[e-med] "Les plus beaux jours de la santé sont devant nous" (DG de l'OMS à l'AMS)

Les plus beaux jours de la santé sont devant nous
Dr Margaret Chan
Directeur général de l'OMS
Allocution à la Soixante-Cinquième Assemblée mondiale de la Santé
Genève, Suisse
21 mai 2012
http://www.who.int/dg/speeches/2012/wha_20120521/fr/

Madame le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les délégués, Mesdames et Messieurs,

C’est la sixième fois que je m’exprime devant l’Assemblée de la Santé en
qualité de Directeur général et je suis encore intimidée. Mais j’ai
d’importants messages à transmettre.

Dans le domaine de la santé publique, on donne parfois des qualificatifs
aux décennies. Les années 1970 furent des années d’espoir, dont le
mouvement de la santé pour tous a marqué le point culminant sous la
direction du Dr Mahler. À cet espoir ont rapidement succédé une crise
pétrolière, une crise de la dette, une récession économique et
l’imposition de programmes d’ajustement structurel, qui ont obligé les
gouvernements à réduire les budgets consacrés aux services sociaux, y
compris à la santé.

Les années 1980 ont été appelées «la décennie perdue» pour le
développement. Après une longue période de progrès réguliers, de nombreux
pays en développement sont retombés dans une pauvreté plus grande encore.
Manquant cruellement de fonds, les services de santé ont commencé à se
désagréger.

La décennie suivante a hérité de ces séquelles. À quelques exceptions
près, les progrès en santé publique ont été lents pendant les années 1990,
la santé étant considérée comme une dépense plutôt que comme un
investissement.

La première décennie du XXIe siècle a elle aussi reçu une appellation.
Beaucoup y voient «l’âge d’or du développement sanitaire» et ils ont
raison. Pour la première fois, la santé est devenue une priorité du
développement, grâce à l’action du Dr Brundtland, et notamment du rapport
sur la macroéconomie et la santé établi à sa demande.

Au début de la décennie, les objectifs du Millénaire pour le développement
ont montré à quel point avait changée la conception de la santé, qui
n’était plus considérée comme une charge pesant sur les ressources mais
comme un facteur de progrès socio-économique.

Lors de cet âge d’or, les gouvernements des pays donateurs et des pays
bénéficiaires ont inscrit la santé au premier rang des priorités. Les
montants consacrés au développement sanitaire ont plus que triplé et
d’importants résultats ont été obtenus, notamment en ce qui concerne la
mortalité due au VIH/sida, à la tuberculose, au paludisme et aux maladies
de l’enfant.

Les objectifs du Millénaire pour le développement ont impulsé une
ingéniosité et une créativité extraordinaires qui ont laissé de nombreuses
innovations en héritage. La liste est longue: vaccins, médicaments et
produits de diagnostic nouveaux, nouveaux moyens d’encourager la
recherche-développement concernant les maladies qui touchent les personnes
démunies et nouveaux modes de financement du développement sanitaire comme
l’Alliance GAVI, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose
et le paludisme, et UNITAID.

Cette décennie a pris fin, et certains observateurs vous diront que l’âge
d’or du développement sanitaire a pris fin avec elle. Les pessimistes
affirment ce que beaucoup pensent être vrai: la crise financière a
annihilé la plus grande chance qu’on ait jamais eue de réduire la pauvreté
et de rendre le monde plus juste et plus équilibré.

Je ne suis pas du tout d’accord avec eux. Je pense que les plus beaux
jours de la santé sont devant nous, pas derrière nous.

Certes, il y a peu d’argent et les perspectives économiques sont
incertaines. Les responsables sanitaires, les partenaires de développement
et l’OMS sont économes. L’argent est important, mais il y a de nombreux
autres facteurs de progrès en santé publique.

Lors de mes récents séjours dans les pays, j’ai vu des exemples de
réussite motivants. Les réalisations remarquables constatées dans les pays
m’incitent à l’optimisme. La dynamique sans précédent en faveur de la
santé qui a marqué le début du siècle se maintient, bien que sur des bases
différentes, parfois plus solides encore qu’auparavant.

