Intellectual Property Watch
30 May 2008
L OMS adopte le document le plus important depuis Doha en matiere de
propriete intellectuelle et de sante publique
http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=1073
Posted by Catherine Saez @ 6:08 pm
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William New
Avec la stratégie mondiale adoptée samedi lors de l’Assemblée mondiale de la
Santé en vue de combler le vide en matière de recherche sur les maladies qui
sévissent dans les pays en développement, l’institution des Nations Unies
s’inscrit directement dans l’élaboration de politiques relatives à la
propriété intellectuelle au plan international. Selon certaines sources
impliquées dans la rédaction de la stratégie, malgré les concessions
consenties, ce document est le plus important qui ait été adopté depuis
plusieurs années en termes de propriété intellectuelle et de santé publique.
« Il s’agit du document le plus important depuis la Déclaration de Doha sur
la santé publique », a affirmé le négociateur officiel de l’un des
principaux pays en développement. « Il aborde même plusieurs questions qui
n’étaient pas traitées dans la déclaration de Doha ».
Cette déclaration issue de la Conférence ministérielle de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) tenue en 2001 à Doha, au Qatar, réaffirmait la
flexibilité accordée aux pays en développement quant à l’application des
règles de l’Accord de L’OMC sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) de 1994.
Dans ses remarques finales sur l’assemblée plénière, Margaret Chan, le
Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, a qualifié les
aboutissements sur la propriété intellectuelle et l’innovation d’« immense
pas en avant ». Grâce à cela, a-t-elle déclaré, « la santé publique
progresse en répondant à deux besoins fondamentaux de longue date :
l’amélioration de l’accès à des interventions existantes et la prise en
compte des maladies touchant les plus pauvres dans la conception de nouveaux
produits ».
« Il s’agit d’une formidable avancée pour la santé publique et je félicite
chacun de vous », a ajouté Mme Chan. « Plusieurs millions de personnes en
bénéficieront dans les années à venir. Ce progrès contribue à l’équité en
matière de santé et constitue une excellente initiative en matière de santé
publique», a-t-elle conclu.
Les défenseurs de la santé et les représentants des pays en développement se
sont également félicités du résultat des négociations, malgré les
importantes modifications apportées au texte. En revanche, les groupes
industriels et les représentants des pays développés ne se sont pas exprimés
sur le sujet.
À l’issue des débats, le directeur du groupe de défense de la santé
Knowledge Ecology International, James Love, a déclaré : « Six ans et demi
après la déclaration de Doha et cinq ans après la création de la CIPIH
(Commission sur les Droits de Propriété intellectuelle, l’Innovation et la
Santé publique), l’OMS a pris une grande décision qui va changer la manière
dont nous concevons l’innovation et l’accès aux médicaments ».
Pour M. Love, le résultat est un « document long et complet » qui exprime
avec une « clarté parfois impressionnante » un consensus sur des questions
difficiles, « considérées comme controversées il y a encore quelques temps
».
Le texte de la stratégie et du plan d’action mondiaux de l’OMS pour la santé
publique, l’innovation et la propriété intellectuelle réaffirme également la
flexibilité de l’Accord sur les ADPIC. En outre, il appelle à une étude de
l’impact des mesures commerciales sur la santé et comporte, parmi une
cinquantaine de dispositions, un nouveau paragraphe sur les politiques de
concurrence visant à prévenir les violations des droits de propriété
intellectuelle.
Parmi les éléments clés de la stratégie, on trouve : l’évaluation des
besoins des pays en développement en termes de santé et l’identification des
priorités en matière de recherche et développement (R-D), la mise en place
d’éventuels mécanismes d’encouragement pour la R-D, l’accroissement des
capacités de R-D dans les pays en développement, l’incitation au transfert
de technologie, l’amélioration de l’accès à tous les produits de santé et le
financement garanti et durable de la R-D dans les pays en développement.
L’un des principaux objectifs est de promouvoir la R-D sur les maladies qui
affectent les populations des pays en développement de manière
disproportionnée, ainsi que sur les maladies les plus répandues à la fois
dans les pays riches et dans les pays pauvres.
Selon les déclarations faites mercredi à la presse par Elil Renganathan,
responsable des efforts menés par l’OMS en matière de propriété
intellectuelle et de santé publique, « cette stratégie, si elle est
appliquée, rendra l’accès aux soins plus équitable et répondra à un besoin
de longue date en innovation durable ». « Nous sommes fortement encouragés !
», a-t-il ajouté.
Prochaines étapes
Certains éléments du plan d’action, comme un indicateur de progression et le
chiffrage du coût du programme, seront évalués au cours de l’année à venir
puis renvoyés devant le Conseil exécutif et la 62e Assemblée en mai 2009, a
expliqué M. Renganathan.
Concernant le plan d’action, reste encore à savoir quels seront les
principaux acteurs de chaque élément d’action, après les gouvernements.
