[e-med] Maladies négligées: l'OMS recommande l'adoption d'une convention internationale

[voir aussi [e-med] Repenser la Recherche et le Développement des Produits Pharmaceutiques : une Convention obligatoire Mondiale
http://www.essentialdrugs.org/emed/archive/201204/msg00025.php
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Maladies négligées: l'OMS recommande l'adoption d'une convention
internationale
LE MONDE | 07.05.2012 à 13h02 • Mis à jour le 08.05.2012 à 14h07
Par Agathe Duparc (Genève, correspondance)
http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/05/07/maladies-negligees-l-oms-recommande-une-convention-internationale_1697354_3244.html

Après plus de dix ans de discussions et de polémiques au sein de
l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la nécessité de stimuler la
recherche et le développement sur les maladies négligées, ces pathologies
des pays pauvres qui intéressent peu l'industrie pharmaceutique faute de
débouchés commerciaux, la solution est peut-être en vue.

Un groupe consultatif d'experts, nommé en 2010 par l'OMS, vient de rendre
ses travaux, plaçant en tête de ses recommandations l'adoption d'une
convention internationale contraignante sur cette question. Jusqu'ici, une
seule convention-cadre a vu le jour sous l'égide de l'OMS : celle pour la
lutte antitabac, entrée en vigueur en 2005.

S'il était adopté, ce traité international pourrait obliger les Etats
membres de l'OMS à consacrer au moins 0,01% de leur produit intérieur brut
(PIB) aux besoins de la recherche sur ces maladies. Celles-ci, comme la
leishmaniose viscérale, la maladie du sommeil, la maladie de Chagas ou
l'éléphantiasis, affectent 1,4 milliard de personnes, mais n'ont
recueilli, en 2010, que 3,2 milliards de dollars (2,4 milliards d'euros).

Ce financement pourrait passer à 6 milliards de dollars, éventuellement
grâce à un fond commun, géré par l'OMS, qui fixerait les priorités en
fonction d'impératifs de santé publique. Le modèle dominant, qui laisse
principalement aux laboratoires pharmaceutiques le choix de développer ou
non de nouveaux médicaments, en serait sérieusement ébranlé.

"Il est impératif d'agir face à l'incapacité des systèmes d'incitation
existant à générer des travaux de recherche et développement suffisants
dans le secteur privé et public pour répondre aux besoins des pays en
développement", lit-on dans un rapport de 230 pages rendu public le 5
avril, mais qui commence à être discuté, en vue de la 65e Assemblée
mondiale de la santé qui se tiendra à Genève du 21 au 26 mai.

LES PRIX MAJORÉS DES PRODUITS PHARMACEUTIQUES

Vendredi 4 mai, de nombreux spécialistes étaient réunis à Genève, autour
de Joseph Stiglitz, lors d'un séminaire consacré à la question. Le Prix
Nobel d'économie s'est réjoui de "la chance d'un changement majeur", qui
donnerait naissance à un système efficace d'innovation dont les pays les
plus pauvres ne seraient pas exclus.

Le professeur norvégien John-Arne Rottingen, qui préside le groupe
consultatif d'experts de l'OMS, a estimé que le "train était en marche"
pour un nouveau modèle permettant de ne plus répercuter les coûts de la
recherche sur le prix des médicaments.

Les laboratoires pharmaceutiques ont toujours expliqué que pour financer
la recherche sur de nouvelles molécules, processus très coûteux, seul le
système des brevets (empêchant durant vingt ans leur copie) était optimal.
Mais ce système majore les prix des produits pharmaceutiques, les rendant
inaccessibles aux pays en voie de développement.

Le rapport recommande également les "communautés de brevets", qui
permettent une gestion collective des droits de la propriété
intellectuelle, afin de faire baisser le prix des médicaments.

Pour nombre d'ONG et d'acteurs de la santé publique qui défendent ces
solutions, "ce retournement est spectaculaire", comme l'explique Patrick
Durisch, de la Déclaration de Berne. Tous ont en mémoire les travaux du
précédent groupe d'experts de l'OMS, dirigé par l'Australienne Mary Moran,
qui avaient provoqué un tollé.

Fin 2009, des documents postés sur WikiLeaks révélaient que la Fédération
internationale des fabricants de médicaments (IFPMA) avait eu accès, en
primeur, à un brouillon, et avait pu faire passer ses vues. Le rapport
final ne retenait aucune des propositions remettant en cause le système de
propriété intellectuelle tel qu'il est défendu par les groupes
pharmaceutiques.

TRANSPARENCE INÉDITE

Vingt et un nouveaux experts ont ensuite été chargés de reprendre la
"patate chaude". Certaines ONG s'étaient alors inquiétées de la nomination
parmi ces experts du Suisse Paul Herrling, directeur de recherche chez
Novartis. Le nouveau groupe a, au contraire, fait preuve d'une
transparence inédite, organisant, d'avril 2011 à mars 2012, cinq réunions
largement ouvertes à la discussion.

Reste à savoir si ses recommandations seront suivies et à quel rythme. M.
Rottingen invite les Etats membres de l'OMS à se prononcer au plus vite,
lors de la 65e Assemblée mondiale de la santé. "Nous ne voulons pas en
rester à un statu quo, car tout le monde est d'accord pour dire que la
situation actuelle n'est pas viable", explique-t-il.

Certains pays, pourtant, jouent la montre. La Suisse, qui défend son
industrie pharmaceutique, propose ainsi de repousser d'un an toute
décision, afin "d'étudier sérieusement les propositions".

Agathe Duparc (Genève, correspondance)

*Reproduction d'un interview du président du CEWG sur la R&D, publié dans
"Le Journal de la Santé des Peuples" (publié par People's Health
Mouvement-France) et distribué aux participants de l'Assemblée.