Mesdames et Messieurs, on constate une fois de plus l’importance de
l’adhésion pleine et entière et du leadership des pays. L’Inde n’aurait
jamais pu changer radicalement les perspectives d’éradication de la
poliomyélite si le gouvernement n’avait pas eu l’entière maîtrise du
programme. Le gouvernement indien mérite nos félicitations pour cette
immense victoire.

Grâce à la détermination du Ghana d’éradiquer la dracunculose, celle-ci ne
résiste plus que dans un dernier bastion, au Soudan du Sud. Durant le
premier trimestre de 2012, le nombre de cas a diminué de 67% par rapport à
l’année dernière et l’on n’en compte plus maintenant qu’un peu plus d’une
centaine.

Je me suis rendue en Namibie en avril dernier. Le ministre de la Santé de
ce pays, spécialiste de la lutte antivectorielle, dirige un groupe de huit
pays africains limitrophes déterminés à agir ensemble pour éliminer le
paludisme dans les années qui viennent. Pour les guider dans cette voie,
l’OMS leur a fourni un jeu complet de manuels techniques pour le
dépistage, le traitement et l’identification des cas.

Ces pays sont ambitieux. Ils sont déterminés. Ils sont parfaitement
conscients de l’ampleur de la tâche, mais leurs chances de succès sont
bonnes.

Le mois dernier, je me suis aussi rendue en Oman, où l’on m’a présenté le
résultat d’une initiative conjointe de l’Union européenne et de l’OMS
destinée à renforcer les moyens qu’a ce pays de faire face aux flambées
épidémiques et aux catastrophes naturelles. C’est un excellent exemple
d’approche réunissant l’ensemble du Gouvernement, plus de 30 secteurs et
services gouvernementaux ayant coopéré ensemble pour accroître la capacité
du pays à surmonter l’adversité.

Dans son combat pour imposer le conditionnement neutre d’un produit
mortel, l’Australie mène la résistance à l’offensive lancée dernièrement
par l’industrie du tabac. Aucun gouvernement cherchant à appliquer des
mesures qui protègent la santé de la population ne devrait se laisser
intimider par un secteur industriel, surtout celui ayant la réputation des
multinationales du tabac.

Lors des négociations sur la préparation en cas de grippe pandémique,
l’Indonésie, et beaucoup d’autres à ses côtés, a fait campagne pour un
système plus juste et plus équitable qui partage les responsabilités et
garantisse l’accès aux avantages sur un pied d’égalité. Il en est ressorti
un cadre d’un type nouveau qui élargit la coopération classique entre les
différentes branches du secteur public concernées par la santé à des
contributions annuelles et des engagements fermes du secteur privé, au nom
de la santé.

Compte tenu de mon attachement à la cause des femmes, je suis
reconnaissante aux pays scandinaves et au Canada de l’action qu’ils mènent
sans relâche en faveur de l’autonomisation des femmes, de la parité des
sexes et des droits de l’homme, et de l’exemple qu’ils donnent.

Dans plusieurs études récentes, il est conseillé à la communauté
internationale de se tourner vers les pays du groupe BRICS, à savoir le
Brésil, la Fédération de Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud,
pour maintenir la dynamique en faveur de la santé. Ces pays sont devenus
les plus gros fournisseurs de médicaments essentiels sous une forme
générique abordable, pour le plus grand bien du monde en développement.
Les pays du groupe BRICS proposent aussi un autre modèle de développement
sanitaire, qui passe notamment par le transfert de technologie, fondé
davantage sur des partenariats entre parties égales que sur la relation
traditionnelle entre donateur et bénéficiaire.

Certains de ces pays ont besoin d’un appui pour rehausser les critères de
qualité et améliorer le contrôle réglementaire. L’OMS leur fournit cet
appui. L’année dernière, à l’issue d’une longue collaboration technique,
l’OMS a présélectionné l’administration publique chinoise de contrôle des
médicaments et des produits alimentaires. Une fois les vaccins
présélectionnés par l’OMS, la capacité du pays à produire un grand nombre
de vaccins à des prix très bas révolutionnera l’approvisionnement en
vaccins et leur prix.

