E-MED: Maladie du charbon, sida et urgence nationale
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LE MONDE
� ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 07.11.01
Maladie du charbon, sida et urgence nationale
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3232--239797-,00.html
M�dicaments g�n�riques, prix des m�dicaments brevet�s jug�s trop �lev�s,
rabais spectaculaires finalement consentis par les laboratoires
pharmaceutiques, besoin de grandes quantit�s de produits : frapp�s par les
attentats au bacille du charbon, les Etats-Unis et d'autres pays d�velopp�s
d�couvrent la situation d'urgence sanitaire nationale et les affres de
l'acc�s aux m�dicaments dans lesquels se d�battent depuis des ann�es les
pays les moins riches de la plan�te.
Encore, dans cette �preuve, disposent-ils de moyens financiers sans commune
mesure avec ceux du tiers-monde.
Face au sida et aux 36 millions de s�ropositifs vivant pour 90 % d'entre eux
hors des pays riches, les Etats-Unis fustigeaient il y a peu l'attitude du
Br�sil, de l'Inde ou de la Tha�lande, producteurs de g�n�riques. Ils ont
m�me engag� une action contre la politique de Brasilia devant l'Organisation
mondiale du commerce (OMC), finalement abandonn�e en juin. Le Br�sil, en
d�veloppant son programme public de g�n�riques, et l'Inde, avec son
industrie priv�e, ont pourtant pes� de mani�re d�cisive dans la baisse
spectaculaire des m�dicaments antisida. De m�me, les Etats-Unis avaient dans
un premier temps soutenu, comme les Europ�ens d'ailleurs, la plainte d�pos�e
par trente-neuf laboratoires pharmaceutiques contre le gouvernement
sud-africain et sa nouvelle l�gislation sur le m�dicament. Plainte
finalement retir�e par les industriels plong�s dans un d�sastre m�diatique.
D�s lors que l'urgence concerne les grandes puissances, l'air de la chanson
a chang�, alors m�me qu'il ne s'agit encore que d'une menace potentielle et
non, comme dans le cas du sida, d'une pand�mie av�r�e.
Entendu par le Congr�s le 23 octobre, Tommy Thompson, secr�taire d'Etat
am�ricain aux services sanitaires et sociaux, d�clarait � propos des
n�gociations serr�es men�es avec Bayer, producteur de l'antibiotique
ciprofloxacine utilis� contre le bacille du charbon : "Je peux vous assurer
que nous n'allons pas payer le prix qu'ils demandent." Bayer a commenc� par
demander un prix situ� entre 1,75 dollar et 1,85 dollar le comprim�, "et je
peux vous assurer qu'ils sont loin du compte", a ajout� M. Thompson devant
des journalistes. Tommy Thompson avait �galement assur� devant le Congr�s
qu'au cas o� Bayer ne baisserait pas son prix le gouvernement am�ricain
pourrait lui retirer son autorisation de mise sur le march� et faire appel �
une version g�n�rique du Cipro.
Les pouvoirs publics am�ricains ne se sont pas fait faute de rappeler �
Bayer que les �tudes effectu�es sur l'animal, qui ont permis de valider
l'indication du traitement de la maladie du charbon, avec les recettes
financi�res qui en d�coulent, ont �t� men�es par le minist�re de la d�fense
et non par le laboratoire. Face � une commande de 200, voire 300 millions de
comprim�s, la filiale am�ricaine de la firme allemande a entendu la voix de
la raison et a, selon Tommy Thompson, accept� un prix inf�rieur � celui
consenti aux autorit�s canadiennes, en divisant par deux la facture.
D�sireux de porter les stocks de ciprofloxacine � la quantit� n�cessaire
pour traiter 100 000 personnes (contre 40 000 avant la crise), Ottawa avait
engag� une �preuve de force avec Bayer, d�cidant m�me de passer outre le
brevet d�tenu par Bayer sur cet antibiotique en en commandant, le 18
octobre, pour 1,3 million de dollars canadiens (900 000 euros) � un
fabricant local de g�n�riques, Apotex.