Selon certaines sources, l’importance du rôle que doit jouer l’OMS sur les
questions de propriété intellectuelle est au centre des débats. Les pays
développés et leurs industries pharmaceutiques et biotechnologiques ont
insisté pour que l’implication de l’organisation dans ce domaine soit
limitée.
« La résolution et la stratégie adoptées visent à accorder à l’OMS un rôle
central et stratégique en matière de propriété intellectuelle et
d’innovation, dans le cadre de son mandat », a rappelé M. Renganathan.
Le Directeur général nommera un groupe d’experts désigné par le document
adopté, qui avec un peu de chance sera opérationnel d’ici deux ou trois
mois. Ainsi, le groupe sera en mesure d’apporter du nouveau lors de la
prochaine réunion du conseil exécutif de l’OMS en janvier 2009, a-t-il
ajouté.
Le Secrétariat se chargera d’organiser le suivi et la mise au point du plan
d’action, la constitution du groupe d’experts, le contrôle et l’évaluation
du programme. On ne sait pas encore quelle partie du budget actuel de l’OMS
sera consacrée aux activités, ni à combien va s’élever le coût de ce
programme.
La section de l’OMS chargée de l’innovation et de la propriété
intellectuelle supervisera les efforts fournis, en collaboration avec
d’autres programmes, comme celui de la recherche sur les maladies
tropicales, l’initiative pour la recherche sur les vaccins, le département
des médicaments et celui des maladies non transmissibles, ainsi qu’avec les
bureaux régionaux. « Les actions existantes seront plus importantes et il y
en aura de nouvelles », a affirmé M. Renganathan.
Techniquement, la résolution prise par l’assemblée n’a pas de caractère
contraignant. Cependant, le fait que les membres se soient mis d’accord sur
une résolution, « représente une forme d’engagement à mener à bien cette
décision », a-t-il précisé.
Selon M. Renganathan, au cours des mois à venir, le département de l’OMS
chargé des finances devrait mettre au point un plan qui permettra de
déterminer le coût de la résolution. Les États membres et les parties
prenantes pourraient alors avancer dans leurs actions.
« Ce qui est encourageant, c’est que les gouvernements ont clairement
manifesté leur souhait que l’OMS joue un rôle central et stratégique en
matière de propriété intellectuelle », a confié Tido von Schoen-Angerer,
directeur de la Campagne d’accès aux médicaments essentiels de Médecins Sans
Frontières (MSF). Les pays se sont engagés à accorder à la santé la place
prioritaire qu’elle mérite dans la gestion de la propriété intellectuelle.
« Nous avons besoin de plus de fonds pour la R-D, mais l’argent n’est pas le
seul problème. De nouveaux modèles sont également nécessaires pour
encourager la R-D et garantir l’accès aux nouveaux médicaments et aux
diagnostics », a ajouté M. von Schoen-Angerer. Ce dernier a ensuite appelé
le futur groupe d’experts à « prendre des mesures sérieuses » afin que la
stratégie porte ses fruits, et à « formuler des propositions plus
ambitieuses pour améliorer le mode de financement de la R-D sur les
médicaments essentiels, à travers par exemple la création d’un fonds de
récompenses pour promouvoir le diagnostic de la tuberculose ».
M. Love, de Knowledge Ecology International, a affirmé que son groupe était
impressionné par la fermeté de l’assemblée sur les questions des licences
obligatoires et de la flexibilité. Il a également recommandé que
l’enregistrement des médicaments se fasse en conformité avec la Déclaration
de Helsinki sur les principes éthiques applicables aux recherches médicales
sur des sujets humains. M. Love a par ailleurs mis l’accent sur le soutien
de l’assemblée en faveur d’un travail relatif à un traité sur la R-D
biomédicale, d’une gestion collective des droits de propriété intellectuelle
et de « l’emploi de mécanismes innovants et dissociés du prix des produits
pour stimuler la recherche, comme des récompenses ».
En revanche, M. Love a déploré le fait que l’assemblée ait laissé en suspens
l’estimation des besoins en financement de la R-D prioritaire, ou la
création d’un cadre pour les sources de financement durable. Ces questions
ainsi que le débat sur « les nouveaux mécanismes qui dissocient les primes
pour la R-D du prix des produits » attendront les États membres lors du
prochain cycle de négociations, a-t-il ajouté.
Lors d’une commission tenue juste avant la dernière assemblée plénière, la
Bolivie s’est exprimée sur le lien existant entre la résolution et les six
propositions d’approches alternatives qu’elle et la Barbade avaient lancées
en avril 2008. Selon un participant, la Bolivie aurait demandé que le
procès-verbal de l’assemblée mentionne le fait que ces propositions étaient
suffisamment bonnes pour être prises en compte par le groupe d’experts
chargé de trouver des méthodes inventives de financement pour la R-D. La
demande de la Bolivie a été acceptée.