Je suis aussi encouragée par l’importance accordée à la santé au sein de
nombreuses unions politiques et économiques régionales, ainsi que par des
organismes internationaux.

En novembre dernier, j’ai pris la parole devant les membres du Conseil de
Sécurité des Nations Unies. J’ai appelé leur attention sur la menace que
représentent les maladies émergentes et potentiellement épidémiques et je
les ai rassurés. L’OMS utilise un système élaboré de surveillance
électronique pour rassembler des données sur les maladies en temps réel.
Nous sommes rarement pris au dépourvu. L’OMS peut organiser une
intervention internationale en 24 heures. C’est grâce à votre soutien au
sein du Réseau mondial d’alerte et d’action en cas d’épidémie, mais aussi
grâce aux moyens qu’ont nos bureaux de pays d’obtenir des visas, de
faciliter le passage des fournitures à la douane et de coordonner chaque
étape avec le ministère de la santé. Aucun autre organisme ne peut le
faire.

Vous êtes saisis d’un rapport sur les progrès accomplis dans la mise en
place des principales capacités nécessaires pour appliquer le Règlement
sanitaire international (2005). Je compte sur vous pour nous donner des
indications et des conseils qui aideront à mettre pleinement en œuvre le
RSI.

Mesdames et Messieurs, nous voyons l’OMS à l’œuvre comme chef de file,
obtenant souvent des résultats considérables avec des moyens modestes mais
intelligemment ciblés.

En Afrique, l’introduction du nouveau vaccin contre la méningite, mis au
point dans le cadre d’un projet coordonné par l’OMS et [ndr:
l’organisation internationale sans but lucratif] PATH, offre la
perspective de mettre un terme aux épidémies saisonnières dans la ceinture
africaine de la méningite. Le retour sur investissement sera énorme. Un
seul cas de méningite peut engloutir l’équivalent de trois à quatre mois
de revenu familial. La mise sur pied d’une campagne de vaccination
d’urgence en cas d’épidémie peut absorber jusqu’à 5% du budget national de
la santé.

Le rôle de chef de file joué par l’OMS a permis de mettre les maladies
tropicales négligées sous le feu des projecteurs. Le cas de ces maladies
longtemps ignorées et retenant insuffisamment l’attention illustre bien
tout ce qui peut être fait avec des moyens très limités.

En janvier, une firme pharmaceutique s’est engagée à multiplier par 10 sa
contribution à la prévention de la schistosomiase pour atteindre 100
millions de traitements préventifs annuels d’ici 2016.

L’OMS administre la distribution de la majorité des dons de médicaments
destinés à lutter contre les maladies tropicales négligées. Avec
l’engagement de janvier, elle est désormais en mesure de protéger tous les
enfants africains d’âge scolaire exposés au risque schistosomien.

Nous pouvons couvrir l’Afrique par des médicaments permettant de
débarrasser chaque écolier des parasites qui limitent leur capacité
d’assimilation des connaissances et leur développement cognitif, et
compromettent leur état nutritionnel. Il s’agit d’un don qui aura des
effets sur leur santé mais aussi sur les secteurs de l’éducation et de la
nutrition.

L’an dernier, l’OMS a recommandé l’interdiction des tests sanguins
commerciaux peu fiables et coûteux censés permettre le diagnostic de la
tuberculose évolutive. La semaine dernière, le pays qui avait le plus
recours à ces tests – effectués surtout par des praticiens privés – a
annoncé l’introduction d’une loi les interdisant au plan national. Plus
d’un million de ces tests sanguins aux résultats trompeurs sont effectués
chaque année, présentant souvent de grands risques et occasionnant des
frais considérables pour les patients – jusqu’à 30 dollars par test
effectué. Songez à l’économie qui est réalisée.

Après la publication du Rapport sur la santé dans le monde, 2010 sur le
financement des systèmes de santé, plus de 60 pays ont demandé à l’OMS un
appui technique en faveur de leurs plans de couverture universelle.