Porte-parole du minist�re canadien de la sant�, Paige Raymond Kovach
expliquait : "C'est une p�riode extraordinaire et inhabituelle. Les
Canadiens attendent et exigent de leur gouvernement qu'il prenne toutes les
mesures pour prot�ger leur sant� et leur s�curit�." Finalement, un accord
intervenait entre le laboratoire et les autorit�s canadiennes, aux termes
duquel le Canada reconnaissait la validit� des brevets de Bayer sur la
mol�cule et le fait que sa filiale canadienne �tait la seule � d�tenir "un
avis de conformit� �tablissant la s�curit� et l'efficacit�" de ce produit.
En contrepartie, Bayer consentait une baisse de 20 % sur ses tarifs.
LABORATOIRES SUR LA SELLETTE
L'exigence de constituer ou d'augmenter les stocks d'antibiotiques a
brutalement cr�� une tension dans l'acc�s aux m�dicaments, � laquelle les
principaux pays industriels n'�taient pas pr�par�s, en m�me temps qu'elle a
plac� les laboratoires pharmaceutiques sur la sellette. D'une part,
l'industrie du m�dicament �tait pri�e de mettre en veilleuse des profits
�lev�s. Les grands laboratoires ont en effet souvent eu une croissance �
deux chiffres ces derni�res ann�es - en particulier aux Etats-Unis, o�,
comme le rappelait tout r�cemment le New York Times, les personnes �g�es
vont par autocars entiers acheter leurs m�dicaments chez le voisin canadien,
o� les prix sont plus bas. D'autre part, les industriels devaient se montrer
capables de r�pondre soudainement � des exigences de production nouvelles.
Il n'est d'ailleurs pas exclu que des firmes comme Bayer soient conduites �
accorder une licence de fabrication � d'autres industriels afin de r�pondre
� la demande. Dans leur logique, ce serait un demi-mal, largement pr�f�rable
aux solutions radicales que constituent les licences obligatoires et les
importations parall�les.
Ces deux dispositions sont inscrites dans l'accord sur les aspects du droit
de propri�t� intellectuelle qui touchent au commerce (accord ADPIC ou, en
anglais, TRIPS), adopt� en 1994 par l'OMC. Pourtant, chaque fois que des
Etats signataires ont voulu les faire jouer pour faciliter l'acc�s aux
m�dicaments sur leur territoire en diminuant leur co�t, ils se sont heurt�s
� de vigoureuses contre-offensives. Les t�nors du G7 vont-ils pour autant
se transformer en �loquents avocats du tiers-monde ? Rien n'est moins s�r.
M�me si des pays comme la France et plus g�n�ralement ceux de l'Union
europ�enne plaident pour une attitude flexible utilisant au mieux les
br�ches contenues dans l'accord ADPIC, les Etats-Unis continuent de se
montrer intransigeants. Dans la perspective de la conf�rence minist�rielle
de l'OMC, qui doit se tenir du 9 au 13 novembre � Doha (Qatar) et o� le
th�me de l'acc�s aux m�dicaments doit �tre trait� dans une d�claration
s�par�e, le Br�sil, l'Inde et les Etats africains ont soumis un texte
affirmant que les brevets sur les m�dicaments ne doivent pas constituer un
obstacle aux politiques de sant� publique.
Les Etats-Unis et la Suisse, qui comptent quelques-uns des plus gros
laboratoires pharmaceutiques du monde, s'opposent � ce document et ne
veulent en rien augmenter la marge de man�uvre des Etats menac�s par la
pand�mie de sida et d'autres affections meurtri�res. Au point que le Br�sil
a fait part de ses craintes de ne voir aucune d�claration sur ce sujet
adopt�e � Doha. En revanche, coalition anti-Ben Laden oblige, le Pakistan
vient de voir l'OMC lui accorder des dispositions favorables � ses
exportations textiles.
Paul Benkimoun
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