Contexte
Les détenteurs de brevets sur les produits médicaux bénéficient d’un
monopole limité dans le temps, en récompense pour leurs travaux de recherche
et développement. La plupart des titulaires de brevets se trouvent dans les
pays développés.
L’OMS a décidé de mettre au point une stratégie relative à la propriété
intellectuelle et à la santé après avoir reconnu le manque de mesures
incitant l’industrie à investir de manière importante dans les maladies qui
touchent essentiellement les populations les plus pauvres : les maladies
négligées. Cette assemblée marque la fin de la mission de deux ans menée par
le Groupe de travail intergouvernemental sur la santé publique, l’innovation
et la propriété intellectuelle (IGWG), créé par l’assemblée de 2006.
« Les États Membres ont donc approuvé par consensus une stratégie destinée à
envisager différemment l’innovation et l’accès aux médicaments pour
promouvoir la recherche-développement axée sur les besoins plutôt que celle
uniquement axée sur le marché et cibler les maladies qui touchent de manière
disproportionnée les populations des pays en développement », a déclaré
l’OMS dans un rapport publié cette semaine.
Les textes
Les textes finaux de la résolution, de la stratégie mondiale et du plan
d’action décidés lors de l’Assemblée mondiale de la santé tenue du 19 au 24
mai 2008 ne seront pas prêts avant plusieurs jours, a prévenu l’OMS. La
stratégie comporte huit éléments majeurs, en plus du contexte et des
principes.
Les textes les plus récents sont consultables par les abonnés depuis samedi
24 mai au matin sur www.ip-watch.org.
« Si cette stratégie est appliquée, de nouveaux médicaments permettront de
soigner des maladies pour lesquelles il n’existe que très peu de remèdes »,
s’est réjoui M. Renganathan.
La résolution et la stratégie mondiale ont été légèrement modifiées le
dernier jour de l’assemblée, notamment pour prendre en compte le plan
d’action inachevé.
Selon le premier point de la résolution, qui a été modifié, l’assemblée «
adopte la stratégie mondiale et les parties validées du plan d’action [note
de bas de page : sur les actions spécifiques et le rôle des acteurs] en
matière de santé publique, d’innovation et de propriété intellectuelle,
lesquels sont annexés à la présente résolution ».
Par « rôle des acteurs » on entend la désignation des acteurs principaux et
des acteurs secondaires, élément du plan d’action qui a suscité de nombreux
débats cette semaine. Selon certaines sources, la question centrale est de
savoir si l’OMS joue un rôle majeur concernant certaines questions de
propriété intellectuelle.
Dans le point 4.1 de la résolution, il est demandé au Directeur général «
d’apporter aux Etats Membres qui en font la demande un appui à la mise en
œuvre de la stratégie mondiale et des parties validées du plan d’action sans
porter préjudice aux mandats existants ».
En outre, les États membres ont retiré la liste de cinq actions qui se
trouvait dans le Programme de démarrage rapide, à savoir : cartographier les
activités mondiales de R-D, établir des bases de références et identifier
les lacunes en termes de recherche ; améliorer la coopération, la
collaboration et le partage des connaissances en matière de R-D dans le
secteur de la santé ; soutenir la R-D et promouvoir la normalisation des
médecines traditionnelles dans les pays en développement ; développer et
renforcer les capacités de réglementation, notamment en termes de sécurité,
d’efficacité, de qualité et d’éthique ; et soutenir le partage
d’informations et le renforcement des capacités en termes d’application et
de gestion de la propriété intellectuelle en faveur de l’innovation médicale
et de la santé publique, en collaboration avec d’autres organisations
internationales impliquées dans ce domaine.
Au terme de l’assemblée, les États membres ont également fait allusion au
droit à la santé (mentionné plus haut par la Bolivie) et au Programme pour
le développement de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
Les dispositions concernant l’exclusivité des données, les résultats
d’essais, les critères de brevetabilité et les mesures anti-contrefaçon ont
été retirées du texte vendredi soir après qu’aucun accord n’a pu être
trouvé.
Le projet de résolution d’une autre assemblée sur la contrefaçon a été
reporté à l’année prochaine. Dans un autre registre, une nouvelle politique
de l’OMS en matière de publications, plus centralisée, a été acceptée par le
Conseil exécutif immédiatement après l’assemblée (article à paraître).
L’OMS et certains États membres affirment que cette décision changera les
choses.
« Les pays en développement bénéficieront d’un soutien supplémentaire pour
leur R-D », a conclu M. Renganathan. Ce soutien consistera en la création de
pôles d’excellence, la formation des chercheurs et l’incitation au transfert
de technologie. Il permettra de donner forme à la flexibilité permise par
l’Accord de l’OMC sur les ADPIC. Les gouvernements espèrent également
recevoir des fonds pour financer les actions menées par leur pays.