Nous observons une évolution qui va à l’encontre de la tendance historique
d’une diminution des services sociaux en période de vaches maigres. Cette
extension de la couverture est à mon sens révélatrice. Malgré l’austérité
financière croissante, la volonté de faire ce qui est juste et équitable
pour la santé individuelle finit par s’imposer.

Tous ces exemples, toutes mes expériences personnelles au cours des cinq
dernières années m’amènent à une conclusion dominante : la couverture
universelle en matière de santé constitue le concept le plus efficace que
la santé publique puisse offrir.

La couverture universelle intéresse chaque être humain. Elle permet
d’abolir les distinctions entre riches et pauvres, privilégiés et
marginaux, jeunes et vieux, hommes et femmes, ainsi qu’entre les
différents groupes ethniques.

La couverture universelle est le meilleur moyen de pérenniser les progrès
réalisés au cours de la décennie précédente. Elle est l’expression ultime
de l’équité. Elle permet d’ancrer l’action de l’OMS à mesure que nous
allons de l’avant.

Mesdames et Messieurs, ces exemples constituent pour moi personnellement
un grand motif d’optimisme à une époque que beaucoup considèrent comme
particulièrement sombre. Ils offrent aussi des perspectives sur les
stratégies et approches qui contribueront à maintenir l’élan en faveur de
la santé au cours des années à venir.

Je distingue trois axes principaux.

Premièrement, il faut revenir à ce qui est fondamental – les soins de
santé primaires, l’accès aux médicaments essentiels et la couverture
universelle. Il faut privilégier les solutions peu coûteuses. Favoriser
une soif d’efficacité et l’intolérance face au gaspillage. Quand un
gouvernement s’engage en faveur de la couverture universelle, il se
préoccupe tout particulièrement du gaspillage et de l’inefficacité. Il
privilégie les solutions économiques. Au niveau international, cela
signifie qu’il faut se prévaloir d’initiatives comme le Partenariat
international pour la santé (IHP+) et l’Harmonisation pour la santé en
Afrique.

Cela signifie qu’il faut rationaliser et intégrer les programmes de santé
comme on le fait avec les plans visant à assurer que tous les nouveau-nés
échappent à la contamination par le VIH. Cela signifie que les pays
doivent être aux commandes et prendre eux-mêmes toutes les décisions
concernant la santé de leur population. C’est ainsi que les gouvernements
pourront jouir de la confiance des citoyens et de l’électorat. Cela
signifie que les bureaux de l’OMS dans les pays doivent servir à favoriser
le dialogue et la coordination politiques et veiller à ce que l’aide au
développement de la santé engage les pays sur la voie de l’autonomie. Une
aide positive est acheminée de manière à renforcer l’infrastructure et les
capacités existantes. Une aide positive a pour finalité d’éliminer la
nécessité d’une assistance future.

Deuxièmement, à mesure que les attentes de la population augmentent, que
les coûts explosent et que les budgets rétrécissent, nous devons plus que
jamais privilégier l’innovation. Et pas n’importe quelle innovation.
L’innovation est surtout salutaire quand elle répond aux préoccupations et
aux besoins de la société et pas seulement aux perspectives de profit. De
nos jours, le véritable génie de l’innovation réside dans la simplicité.

Il ne s’agit pas de privilégier la haute technicité mais la frugalité, à
savoir une innovation stratégique visant à favoriser des interventions
susceptibles de modifier le cours des choses et explicitement fondées sur
une utilisation simple et des coûts abordables. Nous assistons à une
nouvelle vague d’innovation dont je suis certaine que les membres de la
Commission des Déterminants sociaux de la Santé se féliciteraient. Il
s’agit d’envisager non seulement les causes des maladies évitables, mais
les raisons profondes au-delà de ces causes. Permettez-moi d’exprimer ma
satisfaction devant les résultats de la réunion de l’an dernier sur les
déterminants sociaux, qui a eu lieu à Rio de Janeiro, au Brésil.

