sans avoir � apporter conseil ni
r�flexion clinique : d�livrer l�ordonnance telle que le m�decin l�a
prescrite et le patient d�sire. Jusqu�� quel point serais-je en accord avec
ma morale si cela voulait dire ne plus pouvoir subvenir aux besoins de ma
famille ? Cette profession en Inde n�a pas de place pour des gens comme moi.
Ne serait-il pas pr�f�rable pour moi de quitter cette profession et de
monter une �picerie ? Au moins je pourrais �tre en accord avec moi-m�me.

Raj Vaidya M., Pharmacien
Journal de ReMeD n�23

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