La dystocie est une importante cause de décès chez les jeunes femmes et
les adolescentes. Les raisons profondes en sont la pauvreté et les
systèmes de santé affaiblis par le manque de médicaments, de matériel et
de personnel compétent, et par des moyens de transport insuffisants. Le
dispositif Odon mis au point par l’OMS qui en est actuellement au stade
des essais cliniques offre une solution simplifiée et peu coûteuse pour
protéger l’enfant et la mère en cas d’accouchement laborieux. Il permet de
transférer la capacité de sauver des vies aux postes de santé ruraux qui
ne disposent pratiquement jamais des moyens et du personnel nécessaires
pour un accouchement par césarienne. S’il est approuvé, ce dispositif
deviendra le premier outil nouveau simple d’accouchement assisté depuis
l’introduction du forceps et de la ventouse obstétricale, il y a plusieurs
siècles.

Mais s’il faut promouvoir les soins de santé primaires et la couverture
universelle, la qualité des soins cliniques ne doit pas être affectée par
la dégradation des perspectives économiques. Les soins de santé primaires
ne sont pas des soins de deuxième catégorie et ne doivent pas constituer
une version au rabais de ce qu’on peut obtenir auprès du secteur privé
lorsqu’on en a les moyens. Nous ne devons jamais oublier l’importance des
soins cliniques de haute qualité. Ici aussi, la simplicité dans
l’innovation contribue à améliorer la situation.

Il y a quelques années à peine, l’OMS estimait que les erreurs
chirurgicales étaient à l’origine d’un million de décès annuels environ
dans le monde. Pour faire face à ce problème, elle a adapté une liste
toute simple utilisée par les pilotes dans les transports aériens – l’une
des industries les plus sûres au monde. La liste de contrôle de la
sécurité chirurgicale introduite par l’OMS en 2008 a été largement
appliquée depuis et a permis de réduire sensiblement le nombre des erreurs
commises. Les études semblent indiquer qu’une application complète
permettrait d’éviter près de la moitié de ces décès annuels. Sur la base
de ce succès, l’OMS a mis au point une liste de contrôle pour la sécurité
de l’accouchement afin de réduire la charge énorme des décès évitables de
la mère et du nouveau-né, surtout en situation économique précaire.

À quoi cela sert-il d’offrir des soins maternels gratuits et d’obtenir une
proportion élevée de naissances en établissement si la qualité des soins
laisse à désirer ou est même dangereuse? Une étude pilote sur la liste,
effectuée en Inde et publiée la semaine dernière, a fait apparaître une
augmentation de 150% de l’observance des pratiques cliniques acceptées
pour les soins maternels et périnatals en établissement. Tout cela sans
investissements supplémentaires. Une simple liste de contrôle sur une
feuille de papier, comme celle qu’utilisent les pilotes à bord des avions.
Un essai contrôlé randomisé de grande envergure en cours vise à quantifier
l’impact sur la réduction de la morbidité et de la mortalité, mais les
résultats ne seront connus que dans quelques années. En attendant, l’OMS
publiera bientôt la liste dans le cadre d’un appel en vue d’une recherche
collective.

Il y a une autre bonne raison d’encourager l’innovation frugale.
Contrairement à ce qui est le cas avec d’autres avancées technologiques –
dans l’informatique ou la téléphonie mobile, par exemple –, les progrès
dans les produits médicaux s’accompagnent presque toujours d’une
complexité accrue et d’une forte hausse des prix. La première accentue
encore la seconde, car elle rend nécessaire de disposer d’une main-d’œuvre
très qualifiée.

Le moment vient alors où l’on se heurte à un mur: la situation est telle
qu’il devient trop onéreux, même pour les pays riches, de soigner les
personnes souffrant de maladies non transmissibles, notamment le cancer,
ou de troubles mentaux, en particulier les personnes âgées atteintes de
démence. Afin de contrer cette tendance, l’OMS a lancé une initiative
destinée à élaborer des dispositifs d’assistance à l’intention des
personnes âgées, qui représentent une part croissante de la population
mondiale. Il s’agit par exemple de concevoir des téléphones mobiles
adaptés aux personnes atteintes de déficiences visuelles, ou encore des
prothèses auditives robustes à faible coût.

L’accessibilité économique est importante, mais aussi la simplicité et la
facilité d’utilisation, car ces facteurs permettent d’atténuer en partie
la pression sur les soins spécialisés et de réduire davantage les coûts.
Imaginez les effets de ces avancées sur le bien-être et la qualité de vie.
L’OMS estime que, dans les pays en développement, près de 40% des plus de
65 ans souffrent de déficiences auditives invalidantes.

Mon dernier conseil tient en quelques mots. Utilisez la recherche.
Utilisez la science. Façonnez le programme de recherche et saisissez
chaque possibilité offerte par les nouvelles découvertes. C’est ce à quoi
l’OMS s’emploie avec vigueur en révisant les directives techniques et
stratégiques sur le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme. On sait par
exemple désormais qu’il est tout à fait possible de supprimer la
transmission du VIH de la mère à l’enfant, et tel est aujourd’hui notre
objectif opérationnel. Cela relève de l’efficience. La science réalise les
avancées. Et il revient au système de santé publique d’en faire une
application concrète pour aller de l’avant.

Mesdames et Messieurs, il y a eu l’an dernier plusieurs bonnes nouvelles
en matière de santé et il est légitime qu’elles nous encouragent dans
notre action. Mais je perçois au moins deux menaces et elles sont de
taille.

Nos bailleurs de fonds traditionnels font l’objet d’intenses pressions sur
le plan national et doivent démontrer que l’aide officielle au
développement est investie intelligemment. Les contribuables et les
parlementaires veulent des résultats rapides, tangibles et mesurables
prouvant un retour sur investissement. Cette tendance est potentiellement
dangereuse, s’agissant en particulier d’une maladie telle que le VIH/sida.

En un sens, nous sommes mieux placés que jamais pour prendre le dessus sur
cette épidémie dévastatrice et faire que ses ravages appartiennent au
passé. Les données à notre disposition démontrent toujours plus clairement
non seulement que la thérapie antirétrovirale sauve des vies, mais aussi
qu’elle constitue un puissant outil de prévention permettant une réduction
de la transmission sexuelle du VIH allant jusqu’à 96%.

Hélas, il apparaît très peu probable aujourd’hui que l’on parvienne à
l’objectif d’accès universel à la thérapie antirétrovirale. Nous avons de
bonnes raisons de penser, en effet, que la cible fixée par les Nations
Unies de fournir ce traitement à 15 millions de personnes d’ici à 2015 ne
sera pas atteinte. En cette période de difficultés financières s’affirme
une tendance selon moi fort dangereuse à évaluer quantitativement: les
résultats de santé obtenus pour une somme donnée. Il est à n’en pas douter
bien moins onéreux de sauver une vie avec un vaccin que de maintenir en
vie un malade du sida. Et cela sollicite également moins les services de
santé. Mais j’estime que l’on ne saurait évaluer – ou plutôt dévaluer –
ainsi la vie humaine.

Ces médicaments sont une bouée de sauvetage dont les malades sont
tributaires durant toute leur existence. La seule stratégie de sortie
acceptable sur le plan éthique est de commencer par interrompre les
nouvelles infections. Nous en avons les moyens aujourd’hui plus que
jamais, grâce à l’efficacité des préservatifs masculins et féminins, aux
dispositifs de réduction des risques, aux interventions déployées pour
modifier les comportements et à la circoncision masculine. La question
centrale est de savoir si nous allons saisir cette occasion ou la laisser
passer.

Le second danger que je souhaite évoquer semblera évident à quiconque
s’intéresse au suivi réalisé par l’OMS des tendances sanitaires mondiales.
Celui-ci nous permet de savoir dans quels domaines nous progressons, mais
aussi quelles menaces pèsent le plus sur les progrès passés. Et la plus
lourde d’entre elles et aussi celle qui se poursuit depuis le plus
longtemps: la progression ininterrompue des maladies non transmissibles.

Les Statistiques sanitaires mondiales publiées la semaine dernière ont eu
– à juste titre – un retentissement important. Les données de l’OMS
indiquent que, dans toutes les régions du globe, les taux d’obésité ont
presque doublé de 1980 à 2008. À l’échelle mondiale, un adulte sur trois
souffre d’hypertension. Et un adulte sur dix est diabétique. Ces
affections fragilisent les systèmes de santé jusqu’à les mener au point de
rupture. Ce sont elles qui risquent de nous conduire à la banqueroute.
Elles qui pourraient effacer les gains issus de la modernisation et du
développement. Elles qui pourraient compromettre les efforts de réduction
de la pauvreté et faire sombrer chaque année des millions de personnes
sous le seuil de pauvreté.

La Déclaration politique sur les maladies non transmissibles de l’année
dernière assigne à l’OMS un certain nombre de responsabilités. Vous avez
devant vous un rapport sur les nombreuses mesures engagées à ce titre par
l’Organisation. Je peux vous l’assurer: nous accordons une priorité
absolue à ces maladies comme à la tâche qui nous incombe de les prévenir
et de les endiguer.

Mesdames et Messieurs, je voudrais vous faire partager une dernière
observation pour alimenter la réflexion que nous avons ensemble sur la
réforme de l’OMS. À mon sens, le rôle de l’OMS est celui de protecteur et
défenseur de la santé à l’échelle mondiale, et cela comprend le droit à la
santé. L’OMS est le dépositaire de compétences techniques aussi bien que
de valeurs telles que la justice sociale et l’équité, et notamment
l’équité entre les sexes.

N’oublions jamais notre système de valeurs. N’oublions jamais les
personnes. La santé publique, guidée par la passion, se forme par la
compassion. Voilà quelle sera toujours notre force, voilà où réside notre
véritable avantage comparatif. Convaincre les autres acteurs de partager
ce système de valeurs est un autre moyen de préserver la dynamique
d’amélioration de la situation sanitaire.

La trypanosomiase humaine africaine, ou maladie du sommeil, nous en a
fourni un exemple récent. Cette maladie connait, on le sait, une issue
immanquablement mortelle lorsqu’elle atteint un stade avancé. Quelle est
alors l’utilité des dons de médicaments si les cas sont détectés trop
tardivement? Consciente de cette problématique, la société à l’origine des
dons fournit également à l’OMS les fonds nécessaires au dépistage actif
(destinés aux infrastructures, au matériel, à la logistique, au
recrutement et à la formation de personnel). Si le secteur privé reste
aujourd’hui encore engagé à nos côtés, c’est grâce au déplacement organisé
en Afrique le mois dernier par mon équipe avec le Directeur général et
plusieurs cadres dirigeants de la société.

Ces responsables ont vu les populations, la maladie, les ponctions
lombaires réalisées sous les manguiers, observé la détection de cas et
l’administration des médicaments. Cette confrontation directe avec les
personnes et leur misère est un moyen très efficace de stimuler la
formation de partenariats publics-privés adéquats. Les résultats
alimentent la confiance, et la confiance suscite l’engagement.

Je voudrais pour conclure remercier les États Membres d’avoir accompagné
le changement avec tant d’attention et de diligence au moment où
l’Organisation vit les plus profondes réformes de son histoire. Nous
savons tous que c’est une étape difficile. Mais elle est nécessaire et
doit être conduite comme il se doit.

Je voudrais également remercier les Directeurs régionaux et leurs équipes
de la qualité de leur travail, de leur dévouement, de leur engagement en
faveur de l’Organisation et de l’appui qu’ils ont apporté à sa réforme.

Je tiens également à remercier les missions permanentes de Genève de même
que leurs ambassadeurs du temps considérable qu’ils consacrent à soutenir
le travail de l’Organisation.

Je suis intimement convaincue que l’OMS apporte une grande contribution au
monde. En améliorant son efficacité opérationnelle et en orientant
stratégiquement ses travaux, on peut aller encore plus loin.

C’est ce que le monde attend de l’OMS, et c’est ce dont il a besoin.

Nous n’abandonnerons pas les populations.

Merci de votre attention.